Si la plupart des films russes sont des œuvres de distraction, les années Poutine ont correspondu à un nouvel essor du cinéma patriotique, notamment à travers des films historiques. Comme souvent dans ce type d’exercice, ces films en disent plus sur la période contemporaine que sur les événements passés.
Plusieurs films récents glorifient les fondateurs de la Russie. Viking (réalisé par Kravtchouk en 2016) raconte la vie de Vladimir Ier (980 à 1015), qui s’est converti au christianisme. Ce film a suscité un intense débat : tandis que les nationalistes russes critiquent l’importance faite aux Vikings, les opposants au Kremlin dénoncent une propagande de Poutine ! Le film Prince Yaroslav (Korobkin, 2010) démontre que ce souverain[] de Kiev [], déterminé à unifier son royaume au début du xie siècle, est à l’origine de la création de la Russie. Alexandre. La Bataille de la Neva (Kalenov, 2008) exalte Alexandre Nevski, héros national russe. Mais il souffre de la comparaison avec Alexandre Nevski (1938), chef-d’œuvre d’Eisenstein. Dans Tarass Boulba (Bortko, 2009), adaptation du célèbre roman de Nicolas Gogol, un cosaque ukrainien capturé par les Polonais, brûlé vif, hurlera du haut de son bûcher sa foi en sa terre russe et en sa religion orthodoxe.
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Le régime tsariste est à l’honneur d’un film soigné et respectueux, L’Arche russe, d’Alexandre Sokourov (2002). Mais c’est le film L’Amiral (Kravtchouk, 2008) qui va marquer les esprits. En exaltant l’amiral Koltchak, gouverneur suprême de la Russie non bolchévique, ce film prône l’honneur des Blancs, combattants russes nationaux. Ces dernières années, la Seconde Guerre mondiale revient en force comme dernière page militaire glorieuse. Les unes après les autres, les grandes batailles font l’objet de films : la bataille de Moscou (Les 28 de Panfilov, Chaliopa et Druzhinin, 2016), le siège de Leningrad (Leningrad, Buravsky, 2009), la bataille de Stalingrad (Stalingrad, Bondartchouk, 2013). Ces films, dont aucun ne restera dans les annales, révèlent le courage des soldats russes tout en dénonçant parfois le régime communiste totalitaire. Mais un film sur la « Grande Guerre patriotique » est une vraie réussite : Les Nôtres. Ce film réalisé en 2004 par Meskhiev évoque le drame d’un Russe qui, libéré de la dictature communiste par l’avancée des troupes allemandes, choisit de servir le nouvel occupant puis, par patriotisme, change de camp. On regrette enfin l’impossibilité de visionner en France les deux suites du chef-d’œuvre Soleil trompeur (1994) de Nikita Mikhalkov, tournées en 2010 et 2011.
L’histoire la plus récente n’est pas oubliée. Le 9e escadron (Bondartchouk, 2005), film soigné et réaliste, exalte le courage de jeunes parachutistes russes tenant une colline face à des centaines de moudjahidin. Dans Alexandra (2007), Sokourov montre une grand-mère, symbole de l’âme slave, prendre soin de soldats russes en Tchétchénie.
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Mais le genre du cinéma historique n’est pas le seul utilisé pour promouvoir le patriotisme. Ainsi, le film sportif Trois Secondes (Meguerditchev, 2017) raconte la victoire de l’équipe soviétique de basketball lors des JO de Munich en 1972. Le film romantique Crimée (Pimanov, 2017) imagine une romance entre une Ukrainienne et un homme de Sébastopol qui défend la cause russe. Dans la même veine, scénarisée par la rédactrice en chef de la chaîne TV publique RT, la comédie romantique Pont de Crimée. Fait avec amour ! (Keosaian, 2018) se déroule durant la construction du pont entre la Russie et la Crimée. Deux films spectaculaires glorifient la conquête spatiale soviétique : Salyut-7 (Chipenko, 2017) et The Spacewalker (Kisseliov, 2017). Mais parmi tous ces films, le véritable chef-d’œuvre reste L’île (2006) de Pavel Lounguine, film spirituel centré sur la repentance d’un prêtre orthodoxe qui révèle l’âme russe. En Russie, la plupart de ces films d’esprit conservateur et patriotique sont financés par le ministère de la Culture. Les réalisateurs les plus réputés (Nikita Mikhalkov, Alexander Sokourov et Pavel Lounguine) ont défendu ou soutiennent encore le pouvoir de Vladimir Poutine. Les liaisons entre l’art et le pouvoir sont une constante de l’histoire.