Viêt Nam : L’histoire politique des deux guerres contemporaines 1858-1954 et 1945-1975

29 septembre 2020

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Viet Nam - 1964 DALMAS/SIPA

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Viêt Nam : L’histoire politique des deux guerres contemporaines 1858-1954 et 1945-1975

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Dans un ouvrage fouillé et profond, Nguyen Ngoc Chau livre une analyse de l’histoire politique récente de son pays qui fait la part belle au temps long. De l’intervention française de 1858 au bourbier américain qui se termine en 1975, un livre somme pour mieux comprendre l’histoire du Viêt Nam.

Si la mémoire de la guerre d’Algérie ne cesse de tarauder notre conscience nationale, plaie encore non entièrement colmatée, il n’en est pas de même pour la guerre du Vietnam, ce conflit éloigné qui s’est déroulé sous les tropiques, et n’a mobilisé que l’armée professionnelle, à peine sortie de la Seconde guerre mondiale. Après le traumatisme de Dien Bien Phu, les accords de Genève, du 22 juillet 1954, qui ont divisé de facto, une des perles de la colonisation française en deux , la classe politique, comme la population se sont largement désintéressées  du Vietnam. Avant que les Etats -Unis, malgré les énormes moyens déployés ne s’y enlisent à leur tour. Le Vietnam est devenu alors la cause sacrée d’une large partie de la jeunesse occidentale, qui s’est mobilisée contre l’impérialisme yankee, jetant un voile pudique sur le caractère répressif du régime communiste.

Penser le temps long

Il faut donc saluer la fresque très documentée, qui s’appuie   sur une connaissance approfondie de son pays natal, comprenant de nombreux noms vietnamiens, écrits dans leur graphie, que livre Nguyen Ngoc Chau, ingénieur diplômé de l’Ecole centrale, ancien enseignant et ancien cadre de banque, qui est revenu travailler au Vietnam en pleine guerre jusqu’à la chute de Saigon. La première originalité se son livre est qu’il replace l’histoire du Vietnam dans la longue durée depuis 1858. Si les périodes françaises (1945- 1954), puis surtout américaine (1956 – 1975) sont bien connues, ayant donné lieu à des centaines d’ouvrages, et de films, en revanche la période d’avant la Seconde guerre mondiale est largement méconnue, ce qui est bien dommage s’agissant de cette « perle » de la colonisation française qui a donné lieu à  bien des œuvres, littéraires.

Nguyên Ngoc Châu consacre des développements détaillés qui permettent de cerner au plus près ce qui est réellement arrivé. Le lecteur   y trouvera des réponses aux questions telles que : pourquoi y a-t-il eu répression des chrétiens qui a justifié officiellement l’intervention des Français en 1858 ? Qui sont les Hòa Hảo, qui sont les Cao Đài ? Comment le communisme s’est-il constitué dans le pays ? Hồ Chí Minh était-il « plus patriote que communiste » comme le pensaient certains ? A- t-il accepté que le pays devienne un État de l’Union Française telle qu’envisagée en mars 1946 lors de la Conférence de Fontainebleau par les Français? Quel a été le rôle du Général de Gaulle dans le retour des Français en Indochine en 1945 ? Qu’a-t-il discuté avec le Prince Duy Tân le 14 décembre 1945 ? Ce dernier épisode, mal connu, aurait pu orienter l’avenir du Vietnam dans une tout autre direction, comme un pays associé à la France s’acheminant peu à peu vers une indépendance qui n’aurait pas été une rupture, évitant certainement des millions de morts !

Entre débat historiographique et histoire personnelle

Mais  l’apport vraiment original de ce livre se trouve dans ls seconde moitié : chapitre 11 à 18 . Ces pages mettent fin à un non-dit de l’historiographie du Vietnam à savoir les tentatives d’édifier un État authentiquement vietnamien mais distinct, différent et opposé à celui qui fut proclamé le 2 septembre 1945 à Hanoi par les communistes vietnamiens sous le couvert de l’union nationale. C’est un chapitre complétement oublié, les perdants n’ayant pas le droit à la parole. Mais peut-être que le Vietnam aurait pu emprunter une tout autre voie, qui lui aurait épargné des millions de morts ! En effet le père de l’auteur, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, puis, condamné à mort, gracié, titulaire d’un diplôme de médecine après son exil en France aurait pu être amené à présider les destinées du Vietnam d’après 1954.

