<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un pôle oublié de la mondialisation : l’Union économique eurasiatique

12 septembre 2020

Temps de lecture : 13 minutes

Photo : Réunion de l'UEE à Moscou le 25 octobre 2019 (c) Yekaterina Shtukina/POOL/TASS/Sipa USA/27895371/MB/1910251948

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Un pôle oublié de la mondialisation : l’Union économique eurasiatique

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Forte de près de 180 millions d’habitants, l’Union économique eurasiatique (UEE) est en passe de devenir la principale organisation commerciale de cet espace, interface et pont entre Europe et Asie. Des ambitions commerciales régionales aux prétentions géopolitiques à échelle mondiale, l’UEE se voit en nouveau pôle de la mondialisation dans lequel la Russie s’apparenterait à un véritable pivot et point d’achoppement des pays émergents.

En décembre 2012, la secrétaire d’État des États-Unis, Hillary Clinton, déclara : « cela ne portera pas le nom d’URSS. Cela portera le nom d’Union douanière, d’Union économique eurasiatique, etc., mais ne nous y trompons pas. Nous en connaissons les buts et nous essayons de trouver le meilleur moyen de le ralentir ou de l’empêcher [son établissement]. » Cette sentence illustre les problématiques et les enjeux qui entourent l’UEE et qui font d’elle, dès sa conception, un acteur majeur de l’ordre international contemporain.

Fondée à Astana le 29 mai 2014 par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, l’UEE compte aujourd’hui cinq États membres depuis l’arrivée de l’Arménie en octobre 2014 et du Kirghizistan en août 2015. Cette union économique de libre-échange reprend une idée ancienne d’associer les États de l’espace post-soviétique au sein d’une coopération commerciale approfondie. Au contraire de la Communauté des États indépendants (CEI), créée le 25 décembre 1991 pour prendre la suite de la défunte Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), qui ne prévoyait que la mise en place d’accords économiques bilatéraux, l’UEE entend bâtir un cadre institutionnel qui puisse présider à un espace commun de libre-échange.

Ayant pour objectif d’encourager la libre-circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes, elle s’apparente aussi à un pôle géopolitique de taille qui, avec la Chine, entend faire concurrence aux ambitions diplomatiques occidentales dans la région. S’étendant sur près de 20 millions de km2 et regroupant plus de 185 millions d’habitants, l’UEE demeure donc un acteur majeur de l’ordre international et, qui plus est, un concurrent direct de l’Union européenne (UE).

 

Une organisation internationale commerciale intégrée dans la mondialisation

Moins contraignante que son modèle, l’UE, qui s’apparente à une organisation économique, politique et juridique supranationale, l’UEE entend rester fidèle aux préceptes de Noursoultan Nazarbaïev qui affirmait, en mai 2014, que « cette union est économique et ne touche pas à la souveraineté des États participants. » Comme l’indique son intitulé, sa vocation est avant tout économique. Bâtie pour aboutir à un « développement stable des économies nationales face aux difficultés macroéconomiques et aux défis globaux auxquels font face tous les États », elle entend intégrer l’Asie centrale sur le marché mondial. Comme le disait V. Poutine, « la combinaison des ressources naturelles, du capital et du fort potentiel humain permettra à l’Union eurasienne d’être compétitive dans la course industrielle et technologique, dans la compétition pour les investisseurs, pour la création de nouveaux emplois et d’industries avancées […]. Ce n’est qu’ensemble que nos pays pourront devenir l’un des leaders de la croissance mondiale et du progrès civilisationnel, réussir et prospérer. » 

