Nous le constatons chaque jour : l’inflation atteint des niveaux toujours plus élevés. Ses conséquences se font ressentir sur le plan de l’économie mondiale, mais particulièrement dans les pays d’Asie, qui font face eux aussi à des dettes et un taux d’inflation de plus en plus importants.
Vincent Tsui. Article paru sur Gavekal. Traduction de Conflits
L’attention est peut-être concentrée sur les problèmes d’inflation dans le monde occidental, mais les économies asiatiques semblent plus exposées aux hausses de prix et de taux d’intérêt. Avant même le début du cycle de resserrement monétaire de cette année, le ratio du service de la dette du secteur non financier de la Banque des règlements internationaux avait dépassé les 20 % en Corée du Sud, et atteint 13 % en Malaisie et en Thaïlande (les niveaux pour les États-Unis et l’Allemagne sont respectivement de 13,4 % et 11,4 %). Le financement de cette explosion de la dette asiatique va devenir de plus en plus délicat.
En novembre dernier, j’avais prévenu que les niveaux élevés d’endettement contractés pendant la pandémie avaient rendu les économies asiatiques plus sensibles aux hausses de taux d’intérêt. Depuis lors, tant l’inflation que le niveau nominal des taux neutres ont augmenté, mais les taux directeurs n’ont pas suivi. Les perturbations de l’offre, de l’interdiction d’exporter des denrées alimentaires à la fermeture de l’usine Covid en Chine, ont à la fois élargi et ancré les pressions inflationnistes, limitant la marge de manœuvre de la politique monétaire pour un ajustement ordonné.
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La hausse du taux d’intérêt directeur aura ses effets sur la croissance
L’Asie émergente est entrée dans la zone Covid avec des tampons macroéconomiques plus solides que les autres régions, ce qui a permis à ses décideurs de disposer d’une plus grande marge de manœuvre pour creuser les déficits budgétaires et retarder la normalisation de la politique monétaire. Ces derniers mois, cependant, les monnaies asiatiques ont été punies pour cette tergiversation. Aujourd’hui, la plupart des banques centrales asiatiques doivent relever leurs taux d’intérêt d’au moins 300 points de base pour ramener les taux directeurs réels à leur moyenne de la dernière décennie (sur la plupart des marchés, l’inflation globale est désormais deux fois plus élevée que les taux nominaux ; la Malaisie et l’Indonésie font exception car l’inflation a été supprimée par le contrôle des prix).
Ce besoin de resserrement monétaire aura un impact sur la croissance de trois manières :
- L’accumulation de la dette au cours de la dernière décennie ayant été masquée par la faiblesse des taux directeurs à l’échelle mondiale, les ratios élevés du service de la dette sont appelés à se développer. Au cours de cette période, la dette du secteur privé a augmenté de plus de 70 % en Chine, en Corée et en Thaïlande, et de plus de 30 % en Indonésie et en Malaisie. Le service de cette dette étant assuré à des taux plus élevés, il y aura moins de capital productif pour alimenter la croissance économique.
- À l’instar du secteur privé, les gouvernements asiatiques ont bénéficié d’un traitement de faveur au cours de la dernière décennie, puisqu’ils ont augmenté leur ratio dette/PIB de 15%, alors que les charges d’intérêts globales sont restées pratiquement inchangées. À l’avenir, non seulement une part plus importante de leurs ressources budgétaires sera consacrée au service de la dette, mais les mesures budgétaires contracycliques seront plus difficiles à mettre en œuvre.
- Comme le resserrement des conditions financières nuit à la qualité du crédit, l’appétit des banques asiatiques pour les nouveaux prêts en prendra un coup. C’est un problème, car la forte augmentation de la dette des entreprises au cours des deux dernières années s’est concentrée sur les secteurs qui ont bénéficié d’un soutien public. Ces entreprises ne semblent pas avoir été plus rentables que celles des secteurs non protégés et les mesures de soutien sont en train d’être retirées. L’Asie a également tardé à assouplir les restrictions de la Covid, et c’est donc dans un contexte de ralentissement de la croissance qu’elle resserre maintenant sa politique. En conséquence, les entreprises auront peu de temps pour reconstruire leurs bilans.
Un impact qui se différencie selon les pays
Il convient de noter qu’au cours des dernières années, la croissance de l’Asie du Nord-Est a été plus dépendante du crédit que celle de l’Asie du Sud-Est. Par exemple, en Corée du Sud, l’intensité de la croissance en termes de crédit a plus que doublé au cours des cinq dernières années. Ainsi, les économies dont la pénétration du crédit est plus faible devraient être moins touchées par le cycle de resserrement.
Par ailleurs, des pays comme l’Indonésie et la Malaisie ont supprimé les prix sur les marchés de détail des carburants en recourant à des mesures administratives et à des subventions pour les carburants. Ces transferts depuis les caisses publiques ou les compagnies pétrolières d’État aggraveront les facteurs limitant la croissance soulignés ci-dessus, mais à court terme, ils permettront au moins de limiter l’inflation globale et d’atténuer la pression en faveur d’un resserrement monétaire rapide.
Ces défis intérieurs montrent que la demande extérieure va devenir un facteur important de différenciation des perspectives de croissance. Les exportateurs asiatiques comme Taïwan, qui disposent d’avantages considérables sur un marché relativement peu sensible aux prix comme la fabrication de puces électroniques haut de gamme, devraient s’en sortir le mieux. De même, les exportateurs de denrées alimentaires et d’énergie comme l’Indonésie et la Malaisie devraient bénéficier directement de l’effet prix des ruptures d’approvisionnement. Cela renforce un point général qu’Udith Sikand et moi-même avons soulevé à propos des marchés émergents : la différenciation va être de plus en plus importante pour choisir les gagnants (voir Un nouveau regard sur le risque de crédit des marchés émergents).
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