<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre des fonds marins

23 novembre 2024

Temps de lecture : 15 minutes

Photo : L'armée des États-Unis effectue une maintenance des câbles sous-marins dans l'océan Pacifique, julliet 2016.// SIPA_1607251913

Abonnement Conflits

La guerre des fonds marins

par

Les fonds marins abritent des infrastructures vitales, essentielles à la vie moderne. Des câbles sous-marins et des infrastructures reposent sur et sous les fonds marins tout autour du globe. De quoi susciter des convoitises et attirer des attaques. D’où la nécessité d’une véritable doctrine pour penser l’emploi stratégique des fonds sous-marins.

Cet article a été rédigé en anglais pour le Royal Navy Strategic Studies Centre (RNSSC), l’objectif étant de remettre en question la position actuellement acceptée et de proposer un point de vue alternatif. De légères modifications ont été apportées pour un lecteur français.

Alex Westley, officier de la Royal Navy, Cabinet de CEMM, ministère des Armées, Paris.

Introduction

Les fonds marins abritent des infrastructures vitales, essentielles à la vie moderne. Des câbles sous-marins et des infrastructures reposent sur et sous les fonds marins tout autour du globe. La plupart des gens n’y pensent pas jusqu’à ce qu’une panne survienne et qu’ils se retrouvent soudainement coupés de l’énergie, de l’information et de l’argent. L’importance de ces câbles est connue depuis le XIXe siècle, avec l’introduction des câbles télégraphiques sous-marins, et leur protection a fait l’objet d’un traité international [1]. Au fur et à mesure que les câbles sous-marins se sont développés, passant du télégraphe à la téléphonie et aux données, leur impact financier les a rendus vitaux pour les intérêts économiques de nombreux pays. On estime que 10 billions de dollars sont transmis chaque jour par les câbles sous-marins [2]. L’information n’est pas la seule marchandise qui passe sous la mer, l’énergie est également largement distribuée, qu’il s’agisse des oléoducs et des gazoducs, comme la série Nordstream, sabotée en 2002, ou de l’électricité. À mesure que la planète s’oriente vers une économie à faible émission de carbone, l’augmentation des besoins en énergies renouvelables et la nécessité d’acheminer cette énergie de la production à l’application accroissent plus le besoin d’infrastructures maritimes et de fonds marins.

Compte tenu de cette forte dépendance à l’égard des infrastructures sous-marines, il est clairement nécessaire de les protéger. Cependant, il est difficile de protéger quelque chose sans nécessairement comprendre la menace. Quelles sont les causes des défaillances des câbles sous-marins ?

Figure 1 – Pourcentage de défauts de câbles liés à différentes causes [3]

Les causes des failles peuvent être catégorisées en fonction de la profondeur : au-delà de 1000 mètres, les causes sont principalement naturelles (géologiques ou abrasion par les courants), tandis qu’à l’intérieur du plateau continental (moins de 200 mètres), la plupart des causes sont liées à l’activité humaine. Cependant, comme l’ont prouvé les attaques contre Nordstream, les infrastructures sous-marines ne sont pas à l’abri d’actions malveillantes et, à ce titre, que peuvent faire les nations pour s’assurer qu’elles peuvent protéger les infrastructures essentielles à leurs intérêts nationaux. En 2017, l’actuel Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a rédigé un rapport de Policy Exchange sur les infrastructures de câbles sous-marins. Il a déclaré que : « Les câbles sont intrinsèquement vulnérables, car : leur emplacement est généralement accessible au public, ils ont tendance à être très concentrés géographiquement, tant en mer que sur terre, et il faut une expertise technique et des ressources limitées pour les endommager. » [4] Cet article comportait un avant-propos rédigé par l’ancien SACEUR de l’OTAN, l’amiral James Stavridis USN, dans lequel il déclarait : « Dans le scénario le plus grave d’une attaque généralisée contre l’infrastructure des câbles sous-marins par un acteur hostile, l’impact de la perte de connectivité est potentiellement catastrophique, mais même un sabotage relativement limité a le potentiel de causer des perturbations économiques importantes et d’endommager les communications militaires. ‘ [4] Ce sont des déclarations de ce type qui se sont répandu dans les hauts commandements du monde entier. Toutes les grandes nations maritimes de l’OTAN ont désormais une politique de protection des infrastructures des fonds marins (ou de lutte contre la pollution des fonds marins).  Des investissements considérables sont réalisés dans le monde entier, au nom de la protection de cette infrastructure nationale essentielle. Mais que pouvons-nous faire ? Plus pertinent encore, que devrions-nous faire ?

