<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Viktor Orban, l’éternel rebelle

10 août 2020

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Viktor Orban, l’éternel rebelle

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Hier anticommuniste, aujourd’hui souverainiste, le Premier ministre hongrois est un résistant de toujours. Engagé dans un combat difficile pour la défense de l’identité hongroise et des intérêts de son pays, il indigne l’establishment médiatico-politique de l’Union européenne. Son opinion publique l’approuve. Il ouvre aussi une voie originale à d’autres dirigeants de l’UE.

 

Les Hongrois ne sont pas surpris par la détermination de leur Premier ministre face à l’Europe. Elle s’inscrit dans la logique politique qui est la sienne depuis ses années étudiantes. À 54 ans, dont 34 ans de vie politique, Viktor Orban n’a pas changé de position. Entré dans l’histoire de la Hongrie en résistant à l’ordre soviétique et au régime communiste, il proclame la constance de son engagement : « Ceux qui chérissent leur liberté doivent échapper à la soviétisation, à ceux qui veulent nous dicter notre façon de vivre », lançait-il le 23 octobre 2016 à Budapest, lors de la commémoration de la révolte anticommuniste de 1956.

Élu et réélu depuis 2010, il dispose toujours d’une confortable marge de manœuvre politique. Viktor Orban s’assume d’autant plus en conservateur subversif qu’il sait que sa « résistance » à l’eurocratie bruxelloise trouve un écho favorable ailleurs, en Europe, notamment chez ses voisins. Moins en pointe que la Hongrie, la République tchèque, la Pologne et la Slovaquie se montrent tout aussi soucieuses de défendre leurs intérêts. Ces pays ont rallié la coalition politique et sécuritaire emmenée par la Hongrie au sein du « groupe de Visegrad », une « puissance » géopolitique de près de 70 millions d’habitants. Par ailleurs, Orban a eu l’intelligence de maintenir son parti dans le PPE, le rassemblement des partis de centre-droit au Parlement européen où il compte 11 parlementaires (sur 216 pour le PPE).

 

Venu de la « vieille » Hongrie

 

L’esprit de résistance est l’axe central de sa vie politique, depuis sa jeunesse militante jusqu’à la charge de Premier ministre qu’il exerce sans interruption depuis mai 2010, en passant par la présidence de la Fidesz-Union civique hongroise (Fidesz-MPSz), la formation libérale créée à la fin des années 1980. En regroupant différentes familles de la droite hongroise, jusque-là éparpillées, Orban a fait de la Fidesz-MPSz un grand parti conservateur, au centre de l’échiquier politique hongrois. Cette formidable machine à gagner les élections – en 1998, puis en 2002, 2006, 2010, 2014 – a réussi à marginaliser la gauche, tout en contenant une extrême droite très puissante (le parti Jobbik, fort de 20 % de l’électorat). Elle a aussi fait naître une nouvelle élite politique, la « génération Orban ». Bien formée, aussi déterminée que son mentor, elle tient tête à Bruxelles, sans complexes.

 

Viktor Orban tire une partie de sa légitimité politique de ses propres racines, de son histoire personnelle. Ses communicants le rappellent souvent dans sa biographie. Peuple féru d’histoire, les Hongrois y sont sensibles. Le Premier ministre hongrois est en effet un fils de Székesfehérvár, la principale ville historique et industrielle de la Transdanubie centrale, à 50 kilomètres au sud-ouest de Budapest. L’antique Alba Regia est l’une des plus vieilles cités hongroises, associée aux débuts du royaume de Hongrie, lorsque le prince Geza défendait l’Europe contre les menaces de l’Orient. C’était au xe siècle mais cette histoire glorieuse trouve un écho particulier face aux poussées migratoires actuelles. « Nous sommes une nouvelle fois aux avant-postes de l’Europe », soulignent les amis de Viktor Orban. « Fehérvár », comme disent plus simplement les Hongrois, fut aussi pendant cinq siècles la cité des couronnements et des enterrements des rois de Hongrie. On y conservait la couronne, symbole de la royauté magyare, portée par Étienne Ier, le « Saint Louis hongrois ».

