Les Dix-Mille de Xénophon est republié chez Phébus dans une édition établie par Pascal Charvet et Annie Collognat. C’est un livre qui raconte notre présent et qui dit les enjeux géopolitiques qui sont les nôtres. Un livre qui raconte l’histoire des Grecs et qui dit aussi notre histoire.
Publié en mars 2022, chez Phébus, le Xénophon, Les Dix-Mille, dans une édition établie par Pascal Charvet et Annie Collognat. Un livre dense et beau qui tient bien dans la main. Un livre à emporter avec soi dans une anabasis, une « montée à l’intérieur des terres ». Un livre à avoir, chez soi, à portée de main – un manuel de tactique et de métapolitique –, car, comme c’est le cas pour Les Trois mousquetaires, il faut relire régulièrement l’Anabase de Xénophon, philosophe et historien disciple de Socrate, qui symbolise la parfaite alliance de l’action et de la pensée. Un livre qui raconte notre présent et qui dit les enjeux géopolitiques qui sont les nôtres.
Pour nous aider, une préface par Stéphane Gompertz, des cartes particulièrement utiles, une note sur la traduction et la composition de l’ouvrage, et un prélude par Pascal Charvet et Annie Collognat. Ensuite, le texte lui-même, avec de beaux et intelligents sous-titres pour conduire et faire rêver le lecteur. Et enfin, des repères spatio-temporels, des regards comme celui d’Arnaud Zucker, un « Portrait de Xénophon en oiseau rare », des notices sur les mesures et les monnaies, un répertoire des noms propres, personnages, lieux…
Un livre essentiel
Pour Arthur Boucher, en 1913, jamais armée ne fut composée de guerriers d’une indépendance aussi farouche, usant de leur condition d’hommes libres, et, par conséquent, difficiles à commander, jamais armée ne se trouva aussi longtemps et dans des circonstances semblables aux prises avec tant d’ennemis. Xénophon s’est donné, comme une de ses tâches, de montrer comment, avec de pareilles troupes, de telles difficultés peuvent être constamment résolues, et, ensuite, comment il sut vaincre en appliquant les principes de guerre qu’il avait puisés à l’école de Socrate.
À écouter également
Podcast – Xénophon, la guerre des Grecs et les Dix-Mille. Pascal Charvet
Dans la première partie de l’Expédition des Dix-Mille, Xénophon s’efface, reste dans l’ombre, spectateur plein de curiosité pour ce monde barbare si étonnant pour un Grec. Il est le compagnon de Cléarchos le Lacédémonien, capitaine énergique et intelligent, et de ce « royal aventurier » qu’est Cyrus dont il sait les mérites, les « qualités d’un grand roi, le talent à gouverner les hommes » dont il fait l’éloge, et les vices et l’ambition qu’il n’ignore pas.
La bataille de Counaxa – elle est si clairement racontée par l’historien qu’on croit y assister et être au milieu du péril – montre la supériorité des hoplites sur les combattants barbares, selon le principe du « modèle occidental de la guerre » dont parle Hanson, celui de la bataille rangée. Un récit particulièrement intéressant. Il préfigure les affrontements ultérieurs entre Grecs et Perses, au temps d’Alexandre.
C’est ensuite, dans la seconde partie – la katabase, la « descente » – que Xénophon fait preuve d’un art extrême du commandement, de la fermeté de son caractère dans le péril, de sa capacité à prendre la bonne décision, qu’il se montre stratège habile et pragmatique, orateur éloquent et persuasif. L’important pour lui est de trouver comment nourrir ses hommes et comment conduire l’armée. Ses réflexions sur les Achéménides et l’état de leur monarchie sont rares, mais il sait que malgré l’immensité formidable de leur empire et la double force de leur richesses et de leurs armées innombrables, la Perse est un colosse à la merci des entreprises d’un agresseur audacieux et rapide. On devine alors en lui un mélange d’admiration pour une civilisation raffinée, de curiosité inquiète et de mépris pour l’indiscipline et la lâcheté d’ennemis qui ne sont pas nécessairement pour lui des barbares haïssables.
La géographie et les lieux
Depuis les hautes terres vers la mer Noire, de Counaxa près de Babylone jusqu’au port de Cotyora, sans repères géographiques, les Grecs sont donc contraints de s’unir pour survivre au milieu des dangers dans un environnement menaçant. Ils ne sont plus désormais que « les Dix-Mille ». Xénophon est le chef sachant s’adapter aux situations, agir très rapidement et surtout anticiper. Tout au long de cette retraite, il n’a de cesse de prendre la parole au cours des assemblées de l’armée pour convaincre ses hommes de s’organiser et de garder espoir en Zeus Sauveur.
Pour Pascal Charvet, fin traducteur et subtil exégète, « Xénophon agit en leader charismatique qui prêche par l’exemple et en manager efficace des soldats. Il choisit aussi de survivre coûte que coûte, convaincu que l’on ne meurt que si l’on veut mourir, que tout est affaire de volonté dans sa conception aristocratique du monde. Seuls, en plein cœur de l’empire perse, attaqués par une armée ennemie impressionnante, les Dix-Mille sont en effet souvent en proie aux angoisses et au découragement, mais ils décident toujours de faire front ensemble, et d’avancer tout en combattant sans répit. »
Les Grecs traversent des pays qui sont encore des zones de tension aujourd’hui, celle des Cardouques notamment – peut-être les Kurdes – et celle alors des Arméniens. Ils finissent plusieurs mois plus tard par apercevoir du haut du mont Théchès, la mer Noire. Cette vision de la mer – ils se sentent alors chez eux – est un des moments les plus émouvants. Ils hurlent de joie « Thalassa, Thalassa », et organisent une immense fête pour ces retrouvailles avec la mer qui constitue leur seconde patrie…
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