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Mais seuls les chiffres peuvent exposer les performances de l’Union. Les exportations des États membres vers des pays tiers sont passées de 373,3 milliards de dollars en 2015 à 490,6 milliards de dollars en 2018, soit une hausse de 31%, et les exportations intra-UEE sont passées de 45,6 milliards de dollars en 2015 à 59,7 milliards de dollars en 2018, augmentation qui avoisine aussi les 30%. Les importations des États membres en provenance de pays tiers sont passées, quant à elles, de 205,5 milliards de dollars en 2015 à 262,8 milliards de dollars en 2018, ce qui équivaut à une hausse de 28% et les importations au sein de l’UEE sont passées de 45,6 milliards de dollars en 2015 à 58,8 milliards de dollars en 2018, soit une augmentation de près de 29%. L’Union dispose d’un PIB conséquent, avoisinant les 1,9 milliard de dollars, ce qui équivaut à 3,2% du PIB mondial. Elle est à l’origine de près de 2,2% de la production industrielle mondiale et détient un commerce extérieur avec les pays tiers de 753,8 milliards de dollars, ce qui équivaut à 3% des exportations et 1,7% des importations mondiales. Étendue sur un marché de 183,8 millions d’habitants, soit 2,4% de la population mondiale, sa population active est de 94,3 millions d’habitants, avec un taux de chômage de 5%, celui de l’UE étant de 6,8%. Ces différentes données démontrent combien, par sa démographie et la performance de son marché, l’UEE est devenue un acteur central de la mondialisation.

Pays fondateur de l’UEE, la Russie domine de son poids démographique, politique et économique une union qui semble, en définitive, n’exister que par et pour elle. S’étalant sur près de 85% de la superficie totale de l’Union et concentrant 86% de son PIB, elle détient, de plus, une capacité de 144,5 millions de consommateurs alors que le Kazakhstan n’en dispose que de 18 millions, la Biélorussie, 9,5 millions, le Kirghizistan, 6,2 millions et l’Arménie, 3 millions. Fort de ses richesses minières, notamment et qui forment une politique prioritaire de l’Union, Moscou concentre aujourd’hui une part majeure du marché eurasiatique. Elle est la 2e productrice mondiale de gaz naturel (17,3 % de la production mondiale), la 3e productrice de pétrole (12,6 %), la 6e productrice de charbon (5,6 %), mais aussi la 1re exportatrice de gaz naturel avec 23,4 % des exportations mondiales, la 2e exportatrice de pétrole (12,8 %) et la 3e exportatrice de charbon (12,7 %).

Dans le but de s’assurer un avenir économique sain et viable, les droits de douane à l’importation de l’UEE ont même été fixés à partir des tarifs de ceux de la Russie. À ce titre, nous pouvons donc nous interroger sur les raisons qui la poussent à maintenir cette UEE qu’elle surplombe, et dont elle pourrait légitimement se passer. D’un point de vue géopolitique, c’est sans nul doute pour maintenir sa présence dans l’ « étranger proche », espace essentiel au maintien de sa souveraineté territoriale, que Moscou entend maintenir et renforcer l’UEE. Sur le plan commercial, l’UEE lui servirait à bâtir une plateforme économique concurrentielle à l’UE, premier marché au monde s’il en est et fort, par ailleurs, de près de 512 millions d’habitants, ainsi qu’à la Chine, manufacture de la planète aux 1,4 milliards d’habitants. Mais cela peut aussi rejoindre ce que Marlène Laruelle qualifie comme du nationalisme panrusse ou du néoeurasisme qui serait porteur des ambitions « impériales » de Moscou[5].

Le commerce comme moyen des ambitions géopolitique de l’UEE

Performante du point de vue économique, l’UEE est en passe de devenir un espace de concurrence voire d’opposition aux organisations internationales occidentales. Sa force première réside dans sa capacité à exploiter ses sous-sols. Principale détentrice de cette arme géopolitique capitale, la Russie est au sommet des États producteurs de gaz, de pétrole et de charbon, tout comme ses partenaires de l’Union, à l’image du Kazakhstan se plaçant à la deuxième place en termes de réserves d’uranium. La production de pétrole de l’UEE côtoie les 647,8 millions de tonnes en 2018, soit 14,5% de la production mondiale, ce qui la place devant les États-Unis. Pour ce qui est de la production de gaz, l’organisation est à l’origine de 781,7 milliards de mètres cubes, soit 20,2% de la production globale, ce qui la classe au premier rang mondial. Cela lui permet d’avoir, par ailleurs, une production d’électricité de près de 1 284,8 milliards de kwh, soit 4,8% de la production globale.

