<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Chaud et froid. Entretien avec Yves Lacoste

16 mars 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Manifestations palestiniennes à la frontière entre Gaza et Israël, en octobre 2019, Auteurs : Yousef Masoud/Penta Press/REX/SIPA, Numéro de reportage : Shutterstock40731803_000006.

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Chaud et froid. Entretien avec Yves Lacoste

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Frontières chaudes et frontières froides : une dialectique qui tient à cœur à Yves Lacoste. Il a accepté de nous préciser le sens de ces termes.

 

Des frontières froides et apaisées ? « Si les dieux s’y mettent vraiment »

 

Comment définissez-vous frontières chaudes et frontières froides ?

Pour comprendre cela, il faut comprendre ce qu’est une frontière et raisonner en termes d’ensembles spatiaux. Une frontière est l’expression à un moment donné d’un rapport de forces entre deux États – car la frontière apparaît avec la formation des États. À côté d’elle existent sur le terrain un grand nombre de phénomènes que l’on peut isoler en fonction de différentes grilles d’analyse – religieuse, linguistique, orographique… Chacun de ces phénomènes possède sa propre configuration spatiale.

Et donc ses frontières ?

Plutôt ses limites. Tous ces phénomènes sont donc en interférence les uns avec les autres. Donc la frontière entre en intersection avec tout cet enchevêtrement.

Ainsi la frontière dite naturelle change selon les époques – une rivière, une ligne de crête… Chaque force adverse va choisir l’accident topographique qui l’avantage, c’est-à-dire celui qui est devant, au-delà de la ligne de front. Quand il n’existe pas d’accident naturel clair, on choisit d’autres limites – par exemple la présence de communautés parlant telle ou telle langue.

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Lesquelles de ces frontières sont chaudes et lesquelles froides ?

Les frontières chaudes sont celles qui sont contestées et qui font l’objet de conflits. Les frontières froides sont acceptées par les deux camps, de guerre lasse. Mais la frontière froide peut redevenir chaude. Il suffit que, d’un côté de la frontière, émerge un groupe, que l’on peut appeler nationaliste, qui conteste le pouvoir en place et lui reproche d’avoir accepté un tracé défavorable. Alors la limite que l’on avait finalement acceptée est remise en question, et c’est une autre limite qui devient la seule « patriotique ».

Des frontières peuvent-elles devenir définitivement froides ?

Si les dieux s’y mettent vraiment…

Par exemple la frontière entre la France et l’Allemagne ?

C’est typiquement la frontière qui est passée du chaud au froid et réciproquement selon les époques. Voyez aujourd’hui la réforme régionale. Elle réveille en Alsace un discours qui proteste contre la volonté de rattacher cette région à la Champagne et qui affirme ses racines germaniques. Je suis assez inquiet car l’image de l’Allemagne est aujourd’hui beaucoup plus attirante que celle de la France. On dira que les choses ont changé, que l’immense majorité des Alsaciens utilisent actuellement le français, même en campagne. Sans doute, mais ils écoutent aussi la télévision allemande. La limite linguistique, au nom de laquelle les nationalistes allemands réclamaient l’annexion de l’Alsace, ne disparaît donc pas, elle est même réactivée par le progrès technique – la télévision en l’occurrence.

Le même phénomène ne vaut-il pas ailleurs en Europe ?

C’est le thème de l’Europe des régions qui aurait remodelé les frontières dans l’Union. Ce projet n’est plus une priorité de Bruxelles, mais les hommes qui le soutiennent n’ont pas disparu. Si un jour la Catalogne et le pays Basque deviennent indépendants, cela posera des problèmes avec la France. Encore une frontière froide depuis Louis XIV, celle des Pyrénées, qui redeviendrait chaude. Tout dépend du groupe politique qui s’impose, pour moi c’est l’action d’un groupe nationaliste qui est l’essentiel.

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Et que pensez-vous du réveil de très vieilles frontières ? Ainsi au Proche-Orient avec l’expansion de Daesh ?

La frontière avec la Turquie n’est toujours pas claire. Les Anglais ont continué à progresser vers le nord après l’armistice de 1918 et les Turcs ont toujours dit que, si un Kurdistan indépendant était créé, ils remettraient en question leur frontière du Sud-Est.

Cela signifie-t-il que la fin des frontières n’est pas pour demain ?

Bien sûr… Ainsi, des frontières qui paraissaient disparues réapparaissent-elles.

Comme si les lieux avaient conservé la mémoire des morts ?

Ces lieux qui conservent la mémoire des morts, cela s’appelle les cimetières. Le cimetière est le lieu sacré par excellence, plus que les lieux de culte. Il transmet le souvenir des anciennes configurations. Et, d’une certaine façon, il fonde l’État-nation.

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