À lire également

Quand l’Internet ne tient qu’à un fil. Géopolitique des câbles sous-marins

Objectif

L’objectif de ce document est de réfléchir à certaines questions clés concernant le problème de l’infrastructure des fonds marins et d’explorer ce à quoi ressemblerait l’option « Ne rien faire » (ou du moins très peu). Il ne s’agit en aucun cas d’une attaque contre les politiques militaires d’un pays, mais, en ces temps de contraintes financières croissantes, il est utile d’examiner les priorités actuelles et de se demander ce que nous devrions faire. Est-ce que l’armée est en mesure de résoudre ce problème ?

Pour limiter la portée de ce document, l’accent sera mis sur les mesures à prendre pour faire face au sabotage délibéré des infrastructures des fonds marins. Ce document tentera de répondre à quatre questions :

  • Peut-on l’arrêter ?
  • Que se passe-t-il ensuite ?
  • La redondance est-elle son propre moyen de dissuasion ?
  • Que doivent faire les armées ?

Peut-on l’arrêter ?

Figure 2 – Câbles sous-marins en juin 2022 [5]

En juin 2023, il y aura 485 systèmes de câbles sous-marins en service[1], et soixante-dix autres seront planifiés [6]. Comme le montre la carte de la figure 2, il existe un nombre important de câbles et d’itinéraires critiques qui devraient être protégés. Mais qu’est-ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ?

Normalement, à l’intérieur du plateau continental, les câbles des fonds marins sont fortement blindés et souvent enterrés pour les protéger des activités humaines telles que la pêche et le mouillage d’ancres. Par conséquent, les câbles vulnérables se trouvent maintenant à des profondeurs qui rendent leur accès particulièrement difficile. Comme l’a déclaré l’amiral Stavridis, une attaque coordonnée à grande échelle pourrait entraîner des pertes catastrophiques, mais est-ce probable ? Le croquemitaine déclaré dans cette situation est la Russie, qui développe depuis longtemps des véhicules de haute mer ainsi que la Chine qui investit également dans ce domaine [7]. Les agences de renseignement occidentales, les hommes politiques, les groupes de réflexion et les experts ont souvent déclaré que le sabotage représentait un risque existentiel pour les infrastructures nationales critiques, mais comment peut-on l’arrêter ? Aucun système de prévention n’est parfait et il y aura toujours des possibilités de sonder, pénétrer et exploiter ces vulnérabilités.

L’évaluation de la vulnérabilité de l’infrastructure des fonds marins est valable. La figure 1 montre que les câbles sous-marins sont constamment endommagés par diverses procédures. En 2007, des pirates vietnamiens ont volé des amplificateurs optiques, mettant un système de câbles hors service pendant 79 jours. En 2013, un plongeur a intentionnellement coupé le câble SMW 4 (Southeast Asia-Middle East-Western-Europe 4), affectant plusieurs fournisseurs de services et ralentissant la vitesse de l’internet de 60 % en Égypte [8]. Les deux incidents se sont produits dans des eaux peu profondes, près de la côte. Dans le cas de l’incident de 2013, trois hommes ont été arrêtés, opérant à partir d’un bateau de pêche situé à moins d’un kilomètre de la côte [9]. Alors que le temps d’arrêt pour l’année 2007 est imputable à la quantité de matériaux retirés, dans le cas de l’incident de 2013, il a été résolu dans les 14 jours. La possibilité de réacheminer les données, la redondance des lignes de câbles et la disponibilité des navires de réparation réduisent l’effet d’un événement unique provoquant des pannes généralisées.

Ainsi, même si un événement unique peut provoquer des interférences locales, les réseaux câblés sont suffisamment résistants pour limiter au maximum les perturbations généralisées. Qu’en est-il d’une attaque à grande échelle visant à paralyser délibérément l’OTAN ? Le cadre juridique actuel protégeant les câbles sous-marins n’interdit pas explicitement aux États de considérer les câbles sous-marins comme des cibles militaires légitimes en temps de guerre [10]. Dans la phase préparatoire d’un conflit, lorsque les nations utilisent des méthodes irrégulières pour passer de la compétition à la guerre, la seule protection repose sur l’attribution et la procédure juridique. On pourrait argumenter que pour une technologie qui profite à tout le monde, ce niveau de protection est inadéquat, mais il peut être suffisant.

Il est très peu probable qu’un acteur non étatique dispose de ressources ou de capacités suffisantes pour planifier une campagne ciblée contre les infrastructures des fonds marins dans le but d’obtenir un avantage dans les phases préliminaires d’un conflit. Par conséquent, tout scénario doit s’articuler autour d’une escalade des tensions entre États-nations (ou blocs d’États-nations). La première question à se poser est la suivante : à quel moment devez-vous mettre en œuvre votre plan ? Si vous le faites trop tôt, voire de manière préventive, il risque d’être découvert avant qu’il ne soit mis en œuvre. Ceci pourrait entraîner un échec et un embarras. Si vous le faites trop tard, le risque est que les forces d’opposition soient désormais tellement au fait de vos actions que vous ne disposez plus de la liberté de manœuvre nécessaire pour atteindre votre objectif. L’hybridité est une option et l’utilisation de navires apparemment innocents pour y parvenir constitue une troisième voie viable. Toutefois, le récent scandale médiatique provoqué par le repérage d’un navire russe opérant en mer du Nord montre que cette méthode n’est pas non plus nécessairement garantie.

Figure 3 – La Tribune du 6 mai 2023 [11]

À ce stade, aucune des actions visant à prévenir un effort de sabotage important ne dépasse l’objectif actuel des commandants dans leurs zones de responsabilité. Les mêmes méthodes de dissuasion et de surveillance qui existent et sont pratiquées aujourd’hui réduiront la probabilité d’une campagne importante contre les infrastructures des fonds marins, en particulier au-delà du plateau continental. Du point de vue du Royaume-Uni, l’accent mis sur la guerre de surface et de sous-surface dans l’Atlantique Nord suffira à dissuader toute campagne de sabotage à grande échelle. La clé de toute campagne de sabotage de ce type est le déni plausible, qui, bien que réalisable sur des installations individuelles telles que Nordstream, pourrait être mis en péril dans le cas d’une action de plus grande envergure.

Le présent article s’est concentré sur les actions physiques menées contre les infrastructures des fonds marins ; toutefois, il ne faut pas ignorer que l’autre vecteur d’attaque, qui pourrait entraîner des pannes généralisées et des conséquences potentiellement plus importantes, serait une cyberattaque contre l’infrastructure du réseau, ciblant délibérément les systèmes qui permettent le transfert de données le long des câbles. Dans le domaine maritime, il n’y a pas grand-chose à faire pour protéger ou prévenir ce type d’attaque, la responsabilité de la protection incombant aux professionnels de l’informatique et de la cybersécurité des gouvernements et des entreprises.

La difficulté inhérente à la protection d’infrastructures étendues, éloignées et situées dans les fonds marins laisse penser qu’une approche consistant à ne rien faire pourrait ne pas avoir d’impact significatif sur les vulnérabilités existantes. La prévention du sabotage nécessite l’allocation de ressources considérables pour la surveillance, l’application de la loi et la dissuasion, qui s’étendent souvent au-delà des eaux territoriales d’un pays. Malgré ces efforts, il est impossible d’assurer une protection totale en raison de l’immensité des fonds marins et de la complexité des juridictions internationales. En outre, les coûts et les implications politiques d’une réponse cinétique contre des agresseurs potentiels peuvent être élevés. La réalité pourrait donc être que, quelles que soient les ressources consacrées à la prévention, l’éventualité d’un sabotage ne peut être totalement éliminée.

À lire également

Mer : la guerre des câbles

Que se passe-t-il ensuite ?

La réponse à une panne de câble est rapide, mais la réparation des câbles est une opération maritime coûteuse et complexe qui nécessite des navires spécialement conçus, des équipages hautement qualifiés et des ingénieurs compétents. La réparation commerciale des câbles est régie par des contrats qui, pour des raisons d’efficacité et d’économie, sont souvent des accords de pool entre les propriétaires de câbles d’une région donnée. Les navires sont stratégiquement situés dans les ports régionaux et maintenus dans un état de préparation élevé. Ils sont contractuellement obligés de naviguer, avec un équipage formé et des pièces de rechange, dans les 24 heures suivant le signalement d’une défaillance du câble [12]. La priorité étant de rétablir le service le plus rapidement possible et le cadre juridique international n’exigeant pas nécessairement l’attribution, il n’est guère nécessaire d’enquêter. Si l’on soupçonne une activité malveillante à proximité d’un câble et que celui-ci est ensuite endommagé, il est peu probable que l’opérateur de câble sous-marin dispose de preuves suffisantes pour demander réparation dans le cadre de la convention de 1884. Ainsi, la possibilité d’enquêter sur les causes possibles peut être reportée jusqu’à ce que le câble ait été réparé, ce qui réduit encore les chances de trouver des preuves attribuables à la cause du dommage.

Au cours de cette période, les opérateurs de câbles sous-marins réachemineront leurs services par d’autres câbles afin de garantir les services à leurs clients. Les opérateurs de câbles sous-marins, représentés par le Comité international de protection des câbles (ICPC), ont déclaré que « le réseau international de câbles sous-marins est suffisamment diversifié » [13]. Après les navires de pêche et les ancres, les plus grandes menaces semblent être l’activité géologique, des temps d’arrêt importants ayant été attribués à des catastrophes naturelles dans le détroit de Luçon [4] et après Fukushima [14]. Malgré l’impact considérable de ces événements, l’armée n’a jamais eu besoin de faire plus que son rôle humanitaire, elle n’a pas été directement chargée de la restauration de l’infrastructure sous-marine.

La redondance est-elle son propre moyen de dissuasion ?

Dans les premières années d’existence des câbles sous-marins, le manque de redondance en faisait des cibles attrayantes. Les États-Unis ont coupé les câbles reliant l’Espagne à ses colonies pendant la guerre hispano-américaine [15]. La première action offensive de la Royal Navy pendant la Première Guerre mondiale a consisté à couper les liens internationaux de l’Allemagne avec le reste du monde en sectionnant ses câbles [16]. À l’époque, cette opération était plus facile à réaliser en raison du nombre de câbles qu’il fallait couper pour réaliser l’opération. Aujourd’hui, les seules coupures qui méritent d’être signalées sont celles qui se produisent dans des zones où il y a moins de redondance. Le long des routes les plus importantes d’un point de vue économique, la redondance est suffisante pour qu’une seule coupure soit imperceptible pour l’utilisateur final.

Mais la redondance est-elle dissuasive ? Dans le cadre des critères de sélection des cibles d’une opération, l’infrastructure des fonds marins pourrait, comme indiqué précédemment, être considérée comme une cible militaire légitime. Toutefois, le fait que pour obtenir un effet, il faudrait allouer des ressources importantes afin de s’assurer qu’un nombre suffisant de cibles puisse être attaqué, et que la probabilité de succès reste faible, diminue encore la portée de l’opération. La probabilité de succès resterait également faible, ce qui réduit encore la priorité de cet ensemble d’objectifs par rapport à d’autres. Une action cinétique directe contre les infrastructures à terre pourrait avoir le même effet, avec une probabilité de succès plus élevée. Pour assurer une dissuasion de masse, il serait nécessaire que les gouvernements définissent des exigences minimales de disponibilité dans le cadre de toute législation sur les infrastructures critiques. La responsabilité en incomberait aux opérateurs de câbles sous-marins, qui seraient soumis à l’octroi de licences ou de permis liés à l’infrastructure des fonds marins. Des incitations (financières) seraient également nécessaires pour que les opérateurs de câbles sous-marins veillent à ce que la poursuite du développement et du maintien de la redondance du réseau n’affecte pas leur rentabilité. Il incomberait également à ces opérateurs, individuellement ou collectivement, de veiller à ce qu’il existe une expertise suffisante en matière de gestion des incidents pour éviter qu’une situation ne franchisse le seuil entre l’impact et la gérabilité pour devenir une crise.

