Quand la technique permet de conserver et de sublimer une ville, cela donne l’exposition « Venise révélée ». Grâce à l’usage de nouvelles technologies, les rues, les palais, les tableaux sont restitués dans leur intégralité. Une promenade inédite dans la Venise des doges réalisée au Grand Palais immersif.
Venise révélée, 21 septembre 2022, 19 février 2023. Grand Palais immersif, Paris 12e.
L’atout de l’exposition réside dans les techniques employées pour scanner et filmer la ville, en la restituant ensuite sur de grands écrans. Mais il ne s’agit pas d’un simple film, mais d’une immersion complète dans les ruelles et les canaux de la ville. Grâce à une numérisation par pixel, il est possible de zoomer, d’entrer dans les palais, de se hisser au niveau des peintures murales, le tout avec une qualité visuelle inégalée. Une technique expliquée par le dossier presse du Grand Palais :
« Toutes les images sont extraites d’un modèle 3D massif, réalisé à l’aide de drones par l’équipe d’Iconem en 2021 [lors du confinement], qui reconstitue, grâce à la technologie de la photogrammétrie, l’ensemble de la ville en volume. Cet univers virtuel recompose par des milliards de points, avec une grande précision à la fois l’espace urbain, l’architecture des palais et les détails des peintures à l’intérieur.
Cette matière numérique permet de porter un nouveau regard sur la ville et l’architecture. Ces visualisations nous permettent de voir à travers la matière et, ainsi, de comprendre la structure du réel, à la fois le décor et l’envers du décor. Ainsi, l’exposition a été motivée par l’idée de révéler, par l’imagerie, la structure interne qui compose l’architecture et l’espace urbain pour comprendre Venise dans ses dimensions techniques, structurelles, scénographiques et théâtrales.
Tout au long du parcours, les images 3D sont déployées dans l’espace, en vidéo, sur des panneaux monumentaux, en créant une épaisseur à l’image dans laquelle le public pénètre ou disparaît. »
Une démarche pédagogique
Une impression visuelle très réussie, qui donne vraiment l’impression « d’y être ». Mais l’exposition se limiterait à une prouesse technique si elle n’était que films et reproductions, or elle va bien au-delà. C’est toute l’histoire technique de la ville qui est expliquée, grâce à des bornes numériques qui mettent en image les techniques utilisées pour bâtir et conserver Venise. Ainsi de l’usage du bois, depuis la découpe en forêt jusqu’au transport des rondins ; du fonctionnement des salines, Venise ayant été jusqu’au XIIe siècle une ville majeure pour le commerce de cette matière première ; des canalisations, des plomberies et des citernes qui permettent de récupérer l’eau douce, de la stocker et de la consommer. Ce n’est pas une exposition sur l’art de Venise ou sur son empire, même si cela est évoqué à la marge, mais sur la ville elle-même, son urbanisme, sa construction, son édification. Et c’est dans cet urbanisme que le visiteur est convié à se déplacer pour en découvrir toutes les richesses.
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Cette exposition est une réponse à une mauvaise forme de tourisme de masse. Grâce à la généralisation de cette technique, il sera possible de s’immerger dans les grandes villes historiques et d’en découvrir les facettes sans avoir besoin de s’y rendre. Si cela ne remplace pas le voyage physique, cela permet une première expérience qui peut largement combler un grand nombre de personnes.
Le fruit du travail des hommes
Un bémol cependant, Venise est présentée comme étant le fruit d’un miracle. Rien n’est plus faux. L’installation et le développement de Venise ne sont nullement le fait d’un miracle, mais du travail acharné des hommes pour habiter cette lagune insalubre puis la transformer en ville-monde. C’est parce qu’ils étaient chassés par les Lombards que les premiers hommes se sont installés dans ces îles au Ve siècle, par nécessité de se protéger en se mettant à l’abri des incursions. De là, ils ont développé des méthodes pour stabiliser la terre, notamment grâce aux pieux en bois, ce qui permit l’édification de maisons. Le contrôle de la technique du bois d’une part, des salines d’autre part, couplés aux échanges commerciaux, permis de faire de ces îles insalubres la Venise que l’on connait aujourd’hui. Comme le rappelait avec humour l’économiste Serge Schweitzer, le capitalisme a donné Venise et le socialisme Sarcelles. Et c’est une nouvelle fois grâce au travail et à l’inventivité humaine que cette exposition a pu être réalisée.
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