<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un Royaume toujours uni

6 septembre 2022

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Un Royaume toujours uni

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Six ans après le référendum en faveur du Brexit, beaucoup d’analystes européens continuent de miser sur l’implosion prochaine du Royaume-Uni. Qu’en est-il vraiment en Écosse et en Irlande ?

Au Parlement de Stormont, à Belfast, les journalistes européens avides d’assister à l’hallali de la perfide Albion sont venus pour couvrir l’événement. Après avoir fait campagne pour quitter l’Union européenne de Bruxelles sans concession, le Parti unioniste protestant (DUP) a perdu sa courte avance le 5 mai 2022. Quant au Sinn Fein, parti républicain irlandais, européiste de gauche, il arrive en tête des élections pour la première fois de l’histoire de l’Assemblée d’Irlande du Nord. Il n’a pas totalement rompu ses liens historiques avec les restes de l’ancienne IRA, mais, avec deux sièges d’avance sur son rival loyaliste et 27 députés sur un total de 90, il semble le mieux placé pour obtenir le poste de Premier ministre d’Irlande du Nord. Vu de Paris, c’est évidemment un nouveau revers pour Boris Johnson et son protocole douanier négocié dans la douleur avec l’Union européenne. Désormais, les marchandises sont contrôlées en mer d’Irlande, dans le détroit de Moyle ou canal du Nord, entre Belfast et les côtes de l’Écosse, ce qui forme une entaille sérieuse au Brexit et semble préfigurer la réunification de l’île. « Boris Johnson, leader du Parti conservateur, voué au maintien d’une Irlande du Nord britannique, pourrait être l’homme qui en aura favorisé la perte pour le royaume » se réjouissait le journal Le Monde, dans son éditorial du 7 mai dernier. Les urnes auraient-elles donné raison aux Cassandre qui prévoyaient la fin du Royaume-Uni après le Brexit ? Les illusions d’une revanche démocratique du Brexit sont tenaces, car en se penchant de plus près sur les résultats et l’histoire de la question irlandaise comme de celle de l’Écosse, les perspectives de réunification irlandaise et d’indépendance écossaise s’avèrent encore très improbables. Voici pourquoi.

La réunification irlandaise reportée aux calendes grecques

En 2016, 55,8 % des Nord-Irlandais ont voté contre le Brexit, mais sont quand même sortis de l’UE en 2020. Les catholiques, légèrement majoritaires en Ulster, craignaient de se retrouver coupés de Dublin en sortant de l’UE tandis que les protestants, en votant majoritairement pour la rupture avec l’Union européenne, espéraient au contraire se rapprocher de Londres pour écarter une réunification qu’ils redoutent depuis plus d’un siècle. Mais rien ne s’est passé comme prévu. Tout d’abord, les accords dits du Vendredi saint, négociés sous l’égide des États-Unis à la fin des années 1990, garantissent une forme d’immobilisme institutionnel puisque les deux communautés sont contraintes de gouverner ensemble à parité. Ces accords prévoient que la question d’un référendum puisse être posée un jour si toutefois un consensus apparaissait. L’accord de paix de 1998 est volontairement flou à ce sujet et, quoi qu’il arrive, Londres garde la main sur l’agenda : « Si, à n’importe quel moment, il apparaît probable qu’une majorité d’électeurs expriment un souhait » en faveur de la réunification, le secrétaire d’État britannique chargé de l’Irlande du Nord pourrait soumettre la question. Mary Lou McDonald, présidente du Sinn Fein de la République d’Irlande a parlé de « nouvelle ère » et a rappelé la possibilité d’un référendum sur la réunification. Mais la question est d’ores et déjà exclue du mandat de l’Assemblée nouvellement élue à Belfast. Mary Lou McDonald a repoussé « à horizon de cinq ans » voire « au cours de la prochaine décennie » sa mise en œuvre. Sa vice-présidente nord-irlandaise Michelle O’Neill, qui souhaite prendre la tête du gouvernement nord-irlandais, cherche aussi à rassurer. Elle a annoncé vouloir être « une Première ministre pour tous », autrement dit un chef d’un gouvernement pour les catholiques et les protestants. Les sondages sont encore très défavorables à une réunification par référendum, car une telle perspective provoquerait un retour des Troubles, vingt ans après la fin officielle du conflit. Selon un dernier sondage, seulement 30 % des électeurs seraient favorables à la réunification et le Brexit n’a pas sensiblement modifié la donne. Le parti nationaliste nord-irlandais tente depuis des années de lisser son programme rattachiste, souhaitant au contraire se poser en parti de gouvernement responsable. Conor Murphy, un ancien de l’IRA provisoire, emprisonné pour détention d’explosifs dans les années 1980, a par exemple été écarté de la direction du Sinn Fein au profit de l’actuelle vice-présidente. Mais les vieux conflits remontent toujours à la surface et Michelle O’Neill, issue d’une famille de militants nationalistes, a subi des attaques de ses adversaires pour s’être rendue en avril 2021 aux funérailles de Bobby Storey, une figure de l’IRA qui avait passé plus de vingt ans en prison.

