<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Ukraine : « Poutine ne sera plus respecté et beaucoup moins craint ». Entretien avec Renaud Girard

22 mars 2022

Temps de lecture : 12 minutes

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Ukraine : « Poutine ne sera plus respecté et beaucoup moins craint ». Entretien avec Renaud Girard

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Comment analyser un conflit dans « le brouillard de la guerre » ? La fin de la guerre froide explique-t-elle la guerre en Ukraine ? Quelles seront les conséquences de l’invasion russe pour la France et l’Europe ? Éléments de réponse avec Renaud Girard, reporter de guerre et chroniqueur international au Figaro.

Renaud Girard est normalien, énarque et grand reporter international au Figaro depuis 1984. Pour son journal, il a couvert la quasi-totalité des conflits et des grandes crises politiques de la planète. Tous les mardis, il écrit la chronique internationale du Figaro. Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences Po Paris. Principal partisan en France du retour au réalisme en politique étrangère, il publie en 2017 un essai « Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalité telles qu’elles sont » (édition du Cerf).

Entretien réalisé par Louis du Breil.

Avec votre expérience de reporter de guerre et d’analyste géopolitique, comment faites-vous pour analyser le conflit ukrainien sachant les émotions qu’il soulève ? À quelles sources peut-on se fier ?

Le problème que nous avons pour comprendre ce conflit est que les informations qui nous parviennent sont très parcellaires. On voit parfois un hélicoptère se faire descendre par un missile, mais on n’a pas vraiment de connaissance intime du fonctionnement actuel de l’armée russe ou de la défense ukrainienne. Car très concrètement on n’a pas d’embedded ni dans l’armée russe ni dans l’armée ukrainienne. Finalement les journalistes qui sont à Kiev ou ailleurs en Ukraine ne voient pas grand-chose : ils rendent compte des rumeurs, ils interrogent un réserviste, ils photographient des bavures sur un HLM, ils interviewent des réfugiés ou des responsables ukrainiens, mais ils ne voient pas la guerre comme Vassili Grossman la voyait à Stalingrad avec l’Armée rouge.

J’ai couvert de bout en bout la guerre d’Israël contre le Hezbollah en 2006. J’étais alors le seul journaliste non juif à avoir été admis dans Tsahal avec une unité de Golani. Je n’ai vraiment compris cette guerre, d’ailleurs très mal menée, qu’en étant embedded c’est-à-dire sur le terrain. On ne comprend pas encore très bien la guerre en Ukraine, car il n’y a pas réellement de front. Les tirs sont encore assez lointains puisqu’il s’agit surtout de tirs de canons d’artillerie contre des immeubles ou de tirs de missiles que ce soient les missiles Javelin ou Stinger. C’est ce qu’on appelle le « brouillard de la guerre », on n’y comprend rien. Mais la vidéo où on voit les chars russes fuir au lieu de se battre après qu’un des leurs eut été touché par un missile Javelin montre qu’on peut être inquiet pour le niveau de professionnalisme de l’armée russe. Elle semble très mal commandée et peu motivée.

J’ai également couvert la guerre du Kosovo. Ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’on a compris que les Serbes avaient réussi à leurrer les alliés de l’OTAN. On s’est alors rendu compte que tous leurs blindés étaient restés intacts alors que l’OTAN s’était vantée d’en avoir détruit 500 avec son aviation. En réalité, ils en avaient perdu seulement 12. Il faut dire que les forces armées de l’OTAN bombardaient l’armée serbe à 5 000 mètres d’altitude et ne voyaient donc strictement rien sur le sol. Évidemment les Serbes en ont profité pour positionner des leurres c’est-à-dire des faux canons, des faux chars, etc. C’est seulement à la fin qu’on a su que l’armée serbe s’en était tirée la chemise sèche après trois mois de frappes de l’OTAN. Aujourd’hui dans cette guerre en Ukraine, tant qu’il n’y aura pas d’embedded, on ne saura pas grand-chose.

Poutine dénonce l’ordre européen qui s’est construit après la chute de l’URSS. Comment jugez-vous cet argument ?

Je ne dirais pas que l’ordre européen dans cette partie de l’Europe s’est fait contre la Russie. Les personnes qui en ont décidé, M. Kravtchouk, M. Eltsine et M. Shushkevich, n’avaient rien à voir avec les Occidentaux. C’est eux qui ont décidé à trois de dissoudre ce qui était l’héritage de l’empire russe lors d’un dîner bien arrosé dans un pavillon de chasse d’une forêt de Biélorussie en décembre 1991. Ils l’ont fait pour détruire l’Union soviétique et surtout pour détruire son chef Gorbatchev. La nouvelle configuration géopolitique, c’est-à-dire l’indépendance de l’Ukraine acceptée dans la foulée par référendum ne s’est pas du tout faite contre la Russie. C’est la Russie d’Eltsine qui l’a faite. Or Eltsine n’est pas rien pour Poutine puisque c’est son parrain en politique.

Encore une fois, personne n’a forcé Eltsine, en décembre 1994 à Budapest, à garantir l’intégrité territoriale de l’Ukraine une fois que les têtes nucléaires ukrainiennes eurent été données aux Américains pour qu’ils les reconvertissent dans leurs centrales atomiques. Eltsine a fait de la Russie la seule puissance nucléaire de l’ancienne URSS puisque le Kazakhstan avait renoncé de lui-même à ses armes nucléaires et puisqu’il y a eu le mémorandum de l’accord de Budapest de décembre 1994. Là encore c’est tout à fait librement que le président de la Russie a fait cette démarche. Je crois qu’il faut dire aussi que les Occidentaux ont été surpris par l’effondrement de l’empire soviétique. Si Poutine pense qu’ils y ont participé, c’est vraiment de la paranoïa à l’état grave, car c’est faux.

La Russie craint aussi l’extension de l’OTAN à ses frontières.  

Qu’après il y ait eu une extension à l’est de l’OTAN contre les engagements pris par Baker face à Gorbatchev, c’est indéniable. Ces engagements ne sont pas écrits, mais rapportés par tous les preneurs de notes qui étaient là. Roland Dumas qui a assisté à ces discussions a témoigné. J’ai connu des diplomates du Quai d’Orsay qui étaient présents et qui me l’ont aussi confirmé. Gorbatchev était sans doute imprudent de ne pas demander une lettre, laquelle aurait sans doute été négociée.

Quand Poutine arrive au pouvoir, il n’est pas préoccupé par l’Ukraine. En février 2000, quand il reçoit Hubert Védrine, le ministre des Affaires étrangères français, il lui demande même de l’aider à importer le droit européen en Russie. Il commence à s’irriter uniquement à partir des révolutions de couleur c’est-à-dire en 2004 pour l’Ukraine. Est-ce que la CIA a organisé la révolution orange en 2004 contre les pro-Russes ? Je ne le crois pas. Si la CIA était si forte, ça se saurait. Elle n’aurait pas fait toutes les bourdes qu’elle a faites. En revanche, que des fondations démocratiques américaines, qui font ce qu’elles veulent d’ailleurs, mais plus ou moins liées au Congrès et plus ou moins aussi financées par la CIA, aient ensuite profité de la situation pour aider un mouvement révolutionnaire sur place, oui. Mais il n’y a pas eu d’ingénierie. Hélas nos alliés américains en sont tout à fait incapables. On aimerait qu’ils soient aussi intelligents, mais ils ne le sont pas. Maïdan est une révolte spontanée. Poutine s’énerve à partir de ce moment-là. Il le dit dès février 2007, lors de la conférence de sécurité de Munich.

