<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Yémen : Comment l’innovation modifie l’équilibre des forces dans la région

7 août 2024

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Yémen : Comment l’innovation modifie l’équilibre des forces dans la région

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La guerre des drones est en train de devenir un élément important des stratégies militaires et des conflits modernes, la prolifération des drones augmentant rapidement dans de nombreux conflits. Les Houthis, bien que relativement novices en matière de technologie des drones, ont été à l’avant-garde de la guerre des drones.Cela modifie l’équilibre de la région et les rapports de force.

Ils ont mis en place une production de drones à grande échelle vers 2018, en s’appuyant sur les transferts de technologie iraniens, et ont remporté des succès militaires remarquables, notamment en contraignant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à accepter un cessez-le-feu en avril 2022. Plus récemment, ils ont mis en place un blocus partiel du trafic maritime en mer Rouge depuis novembre 2023. En outre, le 19 juillet, un drone houthi a volé pendant 16 heures depuis le Yémen sur une distance de plus de 2 600 kilomètres pour atteindre Tel-Aviv, où il a tué un citoyen israélien et en a blessé au moins huit autres.

Les drones peuvent avoir un impact décisif dans les scénarios de guerre, et les stratégies de guerre par drone des Houthis constituent une étude de cas convaincante pour répondre à la question suivante : la technologie des drones a-t-elle modifié l’équilibre des forces entre les parties belligérantes dans le conflit au Yémen ?

Analyse d’Acled à retrouver sur leur site. Traduction de Conflits.

Le 19 juillet 2024, un drone houthi a volé pendant 16 heures depuis le Yémen sur une distance de plus de 2 600 kilomètres pour atteindre Tel-Aviv, où il a tué un citoyen israélien et en a blessé au moins huit autres. Bien que les forces houthies aient lancé des drones et des missiles sur Israël depuis octobre 2023, c’était la première fois qu’un drone houthi parvenait à franchir les défenses aériennes israéliennes et, a fortiori, à faire des victimes sur le sol israélien. Il s’agit peut-être de l’une des attaques de drone les plus emblématiques des Houthis à ce jour, qui met en évidence la capacité croissante du groupe à tirer parti de la technologie des drones.

La guerre des drones est en train de devenir un élément important des stratégies militaires et des conflits modernes, la prolifération des drones augmentant rapidement dans de nombreux conflits. En 2010, seuls trois pays possédaient des drones armés, en 2024, ce nombre était passé à plus de 40 pays. En outre, les attaques unilatérales et les drones commerciaux, utilisés par des acteurs étatiques et non étatiques, ont considérablement augmenté l’activité des drones, l’ACLED enregistrant l’utilisation de drones dans les conflits dans au moins 34 pays en 2023. Les drones peuvent avoir un impact décisif dans les scénarios de guerre, les stratégies de guerre par drone des Houthis fournissant une étude de cas convaincante pour répondre à la question suivante : la technologie des drones a-t-elle modifié l’équilibre des forces entre les parties belligérantes dans le conflit au Yémen ?

Les Houthis bien que relativement nouveaux dans la technologie des drones, ont été à la pointe de la guerre des drones. Ils ont mis en place une production de drones à grande échelle vers 2018, en s’appuyant sur les transferts de technologie iraniens, et ont remporté des succès militaires remarquables, notamment en contraignant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis à accepter un cessez-le-feu en avril 2022. Plus récemment, ils ont mis en place un blocus partiel du trafic maritime en mer Rouge depuis novembre 2023. Une analyse approfondie des principales stratégies employées par les Houthis montre comment la technologie des drones peut procurer un avantage tactique, en exploitant les faiblesses structurelles de l’ennemi de manière créative pour remporter des victoires symboliques. Toutefois, pour que ces tactiques restent efficaces, il est essentiel d’innover en permanence. Après une brève présentation des tendances générales de la guerre des drones menée par les Houthis, ce rapport décrit six stratégies clés employées par le groupe au Yémen et au-delà de ses frontières.