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En réalité, le Sinn Fein a remporté une victoire en trompe-l’œil lors des dernières élections provinciales de mai 2022. La division des unionistes protestants et une campagne habilement axée sur le pouvoir d’achat et l’inflation ont suffi. Il ne gagne d’ailleurs pas de sièges au Parlement, mais profite seulement de la baisse du DUP de trois sièges. Le principal parti loyaliste a ferraillé sans succès contre le protocole d’accord avec l’Union européenne négocié par Londres. Il a été sanctionné pour cela. À sa droite, un petit parti radical orangiste, la Voix unioniste traditionnelle (TUV), a remporté 7,63 % des voix. Finalement, l’ensemble des partis unionistes conserve 37 sièges au Parlement de Belfast, contre 35 pour les partis catholiques, ce qui leur laisse une certaine marge de manœuvre. « Si le protocole n’est pas modifié et les barrières commerciales enlevées, nous ne revenons pas à Stormont », a menacé Edwin Poots, ex-chef du DUP et réélu député nord-irlandais à Belfast-Sud. Voilà pourquoi Londres et Belfast ont aussitôt remis sur la table de Bruxelles la question de la frontière douanière avec Dublin : « Notre objectif commun doit être de créer le soutien intercommunautaire le plus large possible pour un protocole réformé en 2024 » a prudemment répondu Boris Johnson dans le Belfast Telegraph du 15 mai, tout en appelant à la formation d’un gouvernement transpartisan. Ce protocole a le mérite pour Londres de maintenir le statu quo à la frontière (invisible) avec le sud de l’île. De fait, la reprise de la guerre civile en Ulster n’a pas eu lieu. Les quelques émeutes qui ont éclaté ces dernières années ne sont pas sorties du cadre du folklore entretenu par les extrémistes des deux communautés. Au contraire, la sortie de l’UE a paradoxalement dynamisé le commerce entre les deux parties de l’Irlande et l’Ulster se tire très bien du Brexit. Au premier semestre 2021, les importations de Dublin en provenance de Belfast ont bondi de 77 %, passant de 1 à 1,77 milliard d’euros. En échange, l’Irlande du Nord a acheté 43 % de produits de la République d’Irlande de plus qu’au premier semestre 2020. Le port de Belfast a connu en 2021 une hausse de ses volumes de 9 % par rapport à 2019. En Irlande, « l’impact économique du Brexit est négligeable », s’étonne Fergal O’Brien, directeur du lobbying de l’IBEC, le patronat irlandais opposé au Brexit. Non seulement le libre-échange entre Belfast et Dublin a été maintenu, mais leurs rapports économiques se sont accrus. Le protocole du Brexit a fait de Belfast une passerelle entre l’Europe et la Grande-Bretagne. Voilà peut-être pourquoi le statu quo institutionnel n’est pas vraiment remis en cause.

Certes, au centre de l’échiquier politique, effrayés par un programme de contestation du protocole commercial européen par le DUP, les électeurs ont apporté leurs suffrages à un parti a-confessionnel, centriste et pro-européen Alliance. Avec 17 sièges au Parlement, son groupe double par rapport à 2017. Mais il profite surtout de l’agonie du Parti social-démocrate et travailliste (SDLP) et de l’érosion d’un Parti unioniste modéré (UUP) dont il était historiquement issu. Surtout sa neutralité communautaire l’exclut du règlement de la question institutionnelle. Au fond, malgré les apparences électorales, les partis politiques se satisfont du statu quo. L’Irlande du Nord vit sous perfusion de subventions britanniques (14 milliards d’euros par an) et les catholiques pensent que le temps joue pour eux. Les chefs protestants se divisent sur les contrôles douaniers en mer d’Irlande, mais Belfast profite du Brexit et tant que la question de la réunification n’est pas à l’ordre du jour de Westminster, l’essentiel est sauf. « Le duopole Sinn Fein-DUP au pouvoir depuis 2007 est toujours en place. Ils ont juste échangé leurs places sur le canapé » résume avec un brin de cynisme Glenn Patterson de l’université Queen’s de Belfast et auteur de The Last Irish Question (Apollo, 2021)

