Une biographie de Vladimir Poutine par Jean-Robert Raviot pour comprendre un homme complexe, qui marque l’histoire de la Russie et du monde depuis 25 ans.
Article de Tiphaine Gingelwein.
Dans cet ouvrage, Jean-Robert Raviot, politologue et spécialiste de l’histoire politique de la Russie post-soviétique, s’efforce de dresser une biographie de celui qui dirige le plus vaste pays de la planète depuis un quart de siècle, Vladimir Poutine. Dans les trois chapitres qui composent son livre, Jean-Robert Raviot revient sur le parcours de Poutine jusqu’à son accession à la présidence en 2000, puis s’intéresse à l’évolution de ses positions et de son image au cours des quatre mandats qu’il a déjà achevés. Dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne qui a pu mettre en lumière une opposition grandissante entre l’Occident et une « majorité mondiale » (p.108) composée notamment des BRICS+ et réunissant plus de la moitié de la population mondiale, l’analyse de l’évolution des discours et actions du président russe depuis les années 2000, souvent omise dans le débat public, s’avère essentielle.
La difficulté du sujet
Dès l’introduction de l’ouvrage, Jean-Robert Raviot insiste sur la difficulté de l’exercice : il est bien difficile de rester « objectif, distancé, et encore moins exhaustif » (p.21) dans l’écriture d’une biographie de Vladimir Poutine, autour duquel gravitent faits établis, récits construits, rumeurs et autres légendes, parfois véhiculées dans documents officiels et dans l’autobiographie qu’il a publiée en 2000. En s’appuyant sur ces sources officielles, ainsi que sur divers ouvrages consacrés au système politique russe et à la vie de Vladimir Poutine, parfois critiques, parfois encenseurs, Jean-Robert Raviot offre une analyse vivante et ponctuée de citations, malgré quelques coquilles et redondances.
Dans le premier chapitre, Jean-Robert Raviot aborde les quarante-huit premières années du futur chef de l’État russe, né en 1952 dans un Léningrad marquée par la mémoire de la Grande Guerre Patriotique et de son meurtrier blocus. Mentionnant les légendes contredisant ou agrémentant la biographie officielle de Poutine, Jean-Robert Raviot revient sur l’image d’un « gamin des cours » (dvorovy maltchik) qui aurait trouvé l’autodiscipline dans la pratique du judo, composante désormais centrale de son image. Après des études de droit, Poutine intègre le KGB en 1975 et est envoyé en République Démocratique d’Allemagne entre 1985 et 1989, où il assiste aux premiers signes de l’effondrement de l’Union soviétique et du bloc de l’Est. Dans ce chapitre, Jean-Robert Raviot s’attarde sur l’entourage du futur président, d’abord rencontré sur les tatamis, avec Anatoli Rakhline et Arkadi Rotenberg, acteurs majeurs de la sportokratura (Aubin, 2020). À son retour en Russie, il se rapproche d’Anatoli Sobtchak, futur maire de Saint-Pétersbourg et allié de Boris Eltsine. Dans la Russie des années 1990, nouveau « Temps des Troubles » (p.114), Vladimir Poutine intègre peu à peu les instances dirigeantes tout se forgeant des relations parmi le « clan des Pétersbourgeois » et la « Famille » de Eltsine, jusqu’à accéder à la tête du FSB, successeur du KGB, en 1998.
Un homme de Boris Elstine
En pleine crise économique et politique, Vladimir Poutine devient Premier ministre en 1999, puis président en 2000, dans ce qui est parfois présenté comme un concours de circonstances. Dans le deuxième chapitre de son ouvrage, Jean-Robert Raviot analyse comment Poutine est parvenu à sortir la Russie de dix ans de chaos. Pour la première fois depuis 1991, le président dispose d’une majorité parlementaire, grâce à la fondation en 1999 du parti Unité, qui remporte les élections législatives et s’unit en 2001 avec d’autres partis afin de fonder Russie Unie. Poutine, qui se présente en homme d’action, met progressivement à l’écart les oligarques et les membres de la « Famille », reliquats de la période eltsinienne, tout en conduisant des réformes fiscales, administratives et juridiques, afin de « restaurer la verticale du pouvoir » et « instaurer la dictature de la loi ». C’est là pour Jean-Robert Raviot le début du poutinisme, une démocratie administrée caractérisée par le renforcement et la recentralisation de l’État russe afin d’en faire à nouveau une grande puissance mondiale, ce qui s’avère l’un des piliers de la popularité de Vladimir Poutine en Russie. Cependant, la démocratie administrée se transforme peu à peu en « système autoritaire et plébiscitaire » (p.87), alors que Poutine se représente à la présidentielle de 2012 après le passage à la présidence de Dimitri Medvedev, et que s’élève un mouvement d’opposition dirigé par Alexeï Navalny.