Les drones houthis dans la guerre du Yémen

Depuis la première attaque enregistrée en septembre 2016, les forces houthies ont utilisé des drones armés, également connus sous le nom de véhicules aériens sans pilote (UAV), dans plus de 1 000 événements distincts, qui ont été directement responsables de plus de 700 décès signalés. En 2016 et 2017, cependant, l’utilisation de drones armés par les forces houthies est restée limitée, avec seulement 10 attaques enregistrées sur les deux années, toutes au Yémen. Ces attaques ont été menées avec le drone suicide Qasif-1 (voir tableau ci-dessous), probablement importé d’Iran, où il est connu sous le nom de drone Ababil-T. Les forces houthies n’ont pas officiellement revendiqué l’utilisation de ce drone. Les forces houthies n’ont pas officiellement revendiqué les attaques, car elles étaient probablement en train de tester la nouvelle technologie.

Catégorisation des types de drones par l’ACLED
Type de drone Description Exemples de modèles de drones Houthi Nombre d’événements enregistrés*
Drone suicide Avions sans pilote à attaque unilatérale utilisés comme munitions uniques pour exploser au-dessus d’une cible ou s’y écraser. Qasif-1, Qasif-2k, Sammad-1, Sammad-2, etc. 470
Drone polyvalent Avions sans pilote réutilisables utilisés pour des missions de surveillance (drone de reconnaissance) ou pour larguer des explosifs avant de revenir à la base. Mudhud-1, Rujum, Mersad-1, Mersad-2, Sammad-4, etc. 155**
Drone non spécifié Drone non catégorisable en raison du manque d’informations dans les sources rapportant l’événement 479

*Activité des drones houthis entre janvier 2015 et juin 2024
**Ceci n’inclut pas les 136 événements signalés d’activité de drone de reconnaissance.

Les forces houthies ont révélé l’existence d’un programme de drones en février 2017 et ont revendiqué la première attaque de leur « force aérienne » en avril 2018. En 2019, elles ont dévoilé trois nouveaux drones suicides : le Sammad-2, le Sammad-3 et le Qasif-2K. Alors que le Qasif-2K était présenté comme une version améliorée du Qasif-1, les drones Sammad étaient des drones plus avancés conçus pour pénétrer profondément à l’intérieur du territoire saoudien.

Les attaques de drones des Houthis ont augmenté de 2018 à 2019, avec un déplacement de la cible du Yémen vers l’Arabie saoudite, et sont restées stables de 2019 à 2020 (voir le graphique ci-dessous). L’ACLED enregistre un nombre record d’attaques de drones houthis en 2021, année marquée par l’introduction par le groupe de nouveaux drones de qualité commerciale qui larguent de petits explosifs sur les cibles au lieu de les percuter. Les Houthis ont notamment présenté le drone polyvalent Rujum en mars 2021.

La mise en œuvre de la trêve négociée par les Nations unies en avril 2022 a mis fin aux attaques de drones des Houthis contre l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Cependant, les attaques de drones houthis au Yémen ont augmenté pour atteindre un niveau record. Les lignes de front se sont figées à la suite de la trêve, ce qui a incité les parties belligérantes à recourir à des formes de violence à distance plutôt qu’à des confrontations directes, une tendance qui se poursuit encore aujourd’hui. Les forces houthies ont repris l’utilisation à grande échelle de drones suicides au-delà des frontières du Yémen en novembre 2023. En réponse au conflit entre Israël et Gaza, le groupe a cherché à imposer un blocus à Israël en ciblant la navigation commerciale dans la mer Rouge et les voies navigables environnantes, ainsi qu’en menant des attaques ciblant directement le territoire israélien. Depuis novembre 2023, plus de 50 % de toutes les attaques de drones des Houthis ont été lancées contre des cibles situées en dehors du Yémen.