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Si l’UEE demeure un géant du point de vue énergétique, elle reste aussi une puissance incontestable sur le plan industriel. Elle détient en effet une production d’acier de 66,1 millions de tonnes, soit 3,7% de la production mondiale, une production d’engrais potassique de 15,9 millions de tonnes, soit 26,3% de la production globale et une production de fonte de 55 millions de tonnes, soit 4,4% de la production mondiale. C’est enfin du point de vue agricole et derrière une Russie devenue une véritable puissance sur ce marché depuis la mise en place de sanctions à son égard en 2014, que l’Union est devenue un marché de choix dans la mondialisation. Elle produit près de 109,9 milliards de dollars de richesses agricoles, soit 5,5% de la production mondiale, a une récolte brute de céréales et de légumineuses de 141,9 millions de tonnes, soit 5,3% de la production mondiale et une production de lait de 45,9 millions de tonnes, soit 6,9% de la production mondiale. Bien que sur ce point, l’UE reste la première puissance avec une production agricole de près de 405 milliards de dollars, il est important de noter que, à la suite de l’implosion de l’URSS qui a fait éclater une crise sans précédent dans l’espace postsoviétique, l’Eurasie a su se relever.

Mais si l’UEE est en passe de devenir une organisation de libre-échange incontournable dans la mondialisation, elle reste concurrencée par l’UE qui, outre le fait qu’elle soit la première puissance économique mondiale en termes de richesses produites, est la troisième exportatrice mondiale avec près de 1744 milliards d’euros, derrière la Chine qui représente 1895 milliards d’euros et les États-Unis avec 1515 milliards d’euros. La concurrence notamment en termes d’hydrocarbures des États-Unis, l’expansion du marché chinois qui s’intensifie en Afrique et en Europe, et les fluctuations des cours de matières premières, qui constituent les principales richesses de l’UEE, permettent tout de même de relativiser le poids de cette dernière dans la mondialisation.

L’UEE s’impose donc en véritable Heartland, en cœur du monde selon les théories de H.J. Mackinder. En établissant un bloc eurasiatique ou slavophile face à l’Occident, elle s’impose en nouvel acteur du Grand jeu mondial. Le fait que l’UEE ait signé nombre d’accords commerciaux avec de multiples partenaires lui permet une assise diplomatique de taille, car ses coopérations sont autant de partenariats géopolitiques. Les accords de libre-échange signés avec le Vietnam en octobre 2016, l’Iran en mai 2018, l’Égypte en novembre 2018, Israël en février 2019 ou Singapour et l’Ouzbékistan en octobre 2019 permettent à l’UEE de se positionner en véritable pivot et point d’achoppement des pays émergents, en passe de devenir de futures puissances mondiales si l’on en croit les statistiques (23,5% du PIB mondial et 16,3% du commerce mondial en 2018). Des coopérations sont enfin en cours d’établissement avec la Syrie, la Mongolie et la Turquie.

L’UEE peut même s’enorgueillir que le 24 octobre 2019, alors que V. Poutine recevait différents chefs d’État africains dans le cadre du Sommet de Sotchi, elle prévoyait la signature d’accords avec l’Union africaine, ce qui permettra de contrebalancer la présence chinoise en Afrique. L’UEE, et au premier chef V. Poutine, se positionne en véritable contre-poids et frein à l’UE. Avertissements à destination de son homologue européen, ces différents accords de libre-échange démontrent, en définitive, les efforts réalisés par le marché eurasien pour s’étendre de manière régionale, dans des zones stratégiques, car riches en matières premières et fortement intégrées dans la mondialisation. Parmi ces traités, ceux qui permettent de mettre en exergue la dimension régionale de l’UEE demeurent ceux signés avec le voisin chinois. Lors de la 70e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le 29 octobre 2015, V. Poutine affirme vouloir bâtir des coopérations entre les projets de « nouvelles routes de la soie » mis en place par Xi Jinping en 2013 et l’UEE et ce, dans le but inavoué de contrebalancer le partenariat transpacifique, entré en vigueur le 30 décembre 2018 entre les États-Unis et certains pays Est-asiatiques et américains.