 

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Un anticommuniste libéral

 

Grandi dans la classe moyenne – son père était ingénieur agronome et sa mère orthophoniste –, Orban s’est formé dans cette ville symbole de la fierté nationale hongroise. Plus tard étudiant en droit à Budapest, le jeune Viktor approfondit ses connaissances historiques et politiques. Son diplôme de droit en poche, en 1987, il décide d’enrichir sa formation. Il décroche une bourse financée par la Fondation Soros pour poursuivre des études de sciences politiques au Pembroke College de l’université d’Oxford. Il y passera deux années. Il dévore les livres, ne rate aucune conférence. La Fondation Soros lui fourbit ses premières armes politiques. Le paradoxe est qu’il la retrouve aujourd’hui face à lui. Ce puissant lobby idéologique promeut la mondialisation financière, le libéralisme global, l’ouverture des frontières, tout ce à quoi Viktor Orban s’oppose.

 

Avant même son départ de Budapest, le jeune anticommuniste s’est lancé dans la politique. En mars 1988, il fait partie d’un groupe qui fonde l’Alliance des jeunes démocrates (Fidesz). Ce groupuscule réclame des élections libres et le départ des troupes soviétiques de Hongrie. Orban et ses amis ont des idées et le sens du symbole. En juin 1989, leur première action d’envergure est spectaculaire, très symbolique : ils organisent une cérémonie de « réenterrement » d’Imre Nagy et des héros de la révolution hongroise de 1956, écrasée dans le sang.

 

Le 16 juin 1989, il prend la parole devant 250 000 personnes réunies sur la place des Héros. Il n’a que 26 ans. Un tribun est né. Un homme politique aussi. En 1990, le régime communiste hongrois est obligé d’accepter des élections libres. Orban est élu député. Deux ans plus tard, il accède à la vice-présidence de l’Internationale libérale.

Président de la Fidesz en 1993, il la transforme en Alliance des jeunes démocrates-Parti civique hongrois (Fidesz-MPP), modifie son programme dans un sens plus conservateur, plus souverainiste. L’opinion publique suit. Réélu en 1994, Orban a fait de la Fidesz-MPP la deuxième force politique de Hongrie. Elle talonne le Parti socialiste hongrois (MSzP), puis le dépasse en mai 1998. Vainqueur des élections, Orban devient Premier ministre en juillet 1998. Il n’a que 35 ans.

 

Sans majorité absolue, il doit cependant composer avec sa coalition de gouvernement. Mais, sans attendre, il s’attaque au système hérité de l’ancien régime : il libéralise des pans entiers de l’économie, baisse la fiscalité et les cotisations sociales, réforme l’administration publique, renvoie des milliers de fonctionnaires. La purge est sévère mais efficace. L’inflation passe de 15 % à 8 %, la croissance repart à hauteur de 4 % du PIB, le déficit public régresse à moins de 4 % du PIB. Les Hongrois apprécient, d’autant qu’il annonce des droits nouveaux pour la diaspora hongroise (3 millions de personnes) expatriée dans les pays voisins.

Logiquement, Viktor Orban gagne de nouveau les élections, en avril 2002. Mais il devra encore patienter quatre ans, privé de majorité par une manœuvre politicienne de dernière minute : le parti socialiste s’allie à l’Alliance des démocrates libres (SzDsZ) pour former une coalition gouvernementale. Ce sera un échec. Les erreurs des socialistes lui facilitent la reconquête, menée en deux temps-deux victoires : aux élections européennes de 2009 (56,3 % des voix) puis aux législatives de 2010 (52 % des voix).

 

Puis un souverainiste « illibéral »

 

Avec 263 sièges sur 386, soit cinq sièges de plus que la majorité des deux tiers, Orban a les mains libres pour la grande réforme qu’il a annoncée à ses compatriotes, cette politique nationale-conservatrice qui va dresser contre lui la Commission de Bruxelles et une bonne partie de l’élite médiatico-politique européenne.

Redevenu Premier ministre, Orban applique son programme avec la même ténacité que naguère, dans son combat contre l’ancien régime communiste. Dès 2010, il fait transférer la couronne de saint Étienne, premier roi de Hongrie, au Parlement, à côté de ses bureaux. Ses opposants le brocardent : « Pourquoi Orban a-t-il transféré la couronne ? Pour pouvoir l’essayer en secret chaque nuit. »

 

Le 25 avril 2011, l’Assemblée nationale hongroise adopte une nouvelle Constitution. Cette Loi fondamentale marque une rupture avec son passé libéral. L’ancien étudiant de la Fondation Soros se dit désormais « illibéral ». Il appelle à une réflexion politique nouvelle : « Nous devons comprendre les systèmes qui ne sont pas occidentaux, pas libéraux, pas des démocraties libérales, peut-être même pas des démocraties, et qui apportent quand même le succès à leurs nations, […] Singapour, la Chine, l’Inde, la Russie, la Turquie. » Il développe une approche non conformiste de la démocratie : « Elle n’est pas nécessairement libérale. » Même sans être libéral, assure-t-il, « on peut être démocrate ». Son procès de la démocratie libérale se veut patriote : « Elle n’a pas été capable d’obliger les gouvernements à défendre prioritairement les intérêts nationaux, à protéger la richesse publique et le pays de l’endettement. »