  1. Le déploiement de drones pour soutenir les offensives terrestres nationales

Les Houthis ont exploité la technologie des drones dans quelques campagnes militaires clés, visant à perturber l’équilibre des forces sur le terrain. Par exemple, entre avril et juin 2018, les drones ont joué un rôle clé dans la tentative de contrecarrer l’offensive soutenue par les Émirats arabes unis sur la côte ouest en dégradant leurs capacités. La toute première attaque de drones revendiquée par les forces houthies à l’intérieur du Yémen a ciblé les centres de commandement et les systèmes Patriot des EAU dans les gouvernorats d’al-Hudayda et de Taizz en avril 2018. L’ACLED enregistre plus de 60% de toutes les attaques de drones des Houthis au Yémen cette année-là dans ces deux gouvernorats (voir le graphique ci-dessous). Bien que les officiers houthis aient publiquement affirmé que le drone de Qasif avait changé l’équation dans leur confrontation avec les forces soutenues par les Émirats arabes unis, le groupe a fini par accepter un cessez-le-feu, le groupe a fini par accepter un cessez-le-feu après le siège de la ville d’al-Hudayda.

En 2021, une autre campagne militaire des Houthis dans le nord de Marib a été marquée par un déploiement important de drones. L’offensive renouvelée pour capturer la ville de Marib – après une première tentative ratée en 2015 – a vu les Houthis s’appuyer fortement sur les drones, l’ACLED ayant documenté 50 % de toutes les attaques de drones des Houthis cette année-là dans ce gouvernorat (voir le graphique ci-dessus). Cette campagne a notamment marqué le déploiement de drones à usages multiples dans l’arsenal des Houthis. Elle a impliqué l’utilisation de drones Qasif pour cibler les positions du gouvernement internationalement reconnu (IRG) à distance, y compris à l’intérieur de la ville de Marib, parallèlement à des drones à usage multiple utilisés pour des engagements à courte distance sur la ligne de front. Cependant, malgré l’engagement de ressources considérables, les Houthis n’ont pas réussi à s’emparer de la ville de Marib.

Les campagnes sur la côte ouest et à Marib ont été cruciales pour les Houthis. Cependant, malgré l’utilisation importante de drones, ils n’ont pas obtenu la supériorité militaire sur le champ de bataille. Une analyse globale des attaques de drones des Houthis suggère que le groupe ne déploie pas automatiquement des drones dans chaque campagne militaire. Par exemple, l’ACLED enregistre très peu d’attaques de drones houthis dans le gouvernorat septentrional d’al-Jawf en 2020 et 2021, et une seule attaque de drones houthis dans le gouvernorat d’al-Dali en 2019, malgré des combats intenses entre les forces houthis et anti-houthis. Bien que l’on ne sache pas exactement ce qui pousse le groupe à utiliser des drones pour soutenir des offensives terrestres, il est probable que les Houthis donnent la priorité à cette ressource stratégique pour les campagnes militaires qu’ils jugent plus importantes ou dont le succès est plus incertain.

  1. Frappes transfrontalières de drones sur des infrastructures critiques pour faire pression sur les puissances régionales

Entre 2018 et 2022, les Houthis ont utilisé la technologie des drones dans le cadre d’une tactique de guerre asymétrique visant des infrastructures essentielles en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Cette stratégie visait à mettre en évidence la vulnérabilité des deux pays en attaquant des aéroports civils et des installations d’hydrocarbures plutôt que de chercher à dominer militairement la ligne de front. De 2018 à mars 2022, avant la mise en œuvre de la trêve sous médiation de l’ONU en avril 2022, 43 % de toutes les attaques des Houthis contre l’Arabie saoudite ont visé des aéroports civils et des infrastructures énergétiques. En exploitant la faible tolérance de Riyad et d’Abu Dhabi à l’égard du risque et de l’insécurité, les Houthis ont obtenu un avantage stratégique à moyen terme, qui les a finalement incités à accepter un cessez-le-feu.