À la suite d’une attaque ou d’un défaut de fonctionnement, l’accent est mis sur le rétablissement rapide des services, plutôt que sur l’enquête ou l’attribution. Les opérateurs commerciaux privilégient un temps d’arrêt minimal et le cadre juridique mondial ne nécessite pas d’enquête. Dans un tel scénario, la stratégie de « ne rien faire » pourrait être considérée non pas comme une absence d’action, mais comme l’acceptation de la réalité, à savoir que la priorité consiste à rétablir la fonctionnalité aussi rapidement que possible, plutôt que d’investir des ressources dans la recherche d’attributions probablement non concluantes.

La redondance intégrée de l’infrastructure des fonds marins est en effet son propre moyen de dissuasion contre les actes hostiles. La myriade de câbles interconnectés dans le monde entier garantit que la destruction d’un seul câble n’aurait pas d’effet dévastateur. On pourrait même affirmer que l’approche consistant à ne rien faire dans ce contexte est une démonstration de confiance dans le moyen de dissuasion naturel que constitue la conception robuste et complexe de l’infrastructure mondiale des fonds marins. Cette approche pourrait inciter les opérateurs à renforcer la redondance, en maintenant l’équilibre entre sécurité et rentabilité.

À lire également

Entre liberté et protection : les défis des câbles sous-marins

Que doivent faire les armées ?

Comme indiqué dans les sections précédentes, les armées jouent déjà un rôle important en dissuadant les acteurs hostiles d’opérer dans des zones considérées comme vitales ou sensibles. Il s’agit d’un rôle essentiel pour la sécurité nationale et, par conséquent, la décision de ne rien faire spécifiquement pour les infrastructures des fonds marins ne devrait pas réduire cette demande opérationnelle. C’est en période de crise que l’on ferait appel aux armées. Le rôle de l’armée serait probablement un rôle de coopération civil-militaire (CIMIC). Si un problème particulier risque d’atteindre le niveau d’une crise, le gouvernement pourrait demander aux armées de l’aider.

Toutefois, en cas de rupture de câble, il est peu probable que le gouvernement puisse insister pour que des moyens de défense soient déployés dans la région, afin de mener des enquêtes judiciaires, sans avoir à fournir une compensation considérable à l’opérateur du câble sous-marin. Il est plus probable que ce type d’événement se produise dans les eaux internationales, au-delà du plateau continental, et bien que les actes délibérés contre les câbles soient interdits par traité, il est peu probable que les preuves atteignent le seuil nécessaire pour une condamnation réussie.

Le gouvernement pourrait-il charger les armées de patrouiller et de surveiller les infrastructures des fonds marins ? Bien sûr, mais étant donné que les priorités actuelles dépassent les capacités et les limites financières, cela constituerait-il un bon rapport qualité-prix ? Les exploitants d’infrastructures disposent déjà de moyens de surveillance de leurs équipements et peuvent mesurer avec précision toute perturbation des systèmes. En fait, des moyens militaires supplémentaires opérant à proximité des infrastructures des fonds marins pourraient accroître le risque d’une panne accidentelle, ce qui entraînerait une gêne évidente.

Les armées pourraient jouer un rôle important dans les événements sub-threshold. Si l’on constate qu’un navire suspect opère à proximité d’une infrastructure des fonds marins, comme dans la figure 3, il serait intéressant de voir quel effet il a eu sur les fonds marins. Cela permettrait également de mieux comprendre la menace que représentent ces navires suspects. Si l’on ne trouve rien, les décideurs seront amenés à suivre un processus de réflexion spécifique. Plus important encore, si des preuves étaient trouvées près de la zone d’intérêt, cela confirmerait les soupçons qui pèsent sur ces navires et renforcerait le soutien des unités qui jouent déjà un rôle dissuasif.