Nguyễn Ngọc Bích , dont il s’agit, faisait partie d’un groupe secret d’intellectuels – pour la plupart des technocrates formés et résidant en France , animé par la volonté d’offrir au pays une issue autre celle de la guerre, celle de  développer les deux parties du pays pour rattraper le retard sur ses voisins et éviter de dépendre de la Chine, le vrai ennemi de toujours : négociations Nord-Sud pour une coopération économique et commerciale avant une unification pacifique dans le long terme   lorsque les conditions seraient devenues favorables. Une coopération commerciale et économique pourrait aider à rendre les deux parties du pays moins dépendantes de l’étranger. Le Nord Việt Nam avait un vrai problème d’approvisionnement en riz, n’ayant plus accès au grenier à riz du Sud. Les circonstances ne le permirent pas. Etaient -elles même possible ? C’est la ligne dure des deux côtés qui triompha Tant que le Vietminh menait un « juste » combat de libération nationale, puis se levait contre l’impérialisme américain il était paré de toutes les vertus. Mais la tragédie du Cambodge, l’odyssée de boat people, lorsque des milliers de Vietnamiens cherchaient à fuir leur pays au péril de leur vie, commença à relativiser bien des choses…

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La première guerre de l’histoire contemporaine de ce pays, la « guerre d’indépendance », était placée dans le contexte d’une lutte contre le colonisateur français qui l’avait envahi pour, selon ce dernier, mettre fin à la répression des chrétiens et obtenir son ouverture au commerce, comme ce fut le cas à l’époque au Japon et en Chine avec le Traité de Nankin de 1842. En fait l’objectif de la France était d’obtenir, à son tour, un territoire sur sa route entre l’Inde et la Chine, comme en possédaient déjà ses concurrents britanniques, portugais, espagnols et hollandais. L’opposition multiforme, combinant revendications pacifiques et résistances armées, devint une véritable guerre qui aboutit quatre-vingt-seize ans plus tard par le départ de la France. Entre-temps, les idées en provenance de l’Est (n’oublions pas qu’Ho Chi Minh, participa au Congrès de Tours en décembre 1920 qui vit la scission de la SFIO et la naissance du Parti communiste français) comme de l’Ouest avaient fini par influencer fortement la société vietnamienne, et à la guerre contre l’envahisseur, s’ajouta une autre, celle-là civile, tout au plus autant sinon plus violente encore. Les accords de cessez-le-feu signés à Genève le 21 juillet 1954 – imposés par les grandes puissances – mirent fin à la « guerre d’indépendance » et divisèrent le Viêt Nam en deux, la République Démocratique du Việt Nam de régime marxiste-léniniste au nord du 17e parallèle et l’État du Việt Nam de régime démocratique au sud du même parallèle.

La deuxième guerre, « la guerre idéologique », ou « la guerre Nord Sud », entre Vietnamiens communistes et Vietnamiens nationalistes, prit forme dès août 1945 avec le massacre de nationalistes connus (Phạm Quỳnh, Bùi Quang Chiêu, Ngô Đình Khôi, …) par les communistes, alors que la « guerre d’indépendance » entre Français et Vietnamiens n’avait pas encore débutée. Après les accords de Genève de 1954, les communistes vietnamiens, qui venaient de gagner la bataille de Điện Biên Phủ contre les Français, frustrés de ne pas pouvoir aller jusqu’à la victoire totale pour reprendre l’intégralité du pays, n’aspiraient qu’à réunir celui-ci sous leur direction.   Les Vietnamiens du Nord montèrent  alors un Front de Libération  ( FLNSV) antigouvernemental dans le Sud et y envoyèrent du matériel et des troupes pour mener, d’abord une guerre subversive visant à déclencher un  hypothétique  soulèvement de la population– puis, une guerre généralisée de conquête classique.