La guerre transfrontalière des drones a commencé à s’intensifier en juillet 2018, avec des attaques de drones à portée étendue hautement symboliques visant une installation pétrolière de Saudi Aramco le 22 juillet et l’aéroport international d’Abou Dhabi le 26 juillet. En 2019, les opérations de drones des Houthis contre l’Arabie saoudite ont été multipliées par plus de sept par rapport à l’année précédente, près de la moitié des attaques visant des aéroports civils (voir le graphique ci-dessous). La plupart des attaques ont utilisé le drone Qasif-2K à courte portée, les Houthis justifiant leur ciblage des infrastructures civiles comme des représailles en réponse au « siège de l’aéroport de Sanaa » par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. La stratégie s’est avérée efficace, les taux d’interception restant extrêmement faibles et plus de la moitié des frappes ayant abouti à des résultats en 2021.

À l’inverse, les attaques contre les infrastructures saoudiennes d’hydrocarbures ont utilisé des drones Sammad à longue portée, qui sont plus difficiles à fabriquer, ce qui a probablement conduit les Houthis à les utiliser moins fréquemment (voir le graphique ci-dessus). Ces armes ont été très efficaces, puisque seulement 20 % des attaques de drones contre les infrastructures d’hydrocarbures saoudiennes ont été interceptées entre 2018 et 2022. Un exemple marquant est l’attaque conjointe des Houthis et de l’Iran qui a ciblé les installations de Saudi Aramco à Abqaiq et Khurays le 14 septembre 2019. L’incident a temporairement mis hors service plus de la moitié de la production pétrolière de l’Arabie saoudite et près de 5 % de l’approvisionnement mondial en pétrole.

L’opération a mis en évidence plusieurs avantages de la guerre asymétrique des drones : la vulnérabilité des systèmes de défense aérienne saoudiens face aux attaques de drones, les radars ne pouvant pas toujours détecter les engins volant à basse altitude, et en raison de l’utilisation d’attaques en essaim ; l’absence de responsabilité, en raison des frappes quasi anonymes et du déni plausible qui en découle pour les assaillants ; et l’asymétrie financière, les drones peu coûteux étant plus performants que les systèmes de défense aérienne onéreux.

  1. Le développement de drones à usages multiples pour une violence rentable en première ligne

L’introduction de drones à usage multiple en 2021 a marqué un tournant dans le développement de la technologie des drones houthis, avec un effet immédiat sur le champ de bataille (voir la carte ci-dessous). Contrairement aux drones à usage unique conçus pour s’écraser et exploser à l’impact ou juste au-dessus du sol, ces drones à usage multiple larguent des explosifs sur des cibles et retournent à la base pour être réutilisés dans des missions similaires, ce qui les rend plus rentables.

Les Houthis ont officiellement dévoilé les drones polyvalents Sammad-4 et Rujum en mars 2021. Alors que l’ACLED n’a jamais enregistré l’utilisation du Sammad-4, les données montrent que le Rujum, une adaptation d’un drone hexacoptère civil chinois, a été utilisé dans plus de 25 % des attaques de drones à usages multiples des Houthis depuis mars 2021. Les forces houthies ont également attaché de petits explosifs à des drones civils des séries Mavic et Matrice fabriqués par la société chinoise DJI.

Les drones commerciaux à usage multiple sont à la fois moins chers et plus faciles à obtenir que les drones suicides militaires. Leur ajout à l’arsenal des Houthis a entraîné une augmentation de 50 % des attaques de drones des Houthis au Yémen entre 2020 et 2021, le nombre total d’attaques en 2021 dépassant à lui seul le nombre total d’attaques entre 2018 et 2020. Cette tendance à la hausse s’est poursuivie en 2022. Les drones polyvalents peu coûteux comme le Rujum, dont le rayon d’action est compris entre 10 et 30 kilomètres, sont utilisés pour des activités directes sur la ligne de front. Depuis la mise en œuvre de la trêve sous médiation de l’ONU en avril 2022 et le gel des lignes de front qui s’en est suivi, les forces houthies ont utilisé des drones à usages multiples pour attaquer les forces ennemies, remplaçant ainsi les confrontations directes au sol.

