L’étalement urbain détruit les terres agricoles et réduit l’espace rural disponible. En France, la surface agricole utile a diminué de 20 % entre 1960 et 2010, passant de 36 millions à 28 millions d’hectares. Ces bonnes terres qui disparaissent sous l’effet de l’extension des forêts, mais aussi des constructions et de la bétonisation des zones périphériques représentent un enjeu écologique majeur pour les années à venir.
En Île-de-France, le maraîchage s’est considérablement rétracté : fini les asperges d’Argenteuil et les pêches de Montreuil. Le cresson de Méréville ne subsiste encore que pour alimenter les tables étoilées (10 ha de cressonnière) et la plaine de Montesson, à moins de 5 km de La Défense, fait figure d’exception. Ville et campagne ne semblent pas pouvoir cohabiter, la première utilisant les terres nécessaires à la seconde. Pourtant, l’activité agricole revient depuis quelques années, sous le double effet d’un attrait pour le patrimoine et d’une prise de conscience de la nécessité de le protéger.
Sauvegarde du patrimoine
Cette patrimonialisation des paysages explique le développement de nombreuses associations chargées de protéger et de mettre en valeur l’histoire agricole des lieux.
À Thomery, près de Fontainebleau, ce sont des dizaines de kilomètres de murs qui rappellent l’ancienne culture du raisin de table, prospère jusque dans les années 1950. Ici, des personnes travaillent à leur restauration et à leur sauvegarde. Depuis le début des années 2000, de nombreuses associations se créent également pour cultiver des vignes et produire un vin local là où autrefois la vigne était florissante. Des ruches s’installent sur les toits des bâtiments, comme l’opéra Garnier, pour fournir un miel très urbain. Cela relève du folklore, dans la mesure où ces productions ne sont pas capables à elles seules de nourrir toute la population, mais ce folklore témoigne d’un souci de conservation et d’enracinement. La ville n’est pas autant coupée de son histoire qu’il n’y paraît.
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Imposer l’agriculture urbaine
Cette réminiscence du passé est somme toute sympathique et utile tant qu’elle joue son rôle de transmission de la mémoire du patrimoine. Elle devient plus dangereuse quand elle commence à se prendre au sérieux et à vouloir imposer un mode de vie à des urbains qui n’en demandent pas tant. Là, l’idéologie prend le pas sur la réalité.
Sous l’effet de cabinets d’architectes et d’aménagement urbain qui imposent bien souvent leur point de vue, les municipalités sont amenées à prendre des décisions qui ne visent pas tant à nourrir la ville qu’à tisser du lien social. C’est ainsi qu’apparaissent les cultures sur les trottoirs : ceux-ci sont découpés pour laisser place à la terre où sont plantées des fleurs et des espèces végétales. C’est toujours très beau sur catalogue, cela l’est un peu moins dans la réalité. Montréal s’essaye aux plantations sur les toits et la FAO encourage des modes d’agriculture verticale. Le sens pratique est ainsi terrorisé par la submersion du politiquement correct écologique. Les municipalités s’essayent aussi à l’élevage d’animaux en semi-liberté, censés brouter les pelouses, comme à Lille, autour de la citadelle.
Les fermes urbaines ont certes toute leur légitimité, mais à condition de ne pas franchir les barrières du ridicule. Car on est parfois surpris à la lecture de certaines délibérations municipales de constater l’octroi d’importantes subventions à des associations aux projets farfelus comme, à Paris, l’installation d’une grande serre rotative de 4,50 m de haut, composée de lamelles de verre multicolores et pivotantes, « vitrine de l’agriculture urbaine de demain » et « formidables occasions de lien social intergénérationnel et interculturel ». Les mêmes qui promeuvent les plantations urbaines poussent à l’extension des villes et à la destruction des terres arables pour créer de nouveaux logements. Le propre de l’idéologie est d’être contradictoire.
La sauvegarde du patrimoine agricole mérite mieux.