 

L’année 2010 marque le début d’une remise en ordre radicale du pays. Calviniste un peu austère, ce père de cinq enfants avait clairement annoncé la tonalité de son texte. La nouvelle Constitution fait d’abord référence aux racines chrétiennes millénaires de la Hongrie : « Il n’y a pas d’Europe libre sans États-nations et sans les milliers d’années de sagesse dues au christianisme », rappelait Orban en octobre 2016. Sur le plan sociétal, cette Loi fondamentale réaffirme la défense du mariage entre un homme et une femme et la protection de la vie dès sa conception. Pour ses adversaires, c’est une remise en cause du droit à l’avortement, la stigmatisation de l’homosexualité. La double nationalité offerte à 500 000 Magyars expatriés inquiète aussi les pays voisins concernés (Roumanie, Serbie notamment).

La Constitution place aussi les médias sous un contrôle plus strict de l’État. La détention provisoire devient illimitée. L’Europe s’inquiète pour la liberté de la presse et les droits de l’homme. José Manuel Barroso, alors président de la Commission européenne, fait part de sa préoccupation « sur le principe de la primauté du droit, le droit de l’Union européenne et les normes du Conseil de l’Europe ». Le tollé est tel en Europe qu’Orban et son gouvernement devront abandonner les aspects les plus controversés de la Loi, malgré la promesse faite à leur électorat de défendre un texte « gravé dans le granit ».

 

La priorité nationale voulue par Orban est réaffirmée, aux dépens des normes posées par le FMI et des habitudes prises par les grandes entreprises étrangères. Jusque-là toutes-puissantes, elles se voient soudain lourdement taxées et limitées dans leurs prérogatives. La réduction de 5 % du nombre de fonctionnaires, la division par deux du nombre des députés, la limitation du gouvernement à huit ministères et l’interdiction de verser des primes aux hauts fonctionnaires emportent l’adhésion de l’opinion. Les élections législatives d’avril 2014 en apportent la preuve. La Fidesz conserve sa majorité des deux tiers au Parlement.

 

En première ligne de la crise migratoire

 

La vague migratoire croissante depuis 2011 atteint des records à ce moment-là. Elle ouvre un nouveau contentieux avec l’Europe. La Hongrie est en première ligne. Entre janvier et juillet 2015, ce petit pays d’à peine 10 millions d’habitants compte plus de 100 000 entrées illégales (estimations de Frontex). Rapporté à la population française, ce serait l’équivalent d’une arrivée de 6 millions de clandestins !

 

Orban va faire cavalier seul, avec cette détermination qu’attendent ses électeurs. Le 26 juin 2014, lors du sommet des Premiers ministres de l’Union européenne tenu à Ypres (Belgique), il met en garde ses homologues européens : « Au lieu d’avoir une politique de financement de l’immigration, les pays européens feraient mieux d’accroître le financement du développement dans les pays d’origine, de se concentrer sur la stimulation de la natalité dans les pays européens. »

Un an plus tard, en juin 2015, rien n’a bougé. « Les mesures que prend l’Union européenne contre l’immigration clandestine sont insuffisantes », annonce-t-il. Il ordonne la construction d’une barrière à la frontière avec la Serbie, renforce les pouvoirs de l’armée et de la police et refuse le système des quotas décidé par l’UE pour répartir les migrants.

 

C’est un défi personnel à la chancelière allemande Angela Merkel qui a décidé d’accueillir un million de migrants en Allemagne, avant de proposer leur répartition dans toute l’Europe par un savant système des quotas. Pour la seule Hongrie, deuxième pays d’asile en Europe (rapporté à sa population) après la Suède, il conduirait à multiplier par six le nombre d’immigrants. « Ces règles européennes, c’est clair, cela ne marche pas, insiste Orban. S’il vous plaît, permettez-nous de défendre nous-mêmes les Hongrois ! »

Viktor Orban dénonce l’« impérialisme moral » allemand, reprenant sa diatribe de « résistance » de mars 2012 : « Nous ne serons pas une colonie ! Nous n’avons pas accepté le diktat de Vienne de 1848, puis nous nous sommes opposés à Moscou en 1956 et en 1990. Aujourd’hui, nous ne permettrons à personne de nous dicter notre conduite. »