De nouveaux drones bon marché ont également remplacé progressivement les drones suicides de plus grande taille sur les lignes de front nationales. Depuis mars 2021, les drones suicides n’ont été utilisés à l’intérieur du Yémen que lors de l’offensive des Houthis sur Marib en 2021 et de la contre-offensive des Houthis dans le gouvernorat de Hajjah au début de l’année 2022. À l’exception de ces deux cas, les drones-suicide ont été réservés à des frappes plus stratégiques à l’intérieur du territoire du GRI depuis 2021.

  1. Attaques combinées de drones et de missiles pour frapper derrière les lignes de front

Depuis le début du conflit en 2015, les Houthis ont utilisé des attaques à la roquette et au missile pour cibler les camps militaires ennemis situés derrière les lignes de front, en exploitant l’élément de surprise. Malgré de nombreuses attaques, cette stratégie n’a fait que quelques victimes, principalement des incidents impliquant des missiles balistiques provenant des stocks de l’ancien président Ali Abdullah Saleh, que les Houthis ont épuisés à la fin de 2016 ou au début de 2017. Depuis 2018, cependant, la technologie des drones a revitalisé cette stratégie militaire, améliorant son efficacité et sa létalité.

L’attaque de la base aérienne d’al-Anad à Lahij, le 10 janvier 2019, est un exemple frappant de cette stratégie. Les Houthis ont déployé une nouvelle version modifiée du drone Qasif-2K, qui a explosé au-dessus d’un défilé militaire, faisant pleuvoir des éclats d’obus sur les responsables du GRI. L’attaque aurait fait huit morts, dont le chef des services de renseignement de l’IRG, et 20 blessés. Cet incident a eu un fort impact symbolique en raison de la nouvelle technologie déployée et du fait qu’il visait des responsables du GRI loin des lignes de front.

Par ailleurs, entre 2019 et 2021, les Houthis ont mené des attaques ciblées contre des camps militaires en combinant la technologie des drones et des missiles, ce qui leur a permis d’obtenir une létalité trois fois supérieure à celle des attaques de drones seuls (voir le graphique ci-dessous). Le 1er août 2019, par exemple, le groupe a ciblé un défilé militaire dans un camp des forces de la ceinture de sécurité dans la ville d’Aden avec un drone Qasif-2K et un missile balistique, tuant au moins 36 personnes, dont le commandant supérieur Abu al-Yamama.

La modalité sans précédent de ces attaques a pris le GRI au dépourvu, permettant aux Houthis de cibler des officiers de haut rang. En outre, le moment choisi pour ces attaques et le contexte politique spécifique dans lequel elles se sont produites ont contribué à amplifier leur importance symbolique.

  1. Des attaques de drones pour réduire les revenus de l’IRG

En 2022, la technologie des drones a permis aux Houthis de mener une nouvelle forme de guerre économique en attaquant plusieurs cibles associées à l’industrie pétrolière yéménite, forçant ainsi l’arrêt des exportations de pétrole de l’IRG. La décision de recourir à cette tactique a coïncidé avec l’échec des négociations sur le versement des recettes pétrolières de l’IRG. Les dirigeants houthis ont exigé le versement des salaires de tous les fonctionnaires dans les zones qu’ils contrôlent grâce aux recettes des exportations de pétrole et de gaz, en échange d’un renouvellement de la trêve sous l’égide de l’ONU, qui arrivait à son terme en octobre. L’envoyé spécial des États-Unis au Yémen avait alors qualifié les exigences économiques des Houthis de « maximalistes », et la trêve a finalement échoué.

