Le vote musulman est de plus en plus important aux États-Unis. Traditionnellement démocrates, les musulmans pourraient se détacher de Joe Biden à cause de son soutien à Israël. De quoi rebattre les cartes de la politique américaine.
Youssef Chouhoud, Christopher Newport University
En cette année d’élection présidentielle, la plupart des électeurs américains érigent les questions intérieures au premier rang de leurs priorités. Mais la guerre en cours au Moyen-Orient pourrait être le principal sujet de préoccupation d’un groupe électoral dont l’importance est souvent sous-estimée : les Américains musulmans et originaires du Moyen-Orient.
Une proportion considérable de ces Américains d’origine arabo-musulmane – qui ont massivement voté en faveur de Joe Biden lors de l’élection présidentielle de 2020 – déplorent le soutien que l’administration actuelle accorde au gouvernement de Benyamin Nétanyahou dans la guerre qui oppose Israël au Hamas. Si bien que de nombreux responsables américains musulmans ont appelé leurs communautés à « abandonner Biden » lors de la prochaine élection présidentielle.
Ces défections annoncées pourraient-elles avoir un impact significatif sur les chances de réélection du président sortant ?
Soulignons d’abord que le nombre d’Américains originaires du Moyen-Orient ou musulmans est assez faible. Lors du recensement de 2020 – la première année où de telles données ont été enregistrées – 3,5 millions d’Américains ont déclaré être d’origine moyen-orientale ou nord-africaine, ce qui représente environ 1 % de la population totale des États-Unis, qui compte près de 335 millions de citoyens.
Toutefois, l’issue de l’élection présidentielle de 2024 pourrait dépendre des résultats obtenus dans quelques États clés où se concentrent les Américains d’origine musulmane et du Moyen-Orient, comme le Michigan, la Virginie, la Géorgie, la Pennsylvanie et l’Arizona.
Lors de l’élection de 2020, par exemple, Joe Biden a remporté l’État du Michigan avec 154 000 voix d’avance. Dans cet État, plus de 200 000 électeurs inscrits sont musulmans et 300 000 sont originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord.
Une communauté difficile à identifier statistiquement
Dans mes travaux, je me spécialise dans l’analyse statistique pour comprendre la façon dont la race, l’ethnicité et la religion influencent les résultats politiques aux États-Unis. Je sais d’expérience que tout effort visant à évaluer les attitudes et les comportements des Américains d’origine musulmane et originaires du Moyen-Orient nécessite un peu de gymnastique analytique.
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Tout d’abord, soulignons que depuis 1977, le gouvernement américain classe les personnes ayant des liens ancestraux avec les « peuples originels d’Europe, d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient » dans la catégorie des « Blancs », selon l’Office américain de la gestion et du budget (U.S. Office of Management and Budget)).
Cette disposition figure dans les « Normes raciales et ethniques pour les statistiques fédérales et les rapports administratifs » (Race and Ethnic Standards for Federal Statistics and Administrative Reporting) établies par cette agence et est utilisée dans les recensements effectués aux États-Unis.
Les membres de cette communauté sont donc englobés dans le très vaste groupe des « Blancs », ce qui les rend indiscernables dans la quasi-totalité des données administratives et des sondages d’opinion.
De même, les musulmans ne sont pas pris en compte dans les données officielles, car les États-Unis n’enregistrent pas l’appartenance religieuse des citoyens.
Même les sondages d’opinion qui enregistrent les confessions religieuses n’offrent généralement que peu ou pas d’informations sur cette communauté, à la différence des groupes religieux les plus répandus – catholiques, protestants, évangéliques blancs – dont les opinions sont fréquemment rapportées et font l’objet de nombreuses enquêtes.
Mais les musulmans sont presque toujours relégués dans la catégorie des « autres religions non chrétiennes », au même titre que d’autres petites communautés religieuses.
Il ne faudrait pas pour autant en conclure qu’il n’existe pas de données pertinentes sur les musulmans et les personnes originaires du Moyen-Orient aux États-Unis. Par exemple, Emgage, une ONG de défense des droits des musulmans, a recueilli des données sur les électeurs et le taux de participation dans une douzaine d’États lors de l’élection présidentielle de 2020.
En combinant les données récoltées par Emgage avec celles collectées par l’Associated Press, par le l’étude Cooperative Election Study de Harvard et par le Council on American-Islamic Relations, il est possible de tirer quelques conclusions générales sur ces communautés.
Impact des défections sur la campagne présidentielle de 2024
Le Arab American Institute, un groupe de défense des droits des Arabes américains, affirme que depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas, le soutien des membres de ce grope au Parti démocrate s’est effondré, passant de 59 % en 2020 à seulement 17 %.
Parmi les Américains musulmans, la baisse est encore plus importante, leur soutien aux Démocrates étant passé de 70 % en 2020 à environ 10 % fin 2023.
Cela ne signifie pas nécessairement que ces électeurs sont prêts à se tourner vers le Parti républicain. En 2020, le président sortant Donald Trump avait réalisé un score très bas auprès des électeurs arabes et musulmans, en grande partie à cause de son fameux décret 13 769, surnommé « décret anti-musulmans ».
Signé le 27 janvier 2017, ce décret avait interdit l’entrée sur le territoire américain d’immigrants en provenance d’Iran, d’Irak, de Libye, de Somalie, du Soudan, de Syrie et du Yémen. Bien que le décret ait résisté à de nombreuses contestations judiciaires, il a été annulé par Joe Biden peu après sa prise de fonction en janvier 2021. Trump a déjà promis, lors de ses déplacements de campagne, de rétablir ce décret controversé.
Dans ce contexte, il n’est pas exclu que les votes des musulmans et des citoyens originaires du Moyen-Orient en faveur des candidats républicain et démocrate à la présidence en 2024 chutent de 50 % par rapport à 2020, ces électeurs décidant de rester chez eux ou de voter pour un candidat tiers.
Dans le Michigan, par exemple, cela pourrait signifier que Biden perdrait environ 55 000 voix, soit environ un tiers de la marge de victoire de 154 000 voix qu’il avait obtenue face à Trump en 2020.
Le Michigan n’est pas le seul État où les voix manquantes dans ces communautés pourraient compromettre les chances de victoire de Joe Biden.
Une baisse du taux de participation des Américains musulmans et issus du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord suffirait à elle seule à effacer la marge de victoire de Biden en 2020 en Arizona – 10 457 voix – et peu-être en Géorgie, où Biden a gagné par 12 670 voix.
Bien entendu, les Arabo-Américains ne sont pas les seuls électeurs susceptibles de pénaliser Joe Biden dans les urnes en novembre prochain pour sa politique étrangère. Mais même si c’était le cas, les chiffres montrent qu’une élection présidentielle peut basculer du fait de l’action – ou de l’inaction – de ce bloc électoral peu connu mais potentiellement crucial.
Youssef Chouhoud, Assistant Professor, Christopher Newport University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.