Hervé Théry et Daniel Dory
La carte des attentats de 2015 permet de mieux comprendre les motivations des terroristes. La cartographie de ces événements tragiques apporte de nouvelles compréhensions sur cette question.
La recherche sur le choix des cibles des attentats est l’un des thèmes qui ont mobilisé les chercheurs en études sur le terrorisme au cours des dernières années. Ainsi, on dispose notamment d’études sur les modes opératoires et le choix des victimes des djihadistes en Europe[1], ainsi que des travaux qui analysent les facteurs influant sur la décision de réaliser les attaques en des lieux déterminés[2]. Ces publications, et surtout la dernière, se centrent sur le processus de choix rationnel effectué par les terroristes, amenés à prendre en compte des facteurs comme l’acceptabilité de la cible en fonction de critères (surtout idéologiques), sa pertinence, son accessibilité et la connaissance qu’en ont ceux qui planifient l’attentat.
En complément de ces avancées, il était donc tentant d’explorer une autre voie de recherche, fondée cette fois sur l’analyse de la relation entre les caractéristiques des lieux des attentats et les buts des terroristes. Pour ce faire, et sachant que le terrorisme est essentiellement une technique de communication violente qui passe par l’exploitation médiatique de la mort et/ou de la souffrance de victimes non aléatoirement choisies, une stratégie exploratoire de recherche fut mise en œuvre. Partant donc du fait que, dans un attentat terroriste, c’est l’identité vectorielle des victimes (définie par leur capacité à véhiculer des messages aux audiences choisies)[3] qui est mobilisée, il est cohérent de s’intéresser aux lieux en fonction de cette variable.
Ainsi, dans le cas des attentats du 13 novembre 2015, les terroristes ont explicitement déclaré que leur action constituait une vengeance des bombardements que le gouvernement de François Hollande avait ordonnés contre l’État islamique en Irak et (moins) en Syrie[4]. Dès lors il est remarquable de constater, sur la carte que nous avons élaborée, la parfaite coïncidence entre les lieux des attentats (dans Paris intra-muros, excluant le Stade de France) dans les Xe et XIe arrondissements, qui sont parmi ceux où le vote en faveur de François Hollande est très nettement surreprésenté tant au premier qu’au second tour de l’élection présidentielle. Leur localisation sur la carte dessine un axe qui longe les confins de ces arrondissements à la fois « boboïsés » et « hollandais », tout en restant au plus proche du centre de Paris. En frappant ces lieux, les terroristes ont donc visé des victimes, résidentes ou en transit, dont l’identité vectorielle était la plus efficace pour faire passer leur message au gouvernement socialiste de l’époque.
Bien entendu, cette approche cartographique devra être complétée par des recherches ultérieures pour en affiner les acquis. Mais, en tant que telle, elle offre une bonne base pour poursuivre la réflexion à partir de faits incontestables et mis en évidence pour la première fois.
[1] Cato Hemmingby, « Exploring the Continuum of Lethality : Militant Islamists’ Targeting Preferences in Europe », Perspectives on Terrorism, vol. 11, no 5, 2017, p. 25-41.
[2] Zoe Marchment : Paul Gill, « Spatial Decision Making of Terrorist Target Selection : Introducing the TRACK Framework », Studies in Conflict and Terrorism, 2020, (en ligne).
[3] Sur ce point, voir : Daniel Dory, « Le terrorisme comme objet géographique : un état des lieux », Annales de Géographie, no 728, 2019, p. 5-36.
[4] Voir, par exemple : L. Natiez ; D. Peschanski ; C. Hochard, 13 novembre. Des témoignages, un récit, Odile Jacob, 2020, p. 148-149.