En réponse, les Houthis ont décidé de restreindre les sources de revenus financiers de l’IRG. Après avoir adressé plusieurs avertissements aux entreprises nationales et étrangères, ils ont décrété l’interdiction des exportations d’hydrocarbures et ont appliqué cette décision en lançant une série d’attaques de drones contre des pétroliers et des infrastructures dans les provinces méridionales de Shabwa et de Hadramawt en octobre et novembre 2022 (voir la carte ci-dessous). Malgré leur nombre limité et les dommages négligeables qu’elles ont causés, ces attaques ont réussi à stopper les exportations d’hydrocarbures de l’IRG, causant une perte estimée à plus d’un milliard de dollars américains en 10 mois.

Ce qui est particulier dans cette affaire, c’est le moment choisi par les Houthis pour mener leurs opérations de drones. Le groupe dispose de la même technologie depuis des années. Pourtant, les Houthis considéraient que cibler les infrastructures pétrolières nationales du Yémen constituait une « ligne rouge », car cela risquait de nuire à leur réputation. En outre, avant 2021, la valeur de la production pétrolière était négligeable, ce qui rendait moins avantageux pour les Houthis le compromis entre les perturbations économiques et les coûts liés à la réputation. En effet, les attaques ont donné lieu à des condamnations internationales unanimes et ont conduit le GRI à désigner les Houthis comme un groupe terroriste, ce qui a pesé davantage sur les négociations visant à renouveler la trêve. En outre, elles ont été le précurseur de la crise actuelle de la mer Rouge et ont marqué un changement dans la politique des Houthis, soulignant leur désintérêt croissant pour l’obtention d’une légitimité aux yeux de la communauté internationale.

  1. Attaques de drones maritimes pour imposer un blocus en mer Rouge

Depuis le déclenchement du conflit entre Israël et Gaza à la suite des attaques du 7 octobre 2023, les Houthis ont déplacé leur objectif militaire vers la mer Rouge, dans le but d’imposer un embargo à Israël et d’arrêter l’offensive de Tel-Aviv sur Gaza. Dans le cadre d’une escalade continue, les Houthis ont d’abord ciblé le territoire israélien avant d’étendre leurs objectifs aux navires liés à Israël ou en route vers ce pays, ainsi qu’aux navires de guerre et aux intérêts des États-Unis et du Royaume-Uni, élargissant continuellement leur groupe de cibles et perturbant efficacement le commerce mondial transitant par la mer Rouge.

Les opérations des Houthis ciblant la navigation internationale dans la mer Rouge et les voies navigables environnantes se sont appuyées de manière significative sur les drones, avec plus de 40 % des événements enregistrés par l’ACLED entre octobre 2023 et juin 2024 impliquant des drones. Cependant, l’efficacité des attaques de drones pour cibler la navigation internationale a été considérablement limitée par rapport aux attaques de missiles. En fait, 75 % des attaques de drones des Houthis contre la navigation internationale ont été interceptées par les forces de la coalition internationale déployées dans la région de la mer Rouge et du golfe d’Aden pour contrer la menace des Houthis, contre environ 16 % des attaques de missiles. En outre, parmi les attaques qui ont atteint leur cible, les drones n’ont été utilisés que dans un cas sur cinq.

En effet, la probabilité que les drones atteignent leur cible est secondaire par rapport aux tactiques des Houthis. Le groupe peut fabriquer ces engins en grande quantité et à faible coût, et les drones sont utilisés principalement pour menacer la navigation sans causer de dommages directs aux navires. Cette stratégie minimise les répercussions sur la réputation des Houthis et oblige la coalition internationale à déployer des systèmes de défense aérienne coûteux contre des engins comparativement peu onéreux.

En outre, les Houthis semblent déployer différents types d’armes en fonction de la situation géographique de la cible. Les drones sont principalement utilisés pour viser des objectifs dans le sud de la mer Rouge, qui est plus proche des zones contrôlées par les Houthis, tandis que les missiles sont principalement utilisés dans le golfe d’Aden (voir la carte ci-dessous). Une explication possible est que, les drones étant des engins plus lents que les missiles, les Houthis les utilisent dans la zone plus restreinte du sud de la mer Rouge afin d’éviter un taux d’interception encore plus élevé dans la région du golfe d’Aden, où les forces internationales auraient plus de temps pour réagir.