Fort de deux mandats consécutifs de Premier ministre (élu en 2010, réélu en 2014), gagné chaque fois avec la majorité absolue, Orban riposte : « Je ne vois là aucune preuve d’un manque de démocratie ou de l’apparition d’un régime autocratique […] Les libéraux ont presque complètement disparu de l’arène publique en Hongrie. Je comprends que cela fasse enrager les libéraux européens mais, s’il vous plaît, n’en voulez pas aux électeurs hongrois, dont moi, pour cela. »

 

Le 19 mai 2015, Orban résume sa position devant le Parlement européen, dans une ambiance lourde : « On veut nous dicter ce dont nous avons le droit ou pas de débattre en Hongrie, mais c’est contre les traités européens. Nous, Hongrois, nous voulons décider par nous-mêmes si nous voulons des immigrés ou non. Nous n’avons pas assez de travail pour ceux qui viennent chercher chez nous une vie meilleure. D’autres pays veulent les accueillir ? C’est leur problème. Nous, nous voulons définir nous-mêmes notre politique. La proposition de la Commission européenne sur les quotas, c’est une folie. »

 

Isolé ou précurseur ?

 

Le refus d’Orban a fait des émules, en dépit de la rudesse de sa personnalité. La plupart des pays européens en première ligne – comme l’Autriche – ont pris par la suite des mesures plus restrictives pour contrôler l’immigration clandestine. « Sur le fond, il faut entendre ce que M. Orban a à nous dire, dit aussi l’Allemand Manfred Weber, président du groupe majoritaire PPE (conservateur) au Parlement européen. La Hongrie est une locomotive économique de l’Europe. » Professeur de droit, ancien ambassadeur de Hongrie en France puis ministre de la Justice de son pays depuis juin 2014, Laszlo Trocsanyi appelle l’Europe à ses responsabilités (le 13 juillet 2016 dans Le Figaro) : « Personne ne peut nier que la crise migratoire a démontré les faiblesses de l’Europe. Le signal d’alarme a été tiré par la Hongrie, et un signal d’alarme n’est jamais agréable. »

 

Viktor Orban s’assume d’autant plus en conservateur subversif qu’il sait que sa « résistance » à l’eurocratie bruxelloise trouve un écho favorable chez ses voisins d’Europe centrale où l’on refuse aussi le « chantage » et le « diktat » de Bruxelles. Sa stratégie d’influence régionale est aujourd’hui payée en retour. Elle sort la Hongrie de son isolement.

 

Confrontées aux mêmes problèmes migratoires, la République tchèque, la Pologne, la Slovaquie se montrent en effet tout aussi soucieuses que Budapest de défendre leurs intérêts. Ces pays du « groupe de Visegrad » – une « puissance » géopolitique de près de 70 millions d’habitants – ont rallié la coalition emmenée par la Hongrie pour faire bloc contre le système de répartition obligatoire des migrants voulu par l’Europe. Il organise une coopération étroite sur la sécurité des frontières. Réunis à Varsovie le 28 mars 2017, les quatre Premiers ministres ont rejeté une nouvelle fois les pressions de Bruxelles : « L’idée de relier les fonds qui nous sont dus de la part de l’UE avec la politique migratoire est mauvaise. En tant que groupe de Visegrad, on ne peut pas se laisser intimider. »

 

Conforté par des sondages très favorables, Orban avait validé sa politique, le 2 octobre 2016, par un référendum organisé sur une question sans équivoque : « Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? » La réponse n’avait pas surpris – près de 98 % de non – mais ce succès réel est resté entaché par une abstention massive, proche de 66 %, un chiffre cependant qui n’est pas exceptionnel en Hongrie.

Le soutien constant de l’opinion publique hongroise à la rude politique migratoire de Viktor Orban s’explique aussi par l’histoire. Les Hongrois gardent en mémoire, plus vivement qu’on ne le croit à l’Ouest, les décennies d’esclavage imposées par les Turcs, au tournant des xviie et xviiie siècles. Le territoire hongrois fut alors envahi, pillé, islamisé. Près de trois millions de Hongrois furent dispersés à travers l’Empire ottoman. Ce traumatisme apparaît de façon prégnante dans les livres d’histoire et la littérature, dans les contes et la mémoire des familles. Rien n’a été oublié. « Nous demandons du respect de la part de l’Union européenne », disent les Hongrois.

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.
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