Veolia, partenaire incontournable de la croissance verte de l’industrie. Entretien avec Antoine Frérot

22 novembre 2024

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Antoine Frérot. (c) M. d'Inguimbert.

Abonnement Conflits

Veolia, partenaire incontournable de la croissance verte de l’industrie. Entretien avec Antoine Frérot

par

Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes et de transformations économiques, Antoine Frérot, président du conseil d’administration de Veolia et ancien PDG du groupe, nous expose sa vision du monde de demain et le rôle d’un groupe international comme Veolia dans la réindustrialisation, la transition écologique et l’adaptation à une mondialisation en mutation.

Propos recueillis par Paulin de Rosny

P. de R. : Le contexte mondial actuel – entre tensions géopolitiques, montée des nationalismes économiques et défis climatiques – pose de nombreux défis. Quelle est votre perspective sur ce grand bouleversement du monde et son impact pour une entreprise comme Veolia ?

A. F. : En effet, nous vivons une période de transformations profondes. Les tensions géopolitiques sont de plus en plus vives, et avec elles, des menaces de conflits armés, mais surtout de guerres économiques. La mondialisation telle que nous l’avons connue, dominée par des échanges libres et intenses, se redéfinit face à un retour des nationalismes économiques. On pourrait dire que les 40 dernières années de globalisation sont aujourd’hui réévaluées, voire remises en cause.

Ces changements représentent un défi, mais aussi une opportunité pour Veolia. Notre positionnement d’entreprise de services présente une particularité : nous nous implantons au plus proche des territoires où nous intervenons. Contrairement aux entreprises qui peuvent délocaliser des unités de production, nous restons là où se trouvent nos clients, au plus près des besoins des populations. Cela nous permet de limiter les impacts des bouleversements économiques globaux, tout en nous confrontant aux réalités locales, notamment réglementaires et culturelles, qui influencent fortement nos activités.

P. de R. : Comment Veolia s’adapte-t-elle face à ce protectionnisme croissant ?

A. F. : Nous avons fait de l’ancrage local une stratégie essentielle, particulièrement dans des contextes où les tentations protectionnistes s’intensifient. L’un des leviers majeurs pour y parvenir est de travailler en partenariat avec des acteurs locaux, en intégrant souvent des coactionnaires issus des collectivités publiques. Par exemple, dans nos zones de forte implantation comme l’Europe de l’Est, nous collaborons avec les collectivités locales pour gagner leur confiance, renforcer notre légitimité et surtout, garantir une réponse adaptée aux besoins spécifiques de chaque territoire.

Cela nous permet d’être perçus comme un acteur local – en République tchèque, nous sommes « tchèques », en Hongrie, nous sommes « hongrois ». En agissant ainsi, nous bénéficions d’un soutien local et nous évitons d’apparaître comme un groupe étranger imposant des solutions d’ailleurs. Ce modèle nous permet aussi de garder le contrôle opérationnel, car nous devons garantir la qualité de nos services, respecter les mêmes standards dans chaque pays tout en partageant les bénéfices avec nos partenaires locaux. Cette approche nous a permis de naviguer au milieu des tensions croissantes en Europe et dans le monde, et c’est une stratégie qui prouve chaque jour son efficacité.

À lire également

Podcast. Démondialisation et protectionnisme. Guillaume Vuillemey

P. de R. : Vous mentionnez l’Europe de l’Est. Quelles sont les régions prioritaires pour Veolia aujourd’hui en termes de développement ? 

A. F. : Traditionnellement, nous avons connu une croissance forte en Asie, en particulier en Chine. Ce marché, pour lequel nous avions de grandes ambitions, a toutefois évolué. Le ralentissement économique chinois, conjugué aux nouvelles orientations politiques de Pékin et à la crise de la dette, a fortement réduit nos perspectives de croissance. Bien que la Chine reste un acteur de premier plan pour Veolia, nos efforts se tournent désormais vers des régions qui offrent de nouvelles opportunités.

L’Amérique du Nord, par exemple, est en pleine expansion grâce aux plans d’investissements de l’administration Biden, notamment en infrastructures vertes. Le programme Build Back Better stimule l’économie américaine, avec une attention nouvelle pour les secteurs de l’eau, des déchets et des infrastructures environnementales. Cela représente un potentiel significatif pour Veolia, qui peut apporter des solutions de gestion de l’eau, de traitement des déchets toxiques, et contribuer à des projets de modernisation de l’industrie.

Le Moyen-Orient est également un pôle de développement majeur pour nous. Dans cette région, la demande pour des solutions environnementales est forte, car les pays cherchent à relever des défis critiques comme la rareté de l’eau et la gestion durable des ressources. Nous nous investissons donc pleinement dans ces marchés.

P. de R. : Qu’en est-il de l’Europe centrale, où Veolia semble également bien implantée ?

A. F. : L’Europe centrale est en effet une région stratégique pour nous, car elle a des besoins structurels qui correspondent exactement à nos domaines d’expertise. Des pays comme la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Roumanie font face à des enjeux d’infrastructure importants, notamment en matière de gestion de l’eau, de traitement des déchets et d’assainissement. Leur entrée dans l’Union européenne a impliqué de respecter des normes environnementales plus élevées, ce qui nous a ouvert des opportunités considérables.