Comment les Houthis peuvent-ils soutenir la guerre des drones ?

Les Houthis ont obtenu un accès fiable à la technologie des drones en 2018 et ont depuis acquis des appareils de plus en plus perfectionnés. Comme le prouvent les six stratégies décrites ci-dessus, les stratégies de guerre par drone des Houthis ont eu un impact significatif sur la trajectoire du conflit au Yémen. Les attaques de drones des Houthis se sont avérées extrêmement efficaces pour obtenir des victoires symboliques grâce à des frappes ciblées, soit en déstabilisant la faction du GRI, soit en exposant les vulnérabilités des puissances régionales et internationales. Cependant, les drones ont été beaucoup moins efficaces dans les batailles au sol, ne parvenant pas à atteindre les objectifs stratégiques ou à modifier l’équilibre militaire en faveur des Houthis.

La technologie des drones et son évolution rapide ont conféré aux Houthis un avantage tactique à court et moyen terme, leur permettant de toujours garder une longueur d’avance sur l’ennemi. Le groupe a été en mesure d’identifier et d’exploiter les faiblesses de l’ennemi, menant des attaques réussies grâce à l’innovation technologique continue, à l’expansion des cibles militaires et à la faible propension de ses adversaires à accepter les risques liés à la guerre sur leur territoire et à proximité de leurs intérêts financiers.

Cette analyse soulève la question de savoir combien de temps les attaques de drones des Houthis conserveront leur efficacité et leur succès. La réponse dépend de deux variables. La première est la capacité d’innovation des Houthis : combien de temps pourront-ils identifier de nouvelles cibles et développer de nouvelles stratégies ? Il est probable que le rythme de l’innovation se ralentira dans un avenir proche, à moins que le groupe ne franchisse de nouvelles lignes rouges, comme l’a récemment menacé le porte-parole des Houthis, Muhammad Absdussalam. Cependant, de petites avancées technologiques – comme le moteur qui a augmenté la portée du Sammad-3, qui a permis l’attaque du 19 juillet contre Tel Aviv – continuent d’offrir un potentiel pour de nouvelles cibles et stratégies. À cet égard, le rôle de Téhéran dans la fourniture d’entraînement, de composants et de technologies de pointe restera déterminant pour le succès militaire des Houthis.

Une deuxième variable est la capacité du camp anti-Houthi à s’adapter aux stratégies des Houthis tout en comblant le fossé créé par la guerre asymétrique. L’Arabie saoudite a déjà acquis de nouveaux systèmes de défense aérienne et d’autres sont en cours d’acheminement, mais il est peu probable que cela permette de neutraliser complètement la menace des drones. Dans le même temps, l’opération Prosperity Guardian est confrontée au coût de l’abattage de drones bon marché à l’aide de missiles coûteux. Dans l’ensemble, le plus grand défi, tant pour les puissances régionales qu’internationales, reste d’accepter le fait que les risques associés à la guerre asymétrique resteront largement inévitables.

Enfin, la réputation régionale nouvellement acquise par les Houthis, combinée à l’emplacement stratégique de leurs bastions, augmente également le risque qu’ils deviennent des vecteurs directs ou indirects de la prolifération des drones. Les attaques de drones menées par Al-Qaïda dans la péninsule arabique dans le sud du Yémen depuis mai 2023 semblent avoir été facilitées par l’entraînement et le soutien logistique des Houthis. En outre, les Houthis semblent être impliqués dans la contrebande d’armes vers la Corne de l’Afrique. Les actions du groupe dans la mer Rouge démontrent clairement une stratégie efficace que les groupes d’insurgés et les acteurs non étatiques pourraient adopter pour défier la domination militaire des forces étatiques et internationales dans la région.

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