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Devenue aujourd’hui un passage obligé pour ces « nouvelles routes de la soie » chinoises, l’UEE s’est en fait vue dans l’obligation de se rapprocher de Pékin, ce qui permet la formation de coopérations commerciales, voire politiques, avec la deuxième puissance mondiale. Ces différents partenariats, outre le fait qu’ils unissent toujours plus le monde asiatique, permettent aussi de matérialiser le déclin des influences occidentales sur ce continent. C’est aussi à un moment où les Russes et les Chinois ont décidé de passer leurs accords économiques en monnaie nationale que la fin du dollar comme monnaie internationale et l’affaissement de la prépondérance des organisations occidentales semblent ne plus être un mythe.

« L’élargissement » de l’UEE pour contrer les ambitions de l’UE et l’OTAN

À première vue, il semble que Zbigniew Brezinski, conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter, ait perdu son pari : celui d’isoler la Russie et de l’empêcher d’avoir une influence sur son « étranger proche ». En effet et comme il le relate dans Le Grand Échiquier (1997), la création d’un bloc eurasiatique sous tutelle de la Russie, semble être devenue une réalité. En cherchant à accroître son poids économique, diplomatique et politique face aux organisations internationales et régionales de l’espace eurasiatique, l’UEE se veut être la force principale de cet espace géographique convoité. À ce titre, elle se rapproche en effet des États orientaux et Est-européens et fait face, de fait comme de droit, aux organisations commerciales occidentales qui entendent s’imposer dans ces régions. D’autre part, il faut noter que les différents États qui composent l’UEE sont tous, au moins de culture, slaves et orthodoxes. Une forme de solidarité ethnique et religieuse prédomine au sein d’une union se voulant économique, mais se dévoilant progressivement comme une entité géopolitique cohérente et unie autour d’une culture commune. L’UEE concrétise, en un sens, l’eurasisme qui formerait un espace de résistance face à toutes formes d’hégémonie occidentale, un espace tampon dans le but de protéger le « monde russe » (russkii mir), concept théorisé à la chute de l’URSS par Piotr Chedrovitsky. Cela vient paraphraser V. Poutine qui, au groupe Valdaï en 2013, voyaient en l’UEE les bases d’une nouvelle civilisation conservatrice face au « déclin »de l’Occident : « L’Union eurasienne est un projet de maintien de l’identité des nations dans l’espace eurasien historique, dans un nouveau siècle et dans un nouveau monde. »

Pour contrer les prétentions de l’UE dont le dernier État membre en date de 2013 est la Croatie et surtout de l’OTAN qui a vu, en 2017, le Monténégro rejoindre ses rangs, l’UEE se doit de s’imposer comme une structure offensive, du moins, effective et présente sur le plan économique qui, rappelons-le, demeure l’arme principale dans les relations internationales contemporaines. En effet, le 25 octobre dernier, l’UEE et la Serbie ont signé un accord de libre-échange. Avec Belgrade, l’UEE renforce sa cohérence culturelle basée sur le slavisme et l’orthodoxie. Une forme de solidarité ethnique et religieuse y prédomine donc, ce qui permet de penser que cette union, en se voulant économique, se dévoile progressivement comme une entité géopolitique cohérente. En intervenant ainsi sur le marché balkanique, dans une région sensible du vieux continent, mais surtout en établissant des coopérations commerciales avec nombre de pays émergents, l’UEE est devenu un concurrent de taille pour les organisations occidentales. En acceptant un tel rapprochement avec l’UEE, la Serbie met à mal son intégration à l’UE, car, comme l’entend l’article 42 du Traité sur l’UE[8], les États membres de l’Union doivent posséder une diplomatie commune et en accord avec les prescriptions de l’OTAN. Ainsi, cet accord cristallise une certaine volonté d’endiguer les élargissements de l’UE et de l’OTAN en Europe de l’Est et démontre, une fois de plus, qu’économie et géopolitique font bon ménage.