Notre présence dans ces pays est perçue comme bénéfique, car nous contribuons à l’amélioration des services publics tout en apportant notre savoir-faire technologique et environnemental. Dans cette région, le potentiel de développement est encore très important, et nous prévoyons de poursuivre nos investissements. Cette région est dynamique et en pleine transformation, avec une demande croissante pour des solutions de qualité.

À lire également

Que faire des déchets de la mondialisation ?

P. de R. : La concurrence est-elle un enjeu pour Veolia, notamment en Europe où le marché est structuré par des réglementations antitrust strictes ?

A. F. : La concurrence, bien sûr, est toujours un enjeu, mais Veolia a un positionnement unique. Nous sommes le seul groupe au monde qui regroupe l’eau, les déchets et l’énergie sous un même toit, et cela nous donne un avantage stratégique. La plupart de nos concurrents sont spécialisés dans un seul secteur et ont une présence géographique plus restreinte. Cette structuration de notre offre nous permet de proposer des solutions intégrées, qui deviennent de plus en plus essentielles dans un monde où les problématiques environnementales sont transversales.

En Europe, la politique antitrust a parfois été un frein à la création de grands champions industriels. La concentration sur la protection du consommateur a empêché l’émergence de groupes capables de rivaliser à l’échelle mondiale, notamment face aux grands groupes chinois ou américains. Dans notre cas, cela a été particulièrement visible lors de notre acquisition de Suez. La Commission européenne a imposé des cessions d’actifs pour maintenir la concurrence en Europe, ce qui nous a permis de nous concentrer sur les marchés où nous avons une réelle valeur ajoutée. Néanmoins, je pense qu’une approche plus équilibrée de la part de l’Europe serait bénéfique, surtout face à des concurrents internationaux soutenus par des politiques industrielles ambitieuses.

P. de R. : Vous êtes leader mondial dans le secteur des services environnementaux, et l’innovation semble jouer un rôle essentiel dans votre stratégie. Comment abordez-vous ce domaine, sachant que vos services nécessitent une robustesse extrême ?

A. F. : L’innovation est un levier fondamental pour nous, mais elle doit répondre à des exigences très strictes de robustesse et de fiabilité. Dans nos métiers, une innovation doit être éprouvée sur le long terme avant d’être déployée à grande échelle.

Par exemple, le traitement de l’eau ou la gestion des déchets dans une grande ville ne peuvent pas tolérer de dysfonctionnements. Nous devons nous assurer que toute nouvelle technologie est fiable, et cela prend du temps. En général, une innovation passe plusieurs années en phase de tests avant d’être intégrée dans nos processus. Nous avons environ une décennie entre le moment où une idée sort du laboratoire et celui où elle est commercialisée à grande échelle.

Nous travaillons en étroite collaboration avec des start-ups et des laboratoires pour rester à la pointe des innovations en développement. Dans certains cas, nous rachetons des start-ups prometteuses qui développent des technologies utiles à nos activités. Ce modèle nous permet de garder une longueur d’avance, tout en maintenant les standards de qualité que nos clients, qu’ils soient publics ou privés, attendent de nous. Nos solutions doivent être robustes, car elles répondent à des enjeux critiques pour la société et l’environnement.

P. de R. : Vous avez mentionné l’importance de la réindustrialisation verte en France. Comment Veolia s’implique-t-elle dans ce mouvement ?

A. F. : La réindustrialisation verte est une nécessité, et elle s’inscrit pleinement dans notre vision du développement durable. En France, nous soutenons de nombreux projets qui vont dans ce sens. Nous travaillons par exemple sur des initiatives de recyclage pour les batteries électriques, ce qui est essentiel dans le cadre de la transition énergétique. Nos solutions permettent de réduire les émissions de CO₂, de préserver les ressources naturelles, et d’encourager une économie circulaire. Ces projets répondent aux besoins des collectivités et des industries françaises, tout en limitant l’empreinte écologique des activités.

La réindustrialisation verte va de pair avec la transition écologique et Veolia a un rôle central à jouer dans ce processus. Nos solutions, qu’elles soient dans le traitement des déchets, l’optimisation des usages de l’énergie, ou la gestion de l’eau, permettent de répondre aux nouveaux défis environnementaux et de soutenir les industries dans leur transition. La France, comme d’autres pays, a compris qu’il n’y a pas de développement durable sans une maîtrise des ressources naturelles et une réduction de l’impact environnemental de l’industrie.

À lire également

Les villes, premiers moteurs de la réindustrialisation en France

P. de R. : Et comment se déroulent vos relations avec les pouvoirs publics en France ? La politique actuelle favorise-t-elle cette dynamique de transition ?

A. F. : Nous entretenons des relations constructives avec les pouvoirs publics. Les gouvernements récents ont montré une volonté de favoriser le développement économique et de renforcer les liens entre les entreprises et la société. Nous avons assisté à des avancées majeures, notamment en matière de fiscalité, et les efforts pour réduire le chômage et attirer des investissements étrangers ont été significatifs. Cela nous permet de continuer à croître en France, tout en jouant un rôle de partenaire stratégique pour l’économie française.

Cela dit, il est crucial que l’État maintienne cet accompagnement des entreprises, notamment pour les aider dans leur transition écologique. Nous espérons que la politique gouvernementale continuera d’aller dans ce sens et qu’elle offrira des moyens concrets aux entreprises pour qu’elles puissent s’adapter aux enjeux environnementaux et économiques.

Mots-clefs : , ,

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Antoine Frérot. (c) M. d'Inguimbert.

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest