Les bruits de guerre résonnent entre la Chine et Taïwan. Mais dans le même temps, Pékin montre aussi plusieurs signes de rapprochement et de pacification, comme le rétablissement de vols directs entre les deux rives. Est-ce le signe d’un dégel ou bien la guerre est-elle inévitable ?
Nous constatons actuellement deux séries de signaux contradictoires concernant la situation dans le détroit de Taiwan. D’un côté, les autorités de Taiwan se préparent, sous la pression constante des US, pour une éventuelle guerre (urbaine) sur l’île. Tout en insistant pour une solution pacifique, la Chine continentale n’écarte pas la possibilité d’avoir recours à la force en cas de l’indépendance déclarée de Taiwan. De l’autre côté, certains gestes d’apaisement attirent notre attention, tels que le rétablissement du transit entre l’île de Jinmen et la ville de Xiamen ainsi que l’élargissement des vols directs entre les deux rives. S’agit-il du commencement d’un éventuel dégel ou bien seulement quelques mouvements tactiques de circonstance ? Regardons de plus près.
Selon l’analyse de la revue The Economist, le détroit de Taiwan est actuellement le point le plus chaud sur la terre après l’Ukraine.
Taïwan est depuis longtemps au centre d’une ambiguïté diplomatique. D’un côté, Pékin considère qu’il n’y a qu’une seule Chine et que l’île en est une province. De l’autre, Washington « acquiesce à l’idée d’une seule Chine », mais a passé soixante-dix ans « à s’assurer qu’il y en a deux »1.
Officiellement, les US s’en tiennent à la politique de la Chine unique, qui ne reconnaît qu’un seul gouvernement chinois – celui de Pékin – et entretient des liens officiels avec Pékin plutôt qu’avec Taipei. Mais elle s’est également engagée à fournir à Taïwan de plus en plus d’armes et l’encourage à se transformer en hérisson2.
Depuis plusieurs années, les relations se sont complètement détériorées entre les deux rives. De plus en plus de démonstrations hostiles ont eu lieu des deux côtés. On entend les cliquetis des armes. Les liaisons aériennes ont été réduites au minimum. Les touristes continentaux ont déserté l’ile Précieuse (宝岛, le nom donné à Taiwan par ces visiteurs) bien avant que le Covid ait dressé un mur de séparation.
La tension croissante entre les deux rives du détroit de Taiwan
La visite du speaker Nancy Pelosi au mois d’août dernier a provoqué une montée de tension sans précédent dans le détroit de Taiwan. Les réactions musclées de la Chine continentale ne se faisaient pas attendre tant via les exercices militaires jamais vus auparavant autour de l’île que par l’intermédiaire des déclarations sans ambiguïté.
L’armement de Taiwan en vue d’une guerre urbaine est au cœur des divers mouvements encouragés ou imposés par les US, tels que Taiwan Policy Act en préparation3, l’amendement de la loi sur la mobilisation générale4 qui a été finalement retiré sous la protestation vigoureuse des Taiwanais ; la prolongation de la durée du service militaire obligatoire5 et l’augmentation des dépôts d’armes à Taiwan6.
Sans parler du projet de visite du nouveau Speaker Kevin McCarthy (Républicain) à l’instar de Nancy Pelosi (Démocrate). Il paraît que, finalement, le rendez-vous aurait lieu aux US lors d’un transit de Tsai Ing-wen pour son voyage en Amérique latine.
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Un tremblement de terre politique à Taiwan : l’échec des sélections locales pour DPP
Les élections locales dites « 9 en 1 » ont eu lieu dans cette atmosphère au mois de nombre dernier. Le parti au pouvoir DPP (Democratic Progressive Party : Parti démocrate progressiste) a réitéré sa stratégie de « Protéger Taiwan contre la Chine » (抗中保台) qui était payante lors des élections présidentielles de 2020.
Contre toute attente, cette fois-ci, le DPP a essuyé une défaite cinglante. « Le parti de la présidente a notamment perdu la capitale, Taipei. Le DPP n’a remporté que cinq des villes et comtés de l’archipel de 23 millions d’habitants, sa pire performance depuis sa fondation, en 1986. En face, le Kouomintang (KMT) a gagné 13 sièges, dont ceux de la capitale, Taipei, et de Taoyuan, autre grande ville du nord du pays. »7
À la suite de la démission de Tsai Ing-wen à la tête du DPP comme conséquence de la défaite, une réflexion approfondie a eu lieu au sein du Parti présidentiel. Cela a amené à un changement de position et d’affichage, annoncé par la nouvelle direction. Au lieu de « Protéger Taiwan Contre la Chine » (抗中保台), le slogan est devenu « La paix Pour Protéger Taiwan » (和平保台).
Ce changement radical donne à réfléchir. S’agit-il d’un changement de fond ou seulement d’un réajustement tactique de circonstance en vue des élections présidentielles qui auront lieu en 2024 ? Regardons de plus près.
Quelques changements observés
Le 20e Congrès du Parti communiste chinois a eu lieu dans la même période de l’autre côté du détroit de Taiwan. Ce Congrès est un moment historique qui témoignait le renouvellement des dirigeants (le Politburo, le gouvernement, le Comité militaire…) et les orientations stratégiques pour les années à venir.
En ce qui concerne Taiwan, on constate que les mêmes positions ont été réitérées. Bien que le « recours à la force » comme dernière option ne soit pas exclu, l’accent a été largement mis sur la volonté d’une « réunification pacifique ».
Un certain nombre de déclarations et de gestes en provenance des deux rives font voir une sorte d’assoupissements.
Réouverture des « Trois liaisons mineures »
Le 10 février, après trois ans de rupture et d’un commun accord, en tant que canal important pour la communication directe entre la côte du Fujian (福建) et la région de Jinma (金马), la route de passagers Quanzhou-Jinmen (泉州–金门) « trois liaisons mineures » (小三通) a été réouverte, ce qui signifie que les routes de passagers des deux côtés du détroit de Taiwan ont repris leurs opérations.8
Première délégation chinoise à Taïwan depuis le début de la pandémie de Covid
La première délégation chinoise à visiter Taïwan depuis le début de la pandémie de Covid a reçu un « accueil chaleureux », a déclaré lundi 20 février la mairie de Taipei qui est dirigée par le parti Kuomintang (KMT), plus favorable à un rapprochement avec la Chine que le Parti démocratique progressiste de Tsai Ing-wen.
Les six membres de la délégation chinoise arrivée de Shanghaï ont rencontré le maire de la capitale taïwanaise, Chiang Wan-an, membre du KMT. Cette visite s’inscrit dans une série d’échanges récents entre Pékin et l’île de Taïwan, qui se prépare à l’élection présidentielle de 2024.9
Élargissement de la liste des vols directs entre l’île et le continent
Un autre signal très fort attestant l’assouplissement de la position des deux rives concerne l’élargissement de la liste des vols directs entre l’île et le continent.
En répondant aux récentes suggestions venant d’en face, Taïwan a ajouté 10 destinations en Chine aux cinq déjà desservies par des vols réguliers, à la suite d’une évaluation de la situation du COVID-19, a annoncé le jeudi 9 mars le Conseil des affaires continentales (MAC). 10
La mise en place de la mesure a débuté le vendredi 10 mars pour les vols de passagers et de fret. Les vols réguliers entre Taïwan et Shanghai Pudong, Shanghai Hongqiao, Pékin, Xiamen et Chengdu se sont poursuivis pendant la pandémie, mais le MAC ajoute Guangzhou, Shenzhen, Nanjing, Chongqing, Fuzhou, Hangzhou, Qingdao, Wuhan, Ningbo et Zhengzhou.
L’objectif principal est de faciliter les déplacements entre Taïwan et certaines parties de la Chine continentale pour les investisseurs et hommes d’affaires taïwanais. Pour 13 autres aéroports en Chine, les opérateurs seront bientôt informés au sujet des procédures à suivre pour demander des vols charters.
Cette décision tient compte des récentes suggestions de Pékin, démontrant la bonne volonté de Taïwan. Cela donne de l’espoir aux tour-opérateurs taiwanais pour un retour massif des touristes continentaux en groupe ou individuels.
Une curieuse coïncidence est à signaler : l’annonce a été faite par Taiwan le même jour quelques heures avant que XI Jinping ait été reconfirmé dans ses positions pour un troisième mandat de 5 ans. Ce geste positif tout à fait à propos ressemble curieusement à une félicitation implicite au Président Xi pour son nouveau mandat.
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Un début de dégel ?
Sans aucun doute, ce que nous voyons en ce moment représente un début du dégel dans les relations entre les deux rives du détroit de Taiwan. Ce qui est à creuser concerne plutôt les motivations profondes de ces gestes.
Ils correspondent à un besoin d’apaisement des deux côtés.
À l’orée d’une nouvelle étape de son développement, la Chine continentale souhaiterait souligner et montrer sa volonté de résoudre le conflit historico-politique de façon pacifique et de continuer la poursuite du programme de long terme.
Afin de récupérer les voix perdues lors des élections locales, les responsables du DPP répondent par ce changement au message envoyé par les électeurs. Un réajustement de la posture et du message devient une question de survie politique. Les échéances des élections présidentielles imposent une sorte de réalisme politique aux décideurs du DPP, qui montrent suffisamment de souplesse d’adaptation. D’où la nouvelle position et le nouveau slogan centré sur la paix. Le glissement depuis « Protéger Taiwan contre la Chine » vers « La paix pour Protéger Taiwan » est bien évident. Quant à savoir si cela suffit à faire revenir ceux qui sont partis, la réponse reste largement ouverte. En entendant les bruits de la guerre, le peuple de Taiwan commence à réfléchir sérieusement au sujet de ce qui pourrait leur arriver d’autant plus qu’ils ont devant leurs yeux les scènes de souffrances de guerre en Ukraine.
Un souhait
S’agirait-il d’un revirement réel ou juste d’une tactique de circonstance en vue des séances électorales de 2024 ? L’avenir nous le dira. En attendant, nous aimerions que ce soit le commencement d’un réel dégel dans les relations entre les deux rives au-delà des considérations uniquement électorales. Que ces gestes se prolongent dans la recherche volontaire et sérieuse d’une solution pacifique durable pour ce conflit historico-géopolitique.
Un événement récent attire notre attention. Un soldat dénommé Chen, basé sur l’îlot d’Erdan, dans l’archipel de Jinmen, à moins de 5 km du continent, est porté disparu depuis le 9 mars dernier. On savait à ce jour qu’il se trouvait en continent, à Xiamen11. Les manières dont cet événement sera traité par les deux côtés serviraient de test pour vérifier s’il s’agit d’une réelle volonté de détente et de paix dans la durée.
Un autre événement encore plus impactant sera la visite de l’ancien président Ma Ying-jeou de la République de Chine. M. Ma se rendra en Chine ce mois-ci, a annoncé dimanche son bureau, la première visite d’un ancien ou actuel dirigeant taïwanais depuis la fuite du gouvernement déchu de la République de Chine vers l’île en 194912.
Le bureau de Ma a déclaré qu’il se rendrait en Chine du 27 mars au 7 avril et se rendrait dans les villes de Nanjing, Wuhan, Changsha, Chongqing et Shanghai. Il rencontrera des étudiants et visitera des sites liés à la Seconde Guerre mondiale et au conflit entre la Chine et le Japon ainsi que ceux liés à la révolution de 1911 qui a renversé le dernier empereur chinois et inauguré la République de Chine.
Il n’a été pas précisé si M. Ma rencontrerait des responsables ou des dirigeants chinois, y compris s’il rencontrerait le Président Xi Jinping.
Le voyage aura lieu à un moment important dans l’évolution des relations entre les deux côtés du détroit. Nous espérons qu’il l’influencerait dans la bonne direction, c’est-à-dire dans la recherche d’une solution pacifique.
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Taiwan Policy Act. Les Etats-Unis face à Taïwan
1 Cf. The Economist, édition du 1er mai 2021.
2 Cf. BBC News Afrique, « Chine – Taiwan : qu’est-ce qui se cache derrière les tensions entre les deux pays ? », 3 août 2022
3 Cf. Alex Wang, « Taiwan Policy Act, les États-Unis face à Taiwan », Conflits le 18 octobre 2022.
4 « L’amendement de la loi sur la mobilisation générale doit se poursuivre », RTI (Radio Taiwan Internationale), 2023/03/06.
5 Laurent Lagneau, « Taïwan va rétablir la durée du service militaire à douze mois », Zone militaire, 27 décembre 2023 ;
6 Cf. Alex Wang, « Taiwan Policy Act, les États-Unis face à Taiwan », Conflits le 18 octobre 2022.
7 Simon Leplâtre, « A Taïwan, défaite cinglante du parti de la présidente aux élections locales », le 28 novembre 2022
8 两岸“小三通”恢复通航, 澎湃新闻, 2023-02-11 https://m.thepaper.cn/newsDetail_forward_21876520
9 « Taïwan : une délégation chinoise en visite pour la première fois depuis la pandémie », Le Monde avec AFP, le 21 février 2023
10 Matthew Strong, “Mainland Affairs Council heeds suggestions by China as sign of goodwill”, Taiwan News, 2023/03/09
11 Cf. RTI (Radio Taiwan Internationale), 2023/03/14.
12 Cf. Reuters, le 19 mars 2023, Taipei.