Quiconque alerte sur les problèmes récurrents d’équilibre et d’équité de notre système de retraites se heurte à un mur, ou plus exactement à une mythologie : celle du Conseil national de la Résistance (CNR) et de son fameux programme qui, aujourd’hui encore, continuent d’aveugler tout l’échiquier lorsqu’il s’agit de réformer.
C’est oublier que notre système de retraites actuel est d’abord l’héritier du régime de Vichy, lequel rejeta les régimes par capitalisation avant même que le CNR et la Libération ne consolidassent les bases de la répartition. C’est oublier aussi que le général de Gaulle lui-même prit rapidement ses distances avec le CNR, entretemps tombé entre les mains des communistes et de leurs affiliés, au profit d’une ligne économique plus libérale. Depuis lors, hélas, tous les gouvernements successifs ont nourri l’une des vaches les plus sacrées de notre histoire politique. Prétendument général, égalitaire et à l’abri des lois du marché, notre système de retraites est en vérité fragmenté, inéquitable et largement financé par l’endettement public (donc par le marché) au péril des générations futures.
En 2020, selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le solde de nos régimes de retraite serait ainsi déficitaire pour un montant de 23,5 milliards d’euros, soit 1,1 % du PIB. Sachant que les dépenses du système de retraites représentent un montant équivalent à 15,2 % du PIB, cela signifie que le déficit s’élève à plus de 7 % des dépenses. Lorsque le déficit et l’endettement financent une part aussi significative des dépenses courantes, on sort de la logique d’un régime de retraite par répartition, car on viole le pacte tacite conclu entre les générations sur lequel est fondée la répartition. Ce pacte intergénérationnel implique en effet que l’on finance les dépenses du système à partir des ressources des générations courantes, non en ponctionnant celles des générations actives futures. Or, la persistance du déficit, amené d’après le COR à se poursuivre jusqu’en 2045 au moins, nous fait abandonner la philosophie originelle de la répartition au profit d’un système sui generis trompant à large échelle les futurs actifs.
Des problèmes devaient mécaniquement advenir pour un système dont les règles ont été bâties à une époque où la démographie était en expansion et l’économie prospère. Nécessaire hier, la réforme des retraites est, vu le choc de la pandémie sur nos finances publiques, devenue indispensable aujourd’hui. La repousser au prétexte que « ce n’est pas le bon moment » ne ferait qu’en accentuer les coûts. Et puisqu’il faut à tout prix proscrire une augmentation des cotisations sociales, dont les dommages infligés à l’activité économique seraient d’autant plus grands que l’économie est aujourd’hui en mauvaise santé, c’est sur le partage entre vie personnelle et vie professionnelle, entre temps de travail et temps de retraite qu’il faudrait agir. Mettre immédiatement fin au déficit sans augmenter les cotisations vieillesse n’est envisageable que si nos régimes de retraite ont la possibilité de constituer rapidement des réserves suffisamment dotées pour pouvoir amortir les tensions économiques et démographiques tendancielles. S’interdire l’accumulation de réserves en capital pour des engagements aussi longs que ceux de la retraite relèvent du dogmatisme le plus idiot (ce que pratiquement tous les pays développés ont compris).
Outre le recours à la capitalisation comme complément intelligent de la répartition, il apparaît nécessaire de repousser très rapidement l’âge de départ effectif à la retraite à 65 ans et, à moyen terme, l’aligner idéalement sur celui de l’Allemagne, c’est-à-dire 67 ans. Les régimes spéciaux doivent être supprimés au nom de l’équité. Leur suppression et leur alignement sur le régime général seraient d’autant plus légitimes que, sans l’appel habituel à la solidarité et la perfusion de l’État, autrement dit le remplacement de l’assuré par le contribuable, ces régimes foisonnants n’auraient pas les moyens de leur autonomie et ne seraient pas en mesure de financer de tels niveaux de pensions. Ne tergiversons pas et ne perdons pas encore plus de temps à engager une transition si profonde qu’elle prendra une génération entière à produire ses pleins effets.
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