Un nouveau référendum écossais n’est pas à l’ordre du jour

De l’autre côté du détroit, en Écosse, la question indépendantiste semble également en suspens. S’appuyant sur les 62 % du non au Brexit, le gouvernement écossais pensait pouvoir reposer la question de l’indépendance et par conséquent ébaucher un retour d’Édimbourg dans le giron de Bruxelles. Entre octobre et décembre 2020, quelques mois après la sortie progressive du Marché commun européen qui était annoncée comme un cataclysme économique, certains sondages donnaient les indépendantistes jusqu’à 58 %. Début 2021, Nicola Sturgeon, la Première ministre en campagne, pouvait promettre la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance avant fin 2023 contre l’avis de Londres. Boris Johnson affirme que la question de l’indépendance a déjà été posée une première fois par référendum le 18 septembre 2014 quand plus de 55 % des Écossais ont répondu non à la coupure avec l’Angleterre.

En mai 2021, les législatives écossaises n’ont pas vraiment changé la donne. Elles ont donné un siège supplémentaire au SNP (Scottish National Party) sur les 129 de l’Assemblée écossaise tandis que les libéraux en perdaient un. Les écologistes, favorables à l’indépendance, ont remporté deux sièges pris aux travaillistes, mais les conservateurs ont conservé leurs positions. Et Nicola Sturgeon s’est brouillée avec son ancien mentor et prédécesseur Alex Salmond. Son parti peine encore à proposer un plan économique crédible en cas d’indépendance. Coree Brown Swan, de l’université de Belfast, estime qu’il « faudrait une réponse claire sur la question de la frontière avec le Royaume-Uni, ainsi que sur la future monnaie de l’Écosse » pour convaincre les Écossais du bienfait d’un Scotxit. En ces temps troublés, l’opinion ne veut pas prendre le risque d’une coupure avec Londres. Quelques mois après sa relative victoire au Parlement d’Édimbourg, les sondages favorables à l’indépendance sont redescendus sous la barre des 50 %.

Pour le SNP, le risque d’un second revers est trop important et le parti souhaite bénéficier d’une confortable avance dans les sondages avant de relancer la question indépendantiste. Il semble en effet que les craintes post-Brexit se soient estompées tandis que les crises Covid et de la guerre en Ukraine ont souligné la fragilité d’une Écosse isolée. Nicola Sturgeon a d’ores et déjà reporté sa promesse de référendum après les élections législatives britanniques de 2024 en espérant que les circonstances politiques redeviennent favorables et que Boris Johnson soit vaincu. Désormais la Première ministre écossaise n’entrevoit l’indépendance de l’Écosse qu’à la fin de sa mandature, en 2026… « Les leaders du SNP ont été clairs sur leur volonté de ne pas défier la loi ou d’organiser un référendum unilatéral à la catalane », observe Michael Keating, professeur de politique à l’université d’Aberdeen, dans le Guardian. D’autres indépendantistes se raccrochent désormais à l’idée d’un référendum consultatif. « Un tel vote pourrait mettre la pression à Westminster, tout en offrant un coup franc pour les Écossais, sans conséquence », estime pour sa part Mujtaba Rahman, chercheur à Eurasia Group.

Certes, les électeurs écossais ont voté pour le SNP lors des élections locales de mai 2022. Le parti de Nicola Sturgeon a obtenu 453 élus, tandis que les travaillistes récoltaient 282 élus et les conservateurs 214. Mais ce résultat électoral est davantage une approbation de la gestion locale du SNP qu’un appel à larguer les amarres avec la Couronne britannique. Localement, les Écossais, comme les Nord-Irlandais, accordent leur confiance à leurs partis régionalistes, mais ils ne sont pas prêts à leur céder le régalien et à quitter le Royaume-Uni. Brexit ou non.

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À propos de l’auteur
Hadrien Desuin

Hadrien Desuin

Ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, Hadrien Desuin est membre du comité de rédaction de Conflits.

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