Avec un large et authentique soutien populaire pour le nouveau texte, Tachkent doit concilier la consolidation du pouvoir, la modernisation du pays et le renforcement de l’État de droit.
Depuis le 30 avril, l’Ouzbékistan dispose d’une nouvelle constitution. Plus de 90% des électeurs selon la commission électorale (CEC) du pays ont approuvé la nouvelle loi fondamentale lors d’un référendum, avec un taux de participation de 84,5%. En chiffre réel sur 19,7 millions de personnes inscrites sur les listes électorales, 16,7 millions ont voté. Le président de la CEC a reconnu l’existence de « certaines lacunes » qui, selon lui, « font l’objet d’une enquête en temps opportun et sous contrôle public ». Parmi elles, un membre de la commission a été surpris en train de remplir plusieurs bulletins de vote et de les glisser dans une boîte. Cependant, selon lui, le processus « s’est déroulé dans le respect total des normes internationales, de notre législation référendaire et des principes démocratiques généralement acceptés, tels que l’ouverture et la transparence ».
Adoption par référendum
Les résultats annoncés ont été accueillis avec un cynisme débordant sur les réseaux sociaux, où les auteurs ont souligné que ni le taux de participation ni la position du gouvernement n’avaient jamais été inférieurs à 80% lors d’une élection ou d’un référendum en Ouzbékistan. Cependant, ricaner c’est aller vite en besogne. Selon Voice of America, dans les mois et les semaines avant le scrutin plusieurs indices montrent un large soutien aux changements proposés. Plus encore, sur les votes de 903 personnes du Maryland, de Virginie, de Floride et de Washington qui ont été comptabilisés à l’ambassade d’Ouzbékistan à Washington, 88% ont approuvé les changements proposés. Ce décompte prend en compte les votes de dissidents dont certains ont dessiné des caricatures ou voir même déchiré le bulletin en signe de protestation. Même en prenant en compte les votes des diplomates, on peut en déduire que les résultats sont le reflet d’un authentique soutien populaire.
La nouvelle constitution fait partie d’un programme de réformes lancé par le président Shavkat Mirziyoyev élu en 2016 agrès la mort de son prédécesseur Islam Karimov. Pour de nombreux Ouzbeks, il s’agit de surmonter plusieurs problèmes qui requièrent une action, à commencer par les graves problèmes économiques et la corruption. Et ils aspirent surtout à quelque chose qui ressemblerait à l’État de droit. C’est justement dans ce sens que la nouvelle constitution incarne une certaine promesse.
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D’autres points qui ont suscité un large soutien sont les articles consacrés à l’égalité des sexes et ceux prévoyant une protection sociale accrue. Sur les réseaux sociaux, de nombreux Ouzbeks ont mis en doute le taux de participation annoncé par la CEC, faisant remarquer qu’ils n’avaient pas voté eux-mêmes. Or, en Ouzbékistan, les circonscriptions correspondent à des « mahalla », un phénomène qui mérite d’être expliqué. Le terme mahalla a été utilisé dans l’espace ottoman pour désigner un quartier urbain. Dans l’espace turcophone d’Asie centrale, il désignait une entité sociale dans le tissu urbain, exprimant également des liens de solidarité entre voisins partageant un sentiment d’appartenance. Avant d’être une institution sociale, la mahalla constitue un espace d’expression des solidarités sociales fondées sur le voisinage, mais aussi de la parenté. Pour cette raison, selon l’avis d’un membre d’une mahalla – voter, se rendre à l’urne, porte un sens particulier. On peut donc constater que ni le taux de participation ni le taux d’approbation, étranges pour un Français, reflètent à la fois un réel socle d’adhésion et une structure sociale particulière où les liens entre personnes n’ont pas subi – encore – le processus d’individualisation radicale caractéristique des sociétés occidentales et condition sine qua non à une démocratie libérale.
Enfin, la question du maintien au pouvoir du président Mirziyoyev, élu fin 2021 à un deuxième et dernier mandat et désormais, grâce à la nouvelle constitution, éligible pour deux mandants supplémentaires (les élections présentielles tenues selon la nouvelle constitution auront lieu début juillet), est pertinente. À l’évidence, le président est engagé dans un processus de modernisation et d’ouverture tous azimuts dans un contexte pour le moins compliqué. Entre les liens avec la Russie, les sanctions, la rivalité entre les États-Unis et la Chine sans oublier l’abcès afghan laissé à la porte de l’Ouzbékistan par le départ américain, il n’est pas évident de trouver le chemin de la croissance, la stabilité et la sécurité.
Le nouveau texte adopté le 30 avril représente un potentiel d’évolution dans le sens de l’État de droit, du pluralisme et la probité dans les affaires publiques. Cette mesure de consolidation du pouvoir pourrait donc évoluer dans un sens plus ou moins démocratique, mais en matière de constitutions comme disent les Anglais « the proof of the pouding is in the eating ».
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