Du fait de sa force ou de sa direction, le vent participe de l’organisation des territoires, soit que les hommes s’en protègent soit qu’ils cherchent à en tirer parti. Les techniques modernes de navigation et de construction s’affranchissent désormais de l’impondérable venteux, mais demeurent, dans les paysages et les mythologies populaires, les traces et les permanences des vents régionaux.
« Une cinquantaine de bâtisses mitoyennes, dont la blancheur n’était restée que dans leur nom, bordaient cinq ou six rues sans trottoir ni bitume ; rues étroites à cause du soleil, tortueuses à cause du mistral. » Ainsi Marcel Pagnol décrit-il les Bastides Blanches dans Jean de Florette, là où se joue le drame du village de Provence. Le mistral, l’un des trois fléaux de la Provence, violent et froid, descendant du nord le long de la vallée du Rhône. Un vent redouté que le géographe Strabon (60-20) décrit en ces termes dans sa Géographie : « […] il souffle dans l’étendue, surtout de la Crau, un vent septentrional d’une violence horrible. On dit qu’il ébranle et qu’il entraîne les pierres, qu’il enlève les voyageurs de dessus leur voiture, et qu’il leur arrache leurs armes et leurs habits. » Le vent façonne les paysages, modèle les crêtes, provoque l’organisation humaine. Les hommes peuvent chercher les vents favorables, ceux qui apportent la pluie pour l’irrigation, l’énergie pour la navigation ou au contraire se protéger des vents qui nuisent à son implantation. Si les techniques modernes permettent désormais de s’en affranchir, tant pour le transport que pour la construction, les terroirs de France conservent la trace des aménagements conditionnés par les vents.
Vents de la terre, vents de la mer
Il y a les vents qui viennent de la terre et qui soufflent vers la mer et ceux qui opèrent le chemin inverse. La tramontane est un même nom pour désigner deux vents différents. Dans le Languedoc, elle naît dans les Pyrénées, froid, violent (plus de 100 km/h en rafales), sec, se dirigeant vers le golfe du Lion. Elle agite la mer, provoque bourrasques et impétuosités maritimes. Mieux vaut ne pas naviguer à voile quand elle souffle. En Méditerranée, elle descend la vallée du Rhône jusqu’à la mer, dégageant le ciel de tout nuage. Comme pour le mistral, elle écarte la pluie.
À l’inverse, le marin et le sirocco sont orientés de la mer vers la terre. Gorgé d’humidité prise au-dessus de la Méditerranée, le marin apporte la pluie et la douceur. Il rabat les voiles vers la terre et souffle jusqu’aux Cévennes et au pied des Alpes-de-Haute-Provence. Né au Maghreb, très chaud, sec et poussiéreux, le sirocco peut traverser la Méditerranée et aller au-delà des Alpes, apportant avec lui un temps frais et pluvieux. À Paris, le long de la Loire et même jusqu’en Autriche, le marin offre ce paysage curieux de particules rouges et jaunes déposées la nuit par le sirocco venu du Sahara, laissant rues et voitures comme sous une tempête de sable. Ce vent fort venant du sud provoque une surcote des marées, aggravant le phénomène d’acqua alta à Venise, joie des touristes chinois, détresse des habitants de la lagune.
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Effet de foehn
Le relief montagneux est coutumier de l’effet de foehn. Lors de sa rencontre avec la montagne, le vent suit le relief et gagne en altitude. La pression atmosphérique diminuant avec l’altitude, la température de l’air diminue elle aussi. La vapeur d’eau contenue dans l’air se condense et tombe sous forme de pluie ou de neige, les nuages restant bloqués au niveau du relief. Lorsque l’air redescend de l’autre côté du versant, il se comprime sous l’effet de l’accroissement de la pression et donc sa température augmente. Cet effet de foehn engendre une différence de température et de précipitation entre le versant au vent (flèche bleue) et le versant sous le vent (flèche rouge). Cela engendre bien évidemment une différence d’habitat et de terroirs. Aux versants au vent les alpages et les pistes de ski, aux versants sous le vent, les villages, ainsi protégés du froid et des précipitations.
Après la plaine et la montagne, c’est bien évidemment en mer que les vents jouent un rôle essentiel. La marine française en fit l’amère expérience lors de la bataille des Cardinaux (1759) quand les Anglais eurent le vent de dos et la flotte conduite par le comte de Conflans, le vent de face et de côté. Cela facilita grandement les Anglais qui purent ajouter une victoire supplémentaire dans cette guerre de Sept Ans. Le vent contribue à l’érosion littorale et donc à façonner le trait de côte. Soit par érosion directe soit en provoquant la houle et donc le sens des vagues, qui viennent lécher au même endroit des littoraux aux pierres tendres et érodables. Le vent informe aussi les arbres, dont les troncs tordus et ployés indiquent le sens de circulation, quand certains, notamment les pins et les arbustes, conservent une petite taille afin de limiter leur emprise, le tout à l’abri des rochers. Fut un temps où les villes littorales disposaient leurs rues perpendiculairement au vent pour s’en prémunir. Pour avoir oublié ces principes élémentaires, la Brest de l’après-guerre est désormais une ville aux prises avec les souffles marins.
Des siècles durant, le sens des vents et leur intensité ont orienté l’organisation des maisons, des fenêtres, des villages, des ports aussi. Par sa technique et son inventivité, l’homme a su déjouer les déterminismes et s’affranchir, parfois, des conditions climatiques. Reste du vent une poésie, des chansons populaires, des toponymes et des souvenirs.
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