Les ordres et décorations sont des doubles miroirs où se reflètent l’histoire des hommes et de leur temps. Ceux reçus par le Général de Gaulle tout au long de sa vie politique illustrent l’influence qu’il avait sur le monde. Un ouvrage collectif édité en partenariat avec le musée de l’ordre de la Libération retrace cette vie d’honneur et d’influence.
L’histoire des décorations de de Gaulle, mêlées à celle du personnage qui les a reçues aide à comprendre l’importance du Général dans les années qui furent les siennes. De fait, Une certaine idée de la France… et du monde veut interpréter Charles de Gaulle par les honneurs qui lui ont été faits.
Vingt-trois contributeurs se sont attachés à retracer l’histoire des décorations reçues par de Gaulle. Cependant, il serait réducteur de considérer leurs travaux comme une simple énumération de médailles. Les auteurs se sont en effet appuyés sur la vie du Général afin de fournir, par l’étude de ses décorations, une nouvelle vision des actions de ce dernier. Cette argumentation repose sur trois grands axes qui décrivent le soldat, sa vision de la France, puis sa vision du monde. Chacun de ces chapitres est dédié à une partie de sa vie, et illustre celles-ci par les décorations qu’il a obtenues. Loin d’être une banale chronologie de ses exploits, cette œuvre met en parallèle les faits attribués à de Gaulle et l’histoire des récompenses reçues par lui.
Les décorations militaires
La première partie du livre met en lumière sa carrière de soldat et ses honneurs dus à sa bravoure sur le champ de bataille. De la croix de guerre qui lui fut décernée pendant la Première Guerre mondiale (1915) à l’insigne des blessés (1916), mais aussi la médaille de l’ordre du mérite syrien de 2e classe (1932), on retrouve la liste des faits d’armes du Général ainsi qu’une analyse de ces derniers. L’introduction de la partie intitulée « le soldat » retrace brièvement les évènements qui ont mené de Gaulle au front, mais aussi ses idées quant aux batailles qu’il a menées. L’auteur de cet incipit, Tom Dutheil, explique par exemple le désaccord stratégique entre l’homme du 18 juin et les autorités militaires quant à la stratégie défensive française en 1930, que de Gaulle aurait voulu portée sur les blindés et l’aviation : les hautes instances, sûres de leur supériorité suite à la victoire lors de la Grande Guerre préféraient une vision portée sur la ligne Maginot tandis que celui qui n’était alors que colonel voulait renforcer les positions dans les Ardennes. L’auteur précise cependant que la carrière militaire de Charles de Gaulle, avant la Seconde Guerre mondiale, n’était pas forcément extraordinaire ; elle restait assez classique pour un officier des années 1920-1930.
Le deuxième tronçon est consacré à la période qui précède sa carrière politique au service de la France. De fait, suite à son départ à Londres en 1940, rien ne laissait présager que cet inconnu du grand public deviendrait le pilier de la résistance française. C’est pourtant ces années qui vont être le marqueur de la transition entre sa carrière militaire et politique. Qui mieux que celui qui s’est acharné à coordonner et à commander la résistance pouvait diriger la France une fois celle-ci délivrée du joug de l’occupation allemande ? Cette question rhétorique est encore une fois percevable à travers le rapport de Charles de Gaulle aux décorations. Il fonde l’ordre de la Libération dès 1940, en devient le Grand Maître (il reçoit le collier qui symbolise cette fonction honorifique en 1945), crée la médaille de la Résistance française en 1943, et redore le blason de la Légion d’Honneur une fois la France libérée. Cette dernière distinction avait perdu toute sa valeur militaire dans la mesure où il était possible de l’acheter officieusement sous la IIIe République, chose assez populaire étant donné les avantages qu’elle procurait.
Les auteurs cherchent à démontrer, à travers les honneurs mis en place par de Gaulle, que celui-ci avait une vision forte de la France et qu’il cherchait à l’unifier en promouvant le statut de résistant ainsi qu’en mettant en avant les grands hommes de la Seconde Guerre mondiale, notamment par la Légion d’Honneur. L’étude des décorations permet donc d’appréhender la politique gaullienne d’union de la France au sortir de l’occupation allemande, et de comprendre l’immense estime qu’il avait pour son pays.
A lire aussi : Un débat historique et ses implications politiques : les causes de la Première guerre mondiale
Les décorations liées à son statut de chef d’Etat
La troisième partie de ce livre, et la plus importante, est celle qui établit le rapport entre de Gaulle et le reste du monde. La longue introduction de ce chapitre signée Frédéric Turpin redonne les enjeux de l’après-guerre en expliquant l’implication de la France et l’impact de son nouveau dirigeant hors des frontières nationales. Comme l’auteur le dit lui-même, « l’action internationale de Charles de Gaulle est indissociable du primat qu’il accorde à la nation et à l’État qui la guide, la représente et la défend, élément structurant des sociétés humaines et du système mondial. » La France avant tout, telle est la devise de la politique extérieure du Général. Cela n’empêche aucunement la grande reconnaissance dont il jouit à l’étranger, qui se traduit par le nombre absolument faramineux de décorations qui lui sont décernées. Il reçoit notamment, le 24 août 1945, la Legion of Merit américaine. Même s’il regrette l’empire colonial français qui se démantèle petit à petit dans le début des années 1950, il est conscient qu’il ne peut pas le conserver et est parfois décoré par des États auxquels il rend l’indépendance, par exemple le Cambodge qui lui accorde l’ordre royal de l’Indépendance en 1964. La politique extérieure de Charles de Gaulle est ainsi illustrée par les honneurs venant de l’étranger qui jalonnent ses mandats présidentiels : ils sont la marque du respect pour le président français alors en fonction, et donnent un éclairage sur sa politique extérieure. Ces médailles sont la preuve d’une action politique qui a profondément influencé les contemporains du Général.
Les auteurs consacrent aussi une partie annexe qui regroupe les décorations non-officielles, c’est-à-dire qui ne lui ont pas été remises par un chef d’État au nom d’une nation, mais par exemple au nom d’une province (telle que la médaille des légionnaires du Québec qui lui est décernée en 1968), et qui ne font que confirmer l’aura de Charles de Gaulle. C’est en définitive un ouvrage extrêmement complet qui a le mérite de nous faire redécouvrir le fondateur de la Ve République et sa politique sous un angle novateur, tout en présentant un aperçu des médailles et décorations à travers le monde.
A lire aussi : Charles de Gaulle et la guerre économique : le choix de l’indépendance nationale