Seabed Warfare est un terme fréquemment utilisé au sein de l’OTAN. L’idée d’une compétition armée sur les fonds marins semble incroyable et se concentre sur une menace très niche et spécifique. Cependant, il existe d’autres domaines de compétition, en dehors du domaine militaire, où des effets réels peuvent atténuer le risque posé par ces menaces. L’existence d’une redondance au sein de l’infrastructure actuelle permettra d’atténuer le risque, étant donné que de multiples actions simultanées seraient nécessaires pour dépasser la capacité de réserve des réseaux. L’essentiel de cette responsabilité continue d’incomber aux opérateurs, qui souhaitent maintenir la durée d’utilisation d’un système afin de maximiser la rentabilité. Les armées peuvent jouer un rôle à cet égard, en offrant des conseils et une expertise dans certains domaines ; les mécanismes de commandement et de contrôle, de coordination et de consultation avec des agences externes existent déjà. L’investissement dans les capacités militaires et civiles qui peuvent soutenir l’infrastructure des fonds marins devrait également se poursuivre, mais il devrait également être en mesure de remplir d’autres fonctions. Des capacités de niche pour des problèmes de niche, ce n’est plus quelque chose que des armées limitées financièrement et opérant dans un monde de plus en plus incertain peuvent s’offrir le luxe de maintenir.

Le rôle des armées dans la protection des infrastructures des fonds marins ne doit pas nécessairement être actif ou proactif. Des rôles passifs tels que le soutien aux efforts de restauration pendant les crises ou le maintien d’une présence dissuasive générale dans les zones sensibles peuvent être tout aussi efficaces. Conformément à la stratégie « ne rien faire », les militaires pourraient éviter les interventions directes telles que les patrouilles et les relevés d’infrastructures, qui pourraient entraîner des risques et des coûts supplémentaires. Cette approche reconnaît que la force de armées ne réside pas seulement dans la protection active, mais aussi dans ses capacités à contribuer à une réponse rapide et à la restauration, contribuant ainsi à la résilience globale de l’infrastructure.

À lire également

La grande bleue, nouvelle zone grise ?

Conclusion

L’infrastructure des fonds marins sera essentielle à la vie moderne pendant des générations et il devrait être prioritaire de veiller à ce qu’elle soit suffisamment robuste pour répondre aux besoins croissants de la planète tout entière. En cas de perturbation à grande échelle, les conséquences pourraient être considérables sur les plans financier, politique et personnel. Toutefois, la responsabilité d’assurer la protection de ces outils globaux pourrait ne pas incomber en premier lieu aux armées. L’objectif de cet article était de déterminer si les armées avaient un rôle important à jouer dans la protection directe des infrastructures des fonds marins contre les interférences d’un acteur menaçant. Bien que limité dans son champ d’application, il a examiné quatre étapes du processus et a identifié qu’en réalité, les armées n’ont pas nécessairement besoin de jouer un rôle de premier plan dans ce domaine. Les entreprises commerciales seront beaucoup plus efficaces pour faire face aux pannes et disposeront de systèmes robustes en place dans leurs réseaux pour atténuer les effets de ces pannes. La perspective qu’un acteur étatique lance simultanément une attaque généralisée sur plusieurs câbles sous-marins semble peu probable. Une telle action ne constituerait pas une utilisation efficace des ressources ou des capacités, surtout si l’on tient compte des importantes activités de dissuasion déjà en place. Une utilisation plus efficace des ressources limitées consisterait probablement à assurer une protection adéquate de l’infrastructure terrestre, plus vulnérable, contre les interférences physiques et numériques. Toutefois, cela ne relève pas du domaine maritime et ne se situe qu’à la périphérie de l’activité de sécurité nationale au sens large. La raison pour laquelle l’infrastructure des fonds marins n’est pas nécessairement la cible tentante qu’elle était autrefois est la redondance. Comme indiqué précédemment, les ressources nécessaires pour obtenir un effet significatif influent sur le calcul stratégique et opérationnel. Cette résilience pourrait être encore améliorée si les gouvernements imposaient des marges de résilience aux câblo-opérateurs afin d’atténuer davantage toute panne atteignant un niveau de crise. Les armées seront prêtes à intervenir en cas de crise et devraient disposer des capacités appropriées. Toutefois, ces capacités devraient faire partie d’un ensemble d’outils plus large à leur disposition. Elles ne doivent pas constituer une solution coûteuse ou complexe à un problème qui, comme nous l’avons déjà mentionné, ne relève pas en premier lieu de la responsabilité des armées.