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Les États-Unis, par peur des répercussions futures sur le monde et sur leur propre pays, intervinrent au Việt Nam pour endiguer son développement suivant la « théorie des dominos » . La lente agonie de Nixon, la crise économique et de l’énergie, le dégoût de l’opinion américaine pour les affaires d’Indochine, sont autant de facteurs qui pèsent lourd dans la balance des forces. Nixon avait demandé une aide militaire de 1,45 milliard de $. La vaste offensive lancée début janvier 1975 par la Vietnam du Nord déferle.  Après la prise d’Hué, le 26 mars la « campagne Hô Chi -Minh » est déclenchée. Le 16 avril, Ford ordonne l’évacuation de tous les fonctionnaires américains. Cela aboutit, le 30 avril, à la chute de Saigon.  Phnom Penh était tombé, le 17 avril aux mains des Khmers rouges, ouvrant la porte à   l’un des grands génocides du siècle qui   a tardé à être reconnu par les  tribunaux, ainsi qu’à la tragédie des boat people  vietnamiens. L’image de l’évacuation des derniers responsables américains et de leurs alliés sud vietnamiens par hélicoptère du toit de l’ambassade américaine figurera parmi les icônes les moins glorieuses de l’histoire américaine de cette fin de siècle.

Le 30 avril, le général sud -vietnamien Minh  attend  le colonel nord -vietnamien pour lui  remettre le pouvoir,  « Il n’en est pas question  lui  répond ce  dernier. Vous ne pouvez donner ce que vous n’avez pas ». Tchang Kaï -chek, après la victoire communiste en 1949, avait fui à Formose. Nguyen Vân  Thiêu, ( 1923- 2001) le 26 avril, en fît de même). Le 23 août, le Pathet Lao évince les autres forces politiques du pouvoir. L’armée américaine ne put intervenir.  « Notre drame, national d’abord nous paralysa, puis nous submergea » avoua Kissinger. « La guerre du Vietnam n’a pas été perdue sur les champs de bataille de l’Asie. Elle a été perdue   dans les antichambres du Congrès, dans les salles de délibération des sociétés, dans les salles de rédaction des   grands journaux et de grands réseaux de télévision. Elle a été perdue dans les réceptions de Georgetown, dans les salons du « beau monde » de New York et dans les amphithéâtres des grandes universités ».

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D’ où la conclusion de l’auteur que chacun appréciera à l’aune de  ses convictions : « Suite à la défaite du Sud le 30 avril 1975, environ deux millions de Vietnamiens se réfugièrent à l’étranger où ils devinrent citoyens de pays les plus divers : États-Unis, France, Norvège, Suisse, Israël, etc. Retenons aussi l’allocation suivante du Parti Lao Động à une commémoration du soulèvement des nationalistes à Yên Bái en 1930 : « […] Ne vous méprenez pas sur le fait qu’en commémorant Yên Bái nous applaudissons le nationalisme et admirons pleinement les dirigeants du Parti Nationaliste Vietnamien. Nous devons saisir cette occasion pour exprimer devant tout le peuple que le communisme et le nationalisme sont comme le jour et la nuit et qu’ils ne peuvent pas être ensemble et se combiner. » Ironie de l’histoire, les États-Unis dépensèrent deux cents milliards de dollars, déversèrent des millions de bombes, sacrifièrent plus de 58 000 de leurs « boys » et firent d’innombrables victimes au Việt Nam, pour que ce pays ne devienne pas entièrement communiste – et il… le devint et le resta –. Alors qu’avec la dissolution de l’URSS en 1991, des nombreux pays qui avaient opté pour le régime marxiste-léniniste, il ne resta plus que quatre – Cuba, le Laos, le Việt Nam et la Chine – sans qu’ils eussent à bouger le petit doigt… Et encore, l’échec du système économique communiste fit que ces pays ne conservent encore de cette idéologie que le pouvoir sans partage du Parti. »

Ces deux “courts ” intervalles de 96 années – guerre d’indépendance (1858-1954) – et de 30 années – guerre idéologique (1945-1975) – firent suite à la longue histoire d’un pays qui existe en tant qu’Etat constitué depuis déjà de nombreux siècles, un pays, peuplé aujourd’hui de plus de 100 millions d’habitants, qui veut combler son retard et accéder à la modernité technologique.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

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Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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