Carol Bown est avocate et femme politique chilienne. Elle a été deux fois vice-ministre (1) (des carabiniers et de l’enfance). Élue constituante de la Convention chargée de rédiger la nouvelle Constitution du Chili, Carol Bown répond à Conflits à quelques jours du référendum du 4 septembre au cours duquel la proposition émise par la Convention sera soumise à un vote obligatoire. Les sondages indiquent que le peuple chilien rejetterait le texte constitutionnel.
Entretien réalisé par Bernard Garcia
Dans quel contexte a-t-il été décidé de rédiger une nouvelle Constitution pour le Chili ?
En octobre 2019, il y a eu ce que l’on appelle aujourd’hui une « explosion sociale » : une vague de manifestations sociales, dont certaines extrêmement violentes, qui a mis le pays en échec. C’était l’une des crises sociales et politiques les plus fortes que notre pays ait connues dans son histoire. À l’époque, j’étais membre du gouvernement et j’ai vécu ces heures dans le Palacio de La Moneda (siège du gouvernement). Au Chili, nous ne sommes pas étrangers aux catastrophes naturelles (tremblements de terre et tsunamis, éruptions volcaniques) et face à de telles crises, la population chilienne a eu tendance à s’unir autour des autorités pour faire face au danger et ensuite soutenir la reconstruction des zones touchées.
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Le bouleversement social a été tout le contraire : la crise a apporté la division, la figure du président de la République n’a pas été suffisamment soutenue par les différents secteurs sociaux et politiques, et il a été la cible de toutes les critiques, étant rendu responsable de tous les problèmes qui s’étaient accumulés pendant une longue période. Il convient de souligner que depuis un certain temps, nous assistons à un grand mécontentement social : notre pays, depuis plusieurs décennies, malgré la croissance économique, connaît des problèmes sociaux non résolus. À cet égard, je reconnais que nous avons souvent manqué d’attention face aux rapports de collusion et de corruption.
La violence s’est emparée du pays et les semaines ont été très tendues et violentes. Une grande marche pacifique a également été organisée, demandant des changements dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la décentralisation, etc.
La nuit du 25 novembre 2019 a été extrêmement violente, avec de nombreuses attaques dans les rues, et nous ne savions pas quoi faire ni ce qui allait se passer. Dans ce contexte, la classe politique, les parlementaires de presque tous les partis, ont signé un accord pour la paix et pour une nouvelle constitution et ont appelé à un processus constituant. Cet accord était avant tout une solution politique et institutionnelle à une crise qui aurait pu se terminer par une révolution ou un coup d’État. Dans le même temps, une partie de la gauche souhaitait depuis longtemps modifier la Constitution, car l’actuelle date de 1980, sous l’ère Pinochet.
Comment décririez-vous le processus de rédaction au sein de la Convention ?
Dans ce processus, une Convention constitutionnelle de 155 membres a été élue, dans laquelle la grande majorité était de gauche ou d’extrême gauche. Comme les règles ont été adoptées à la majorité des 2/3, nous n’avons pratiquement rien eu à dire, et l’extrême gauche a dominé tout le processus, sans nous prendre en considération. De nombreuses suggestions faites par les citoyens directement par le biais d’un mécanisme participatif existant n’ont pas non plus été incluses.
À cela s’ajoutait le fait que beaucoup d’entre eux n’avaient qu’une formation juridique ou économique très limitée, qu’ils connaissaient mal les institutions du pays et qu’ils n’ont pas tenu compte des suggestions des experts que nous avions invités à participer.
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Le texte qui sera soumis au plébiscite ce dimanche reflète un programme de gauche (très forte participation de l’État à la vie nationale, limitation des investissements étrangers, déclaration du Chili comme État « plurinational », création de territoires indigènes autonomes, violation du principe d’égalité devant la loi par le biais de droits exclusifs pour les Chiliens d’origine indigène, idéologie du genre, avortement, euthanasie, absence de liberté d’enseignement) qui a été adopté de manière non démocratique. Il n’y avait pratiquement aucun dialogue et le rôle de notre secteur politique était de dénoncer dans l’opinion publique le manque de contrôle, les abus et les mensonges de ce travail.
Les travaux de la Convention constitutionnelle ont été mal évalués et les sondages montrent que, ce dimanche, l’option « Rejet » l’emportera. Quelle est votre opinion ?
Ce processus a été un énorme échec, avant tout parce qu’il nous a divisés en tant que pays. Une Constitution devrait nous unir, et ce qui s’est passé est le contraire : la haine et la culture de l’annulation (cancel culture) ont été les principaux acteurs du processus. Les coûts sociaux, politiques et économiques ont été extrêmement élevés et le résultat n’a pas été à la hauteur des attentes de la population.
Pour le plébiscite du 4 septembre, la gauche et la droite ont appelé à voter contre ce texte créé par l’extrême gauche. Personnellement, j’espère que cette fois-ci nous gagnerons car ce texte constitutionnel est une sorte d’idéologie de gauche révolutionnaire qui sera impossible à mettre en pratique et qui déstabilisera encore plus le pays.
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Que se passera-t-il ensuite si le Rejet gagne ? Tout d’abord, je pense que nous avons besoin d’un vrai leader pour nous guider à travers cette crise. Le président Boric, que je connais personnellement pour l’avoir côtoyé en tant que député, me semble être une personne bien intentionnée, mais qui n’a pas été capable de gouverner ces derniers mois. Je considère qu’il lui est difficile de diriger un nouveau processus constitutionnel, car il a été élu et est soutenu précisément par l’extrême gauche qui a rédigé le projet de constitution. Je pense qu’en cas de victoire du Rejet, la chose la plus prudente à faire est de réformer la Constitution actuelle de 1980 et de la soumettre ensuite à un plébiscite. Une autre solution consisterait à convoquer un comité d’experts chargé d’élaborer une proposition sur la base de la Constitution actuelle et des derniers projets de constitution. Dans tous les cas, il est nécessaire de mener à bien ce nouveau processus de manière agile et transparente, car le pays n’en peut plus. Nous sommes en crise depuis presque trois ans et nous devons aller de l’avant.
Notes
(1) Au Chili, les postes du gouvernement sont souvent composés de deux personnes : un ministre, qui a en charge les dossiers politiques, et un vice-ministre, qui est plus jeune et qui s’occupe du volet technique du portefeuille.