En un sens, l’UEE semble être un moyen pour la Russie de concrétiser ses ambitions. C’est à ce titre que nous pouvons la qualifier d’entité géopolitique tant Moscou se sert des autres États pour parfaire sa diplomatie : du Kirghizistan pour freiner les exportations chinoises en Asie centrale ou du Tadjikistan pour mieux veiller sur la frontière afghane. Bien que les cinq États membres de l’Union appartiennent à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe et au Partenariat pour la paix de l’OTAN, ce qui les rapproche de l’Occident, ils font aussi partie intégrante de la CEI, de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTCS) et, à l’exception de la Biélorussie, de l’OCS, ce qui les pousse à adopter une diplomatie commune asiatique et, en un sens, opposé à certains pays occidentaux.

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Mais il faut tout de même nuancer le poids géopolitique de cette union économique. En effet, la Russie est toujours en conflit avec un partenaire qui aurait pu enrichir l’Union de son marché important et de ses capacités agricoles qui ne sont pas des moindres : l’Ukraine. Aussi, les membres de l’Union n’ont pas apporté leur soutien à la Russie lors du conflit en Ukraine et, pour le Kazakhstan et l’Arménie, le développement de relations avec les États-Unis, l’Union européenne et la Chine pondère l’influence que Moscou peut avoir sur eux. C’est enfin avec l’UE que les relations sont aussi tendues que paradoxales. A. Meshkov, Ambassadeur de Russie en France, a rappelé que le principal partenaire « en termes de commerce, d’investissements et de technologie, ainsi que le principal importateur des marchandises fabriquées dans les pays membres de l’UEE » reste l’UE, bien qu’il soit en concurrence sur nombre de sujets avec l’UEE. Elle représente près de 50% des exportations eurasiatiques et 65% des investissements directs dans l’UEE sont d’origines européennes. « En 2018, l’UEE a exporté en UE pour 247,6 milliards de dollars de marchandises, ce qui représente 50,5% des exportations dans les pays tiers, et en a importé de l’UE pour 104,5 milliards de dollars (39,8%) » rappelle l’Ambassadeur, élément qui démontre une forme de solidarité économique entre les deux entités, mais qui ne se ressent pas forcément sur la scène diplomatique. Mais et en essayant de bâtir une union monétaire basée sur le rouble, afin de « dédollariser » l’économie et en intensifiant la coopération militaire par le biais de l’OTCS, l’UEE se veut être un acteur géopolitique de taille et un frein à l’OTAN et à ce qu’elle considère comme de l’hégémonie occidentale.

Conclusion

Nous pouvons tout d’abord observer que le poids de Moscou pose la question d’une forme de fédération de vassaux autour d’elle. Représentant 88,7% de la production industrielle et 84,2% des échanges commerciaux extérieurs de l’UEE, la Russie laisse peu de place à ses partenaires. Mais et comme l’indique l’Ambassadeur de Russie en France, la « pression permanente exercée par les sanctions » demeure le principal défi auquel doit faire face Moscou qui se voit comme ostracisée de la communauté internationale alors qu’elle souhaiterait renouer le dialogue. D’autre part, avec le développement du Programme de coopération économique régionale pour l’Asie centrale qui constitue un partenariat de 11 pays dont font partie, avec la Chine, le Kazakhstan et le Kirghizistan, mais aussi le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan qui sont de potentiels futurs membres de l’UEE, mais aussi du Partenariat oriental, mené par l’UE à destination de pays comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie ou l’Ukraine, l’UEE entend maintenir son pré carré et toujours plus s’insérer sur la scène commerciale mondiale.

