Le genre le plus prolifique de la littérature contemporaine emprunte d’étonnants détours pour traiter des sociétés lui servant de décor. Évoqué par un auteur britannique, le Périgord et ses trésors gastronomiques servent à parler d’un monde attentif à préserver ses équilibres anciens. Résultat savoureux.
Martin Walker, Noirs Diamants. Crimes, mensonges et vin de noix, Paris, Le Masque, 2021, 360 p. À retrouver à cette adresse.
Au siècle dernier, le terreau sur lequel s’élaborait du polar fut le plus souvent celui de la grande ville et ses débordements. Puis beaucoup d’auteurs, en Europe, se sont ancrés dans d’autres temps, d’autres espaces, tandis qu’un courant, latin pourrait-on dire, engendrait des policiers atypiques, issus d’un terroir dont l’auteur préférait la cuisine aux paysages. Parmi ces précurseurs, on relèvera le coup de fourchette de Montalbán et celui de Camilleri, en Catalogne et en Sicile. En France, des maisons d’édition régionales ont récemment offert leur chance à des auteurs inconnus et certaines se sont fait connaître, en dépit d’une production inégale, comme Cairn en Béarn.
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Noirs diamants, tels la plupart des livres à succès, vient alors que la voie a été ainsi ouverte et qu’on y peut récolter les semailles. L’auteur est un journaliste britannique connu et ses intrigues policières (il s’agit d’une série dont Noirs diamants est le troisième opus), rédigées en anglais, ont été davantage traduites en allemand ou en italien qu’en français. La France des terroirs, comme on dit, se vend bien en Europe.
L’intrigue pourrait se lire comme une déclaration d’amour aux charmes du Sud-Ouest, comme l’évocation nostalgique des saveurs du temps où l’Aquitaine était anglaise. On se tromperait, car ce sont les rapports qu’entretiennent les villageois entre eux et avec leur passé qui représentent l’élément le plus intéressant de l’ouvrage. Avec son policier municipal Bruno Courrèges, qui a été soldat, mais exerce désormais les fonctions bonasses de garde champêtre, on assiste à la naissance d’un personnage dont le rôle est de réconcilier ces Français de province avec eux-mêmes et avec leurs racines.
Une petite ville nichée dans un méandre de la Vézère, le même décor qui abritait des tribus auxquelles on doit quelques grottes fameuses. Le maire qui fut un homme politique à Paris et achève sa vie dans ce repli confortable, toujours habile à diriger les hommes et mener les affaires. Et le héros, Benoît dit Bruno, un enfant trouvé, engagé dans l’armée, qui s’est battu dans les Balkans et ne l’a pas oublié. Revenu blessé d’une Europe déchirée, il va s’appliquer à pacifier cette communauté à sa mesure en s’intégrant à un univers où la chasse et les repas pris en commun scandent le temps d’une enquête. Celle-ci s’intéresse au sort de la truffe, ce diamant noir que des tricheurs infiltrés dans le marché local ont mélangé aux miettes d’un produit chinois de piètre qualité.
Comme pour d’autres épisodes de cette série, le passé compliqué de la France sert de toile de fond aux activités criminelles. L’auteur a pris le temps d’ouvrir de bons livres d’histoire, mais n’a pas toujours eu celui de se défaire de partis pris. Dans une aventure précédente, la guerre d’Algérie et la Seconde Guerre mondiale revenaient en surface, pour Noirs Diamants, c’est la guerre d’Indochine et des épisodes peu connus de la guerre secrète qui s’est alors menée. On admirera que l’auteur puisse identifier le rôle de personnages qui avaient pour mission de rester invisibles, on s’étonnera parfois des libertés prises avec l’histoire.
Mais pour des détails qui n’agaceront que quelques érudits et de rares survivants, n’allons pas bouder le plaisir de lire une enquête qui célèbre la bonne chère, l’amitié, le rugby, la chasse et les chiens, et même les femmes indépendantes néanmoins pas bégueules.