Références

[1]       Convention for the Protection of Submarine Telegraph Cables, Paris, 1884.

[2]       M. Sechrist, «New Threats, Old Technology: Vulnerabilities in Undersea Communication Cable Network Management Systems.,» Belfer Centre for Science and International Affairs, Harvard, 2012.

[3]       International Cable Protection Committee (ICPC), «Warming Oceans And Changing Fishing Practices,» Submarine Cable Protection and the environment, March 2021.

[4]       R. Sunak, «Undersea Cables: Indispensable, insecure,» Policy Exchange, London, 2017.

[5]       Telegeography, «Submarine Cable Map,» 15 June 2022. [En ligne]. Available: https://www.submarinecablemap.com.

[6]       L. Burdette, «How many submarine cables are there, anyway?,» 1 June 2023. [En ligne]. Available: https://blog.telegeography.com/how-many-submarine-cables-are-there-anyway.

[7]       S. Chen, «Beijing Plans an AI Atlantis for South China Sea – with No Humans in Sight.,» South China Morning Post, 26 Nov 18.

[8]       J. C. Gallagher, «Undersea Telecommunication Cables: Technology Overview and Issues for Congress,» Congressional Research Service, Washington DC, 2022.

[9]       BBC, «BBC News,» 27 March 2013. [En ligne]. Available: https://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-21963100. [Accès le 24 July 2023].

[10]     C. Wall et P. Morcos, «Invisible and Vital: Undersea Cables and Transatlantic Security,» 11 June 2021. [En ligne]. Available: https://www.csis.org/analysis/invisible-and-vital-undersea-cables-and-transatlantic-security. [Accès le 25 July 2023].

[11]     C. Bueger, «Navire espion en mer du Nord : et si Poutine préparait une guerre contre l’Europe ?,» La Tribune, Vols. %1 sur %2https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/navire-espion-en-mer-du-nord-et-si-poutine-preparait-une-guerre-contre-l-europe-961319.html, 2023.

[12]     D. R. Burnett, «Cable Vision,» Proceedings – United States Naval Institute, August 2011.

[13]     ICPC, «Frequently Asked Questions,» ICPC, 29 September 2014. [En ligne]. Available: https://www.iscpc.org/information/frequently-asked-questions/. [Accès le 26 07 2023].

[14]     J. Brandon, «Protecting the Submarine Cables That Wire Our World,» Popular Mechanics, 15 March 2013. [En ligne]. Available: https://www.popularmechanics.com/technology/infrastructure/a8773/protecting-the-submarine-cables-that-wire-our-world-15220942/. [Accès le 27 07 2023].

[15]     New York Times, «Right To Cut Cables In War; Admiral Dewey Created a New Precedent Under the Law of Nations in Manila Bay.,» New York Times, p. 2, 24 May 1898.

[16]     R. K. Massie, Castles of Steel, New York: Random House, 2003.

Mots-clefs : ,

Temps de lecture : 15 minutes

Photo : L'armée des États-Unis effectue une maintenance des câbles sous-marins dans l'océan Pacifique, julliet 2016.// SIPA_1607251913

À propos de l’auteur
Revue Conflits

Revue Conflits

Fondée en 2014, Conflits est devenue la principale revue francophone de géopolitique. Elle publie sur tous les supports (magazine, web, podcast, vidéos) et regroupe les auteurs de l'école de géopolitique réaliste et pragmatique.

Voir aussi

Pin It on Pinterest