Poutine et ses légendes
Le troisième chapitre est une tentative d’écrire la « mythographie » (p.95) de Vladimir Poutine en décrivant ses légendes – dans un double-sens à la fois courant et issu du monde de l’espionnage et en décrivant les dynamiques qui ont entraîné le tournant autoritaire et anti-occidental du dirigeant russe et de sa politique.
Les prémices de ce tournant apparaissent dès 2007-2008, avec le discours de Munich puis le sommet de l’OTAN, où Poutine dénonce un monde unipolaire centré autour des États-Unis et de l’OTAN, qui s’étend alors en Europe de l’Est, aux portes des anciennes républiques soviétiques. Alors que les deux premiers mandats de Poutine sont marqués par une politique tournée vers l’Europe, son retour au pouvoir en 2012 marque un tournant anti-américain et anti-occidental que Jean-Robert Raviot qualifie non pas comme nationaliste et eurasiste, mais comme une volonté de revenir à des valeurs traditionnelles européennes que l’Europe progressiste aurait délaissées. Dans ce contexte, le rapprochement de la Russie avec la Chine et les autres pays du groupe BRICS puis BRICS+ n’est pas tant une alliance qu’un partenariat destiné à favoriser l’émergence d’un nouvel ordre mondial dans lequel l’Occident et ses idées s’avèrent minoritaires. Ce chapitre mêle analyse politique et analyse des images et légendes gravitant autour de la personnalité d’un Vladimir Poutine désormais parfois « hitlérisé » (p.109-112) dans le discours occidental. Jean-Robert Raviot y questionne son image, son rapport à l’argent, sa vie privée et son entourage, en évoquant son ex-épouse, ses filles, ou encore feu Evgueni Prigojine qui incarne un autre pan du tournant autoritaire du poutinisme, celui des assassinats de ses opposants, débuté avec celui de Boris Nemtsov en 2015.
Qu’est-ce que le poutinisme ?
En fil rouge de cet ouvrage, construit sur un modèle chronologique, nous rencontrons un certain nombre de questionnements sur la nature du régime russe. Le poutinisme est-il la fin de la démocratie en Russie ? Le régime poutinien est-il tyrannique et absolu ? Vladimir Poutine gouverne-t-il en monarque, et de quel tsar peut-il être rapproché ? Sur quels ressorts repose l’image du président russe ? Quelle est la part d’immortalité des « deux corps du Roi » (Kantorowicz, 1957), à savoir l’image de Poutine et le poutinisme lui-même ? En répondant à ces questions, Jean-Robert Raviot décrit les dynamiques ayant conduit Vladimir Poutine à la présidence, à s’y maintenir, et à faire entrer la Russie dans une « nouvelle Guerre froide » face à l’Occident (Raviot, 2016).
Le but de l’ouvrage, affiché dans son sous-titre, est tout autant de présenter la biographie de l’un des hommes politiques les plus célèbres de la planète, que d’analyser le discours et les actions ayant abouti à la situation géopolitique que l’on connaît, tout en insistant sur les parts d’ombre et de légende entourant le président russe et ses décisions, ainsi que sur les différentes interprétations de mêmes faits en Russie et à l’étranger. Quelques points auraient cependant mérité leur place dans cet ouvrage, à l’image de la question du Kosovo, revenue à de nombreuses reprises dans le discours de Vladimir Poutine depuis 2008 pour justifier un soutien aux républiques séparatistes de Géorgie (Abkhazie, Ossétie du Sud) et d’Ukraine (Donetsk, Lougansk). Une autre thématique, dont Jean-Robert Raviot admet qu’elle mériterait une étude bien plus approfondie, est celle de l’iconographie de Vladimir Poutine, aujourd’hui tant utilisée par le régime russe que détournée sur les réseaux sociaux grâce aux memes, nouveau mode d’expression numérique. L’analyse offerte par Jean-Robert Raviot n’en reste pas moins complète et permet de cerner une personnalité que l’on oublie bien souvent de contextualiser.