Si sa politique à l’égard de l’UE oscille entre concurrence et coopération, ce qui la rend aussi floue qu’imprévisible, l’élargissement en Asie centrale demeure le principal problème. Le Tadjikistan est candidat, en ce sens, la Moldavie, observateur, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, la Mongolie, la Chine et l’Iran, prétendants à l’entrée dans l’UEE. En réalité, la Russie entend se rapprocher du Tadjikistan dans le but inavoué de posséder des frontières avec Inde et l’Iran, mais aussi du Turkménistan ou de l’Azerbaïdjan afin de renforcer sa présence dans le monde musulman et de se rapprocher d’Ankara. L’Ouzbékistan prévoit d’intégrer l’Union depuis octobre 2019. Bien qu’il dépende de ses exportations agricoles vers l’UEE, il souhaite néanmoins la mise en place de barrières douanières avec l’Union, car plusieurs millions de ses habitants travaillent en Russie où ils rencontrent des difficultés administratives, ce qui le fait hésiter à intégrer l’UEE. De plus, L’Arménie a signé (novembre 2017), un Accord de partenariat global et renforcé avec l’UE, traité qui remplace l’ancien accord d’association de 2013. Cela la positionne donc sur une ligne de crête entre maintien dans l’UEE et rapprochement avec l’UE, bien qu’elle dépende diplomatiquement et énergiquement de Moscou qui lui reconnait le Haut-Karabakh et qui dispose de la quasi-totalité de son complexe énergétique. Ainsi, le développement spatial voire le maintien de l’espace actuel de l’Union reste un sujet incertain. À l’encontre des États membres qui entendent s’émanciper du poids de Moscou qui, à titre d’exemple, les avait obligés à accroître leurs tarifs douaniers afin de s’ajuster sur celui de la Russie, V. Poutine n’a pas hésité à mettre en place des contre-sanctions sur les produits agricoles à l’été 2014, et ce, sans consultation de l’UEE. Ainsi et comme le montre cet ultime exemple, le principal réajustement à effectuer serait celui qui caractérise toutes formes d’organisation internationale de libre-échange : l’équilibre institutionnel.

Comme l’a dit A. Meshkov en février 2020 à Paris : « en cinq ans d’existence, l’UEE a fait ses preuves et s’est transformée en une entité d’intégration au développement dynamique. » Hier zone de libre-échange, aujourd’hui espace de coopération économique et géopolitique, l’UEE demeure une entité aux ambitions grandissantes et à l’identité, de ce fait, imprécise. V. Poutine l’avait affirmé, l’UEE « s’inspire de l’expérience de l’UE et d’autres organisation régionales, en prenant en compte leur réussite et leurs échecs. » Si d’un côté, elle demeure comme un instrument d’influence pour la Russie, par le biais de sa langue, de sa monnaie, de son marché et de ses ambitions diplomatiques, l’Union reste, pour chacun de ses membres, un moyen de leurs puissances respectives. Sans être une fin en soi, elle s’apparente donc à un outil capable de contrer les ambitions européennes en Eurasie. Deux sujets ressortent, en définitive, de cet exposé. Le fait, tout d’abord, que l’UEE se doit d’être guidée par des intérêts économiques et non diplomatiques, afin qu’elle puisse profiter à tous, et la question de l’avenir proche de l’Union qui pourrait se voir considérablement modifié après les départs de ses fondateurs, parmi lesquels V. Poutine et A. Loukachenko.

Si elle fait concurrence à son modèle, l’UE, elle ressemblerait plus, en réalité, à l’Association européenne de libre-échange, zone de libre-échange fondée le 4 janvier 1960 et qui n’est pas bâtie sur une union douanière, car les États membres possèdent chacun leurs propres politiques douanières à l’égard de pays tiers. Cette organisation intergouvernementale n’engage, de plus, aucun de ses quatre membres à transférer leur souveraineté à des institutions supranationales. Au-delà de cette comparaison, si l’UEE est devenue un acteur majeur la mondialisation, de nombreuses questions liées à son évolution structurelle restent en suspens. Dans cette logique, les défis de la diversification de son économie pourraient être portés par la « stratégie 2020 » engagée par la Russie depuis novembre 2008. Si, d’un côté, les États de l’Union semblent n’être utilisés par Moscou que pour lui fournir des intérêts diplomatiques et de la main-d’œuvre, l’avenir de l’Union sera, sans nul doute, lié à celui de la Russie qui, quoi qu’on en dise, porte et soutient la dynamique de cette espace en mutation.

À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste

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