Ce qui est grave c’est que nous n’avons pas su l’entendre. Pourtant, à l’époque, les Français se méfiaient des Américains après l’invasion de l’Iraq en 2003. Or en 2008, l’Iraq était plongé dans le chaos indescriptible d’une guerre civile entre sunnites et chiites. Lorsqu’en avril 2008,  George W. Bush a voulu faire entrer la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN, nous avions mis notre véto au sommet de Bucarest. Au lieu de mettre un véto définitif, nous leur avons expliqué qu’à terme ils pourraient peut-être y rentrer. C’était stupide. Il aurait fallu que les Allemands et les Français disent que ni la Géorgie ni l’Ukraine n’avaient vocation à rentrer dans l’alliance atlantique, car précisément il y a le mot « atlantique » qui jusqu’à preuve du contraire n’a pas de lien géographique avec l’Ukraine.

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Vous dîtes avoir été surpris par l’invasion russe. Était-ce imprévisible ?

C’est vrai que je me suis trompé, je pensais que Poutine ne passerait pas à l’acte. Mais je n’étais pas le seul puisque Zelenski lui-même a confié à une chaine américaine qu’il ne s’y attendait pas.

Cette invasion a probablement été planifiée il y a longtemps. Pourquoi lancer une telle opération dont les conséquences stratégiques semblent toutes aller contre la Russie au moment où justement elle semblait s’imposer à nouveau comme un acteur incontournable et puissant sur la scène mondiale ?

Ce qui est curieux, c’est qu’on a assisté à une très brutale dégringolade stratégique de Poutine. C’est tout de même un homme qui arrive en juin 2021 à faire venir Biden à Genève et à discuter en tête à tête avec lui. Il obtient en plus un gros cadeau de Biden qui est North Stream II et la reconduction pour 5 ans du traité Start. Il avait tout gagné. Il était respecté. Il avait été invité par Macron à Brégançon. Merkel quand elle quitte le pouvoir lui rend une visite de courtoisie ce qu’elle n’a pas fait pour Xi Jinping par exemple. C’est donc un homme important, respecté et craint dans le monde.

Mais là, il a fait l’erreur stratégique de s’emparer du Donbass dans le sang alors que cette région n’a aucun intérêt pour lui. En 2014, il s’était emparé de la Crimée qui avait un intérêt pour lui et sans verser une goutte de sang. Il ne sera plus respecté, car il a ouvertement violé la charte des Nations Unies et beaucoup moins craint, car son armée n’a pas l’air d’être si compétente qu’il le prétendait. En 1940, l’armée allemande commence à attaquer le 10 mai et le 14 juin elle est à Paris. Il n’est pas certain que l’armée russe aille aussi vite contre une armée ukrainienne qui n’est pas aussi forte que ne l’était l’armée française en 1940.

Comment expliquer ce niveau de compétence de l’armée russe ?

La Russie n’est pas entrée dans la modernité. C’est un pays qui n’a pas su analyser son passé. C’est un système à la fois corrompu, tétanisé, inhibé, sclérosé. Vous avez vu que la totalité des députés de la Douma a voté pour la reconnaissance des deux républiques séparatistes. On aurait aimé qu’il y eût un débat.

L’État russe est gangréné par la corruption. Dans l’armée rouge de Staline, il n’y avait pas de corruption sinon on était fusillé. Aujourd’hui l’armée est touchée par la paresse et la routine. La critique n’est pas admise donc les choses ne peuvent pas progresser. Quant à son expérience opérationnelle, elle est faible dans la mesure où elle n’a été confrontée qu’à des ennemis faibles comme les Syriens.

À titre de comparaison, l’Armée rouge de 1941 avait connu la Grande Guerre, la guerre civile et la guerre contre le Japon que Tchouïkov avait d’ailleurs gagnée. Elle n’est pas forte tout de suite, mais c’est une armée aguerrie. Les grands généraux russes de la Deuxième Guerre mondiale comme Rokossovski avaient fait la Première.

Poutine aurait-il eu une idée fantasmée de son armée et de l’Ukraine ?

En tous cas il pensait qu’il allait être reçu avec des fleurs. Il croyait à cette fable d’une Ukraine nazie. C’est tout à fait vrai que pendant Maïdan les partis nationalistes et bandéristes eurent une place importante. L’Ukraine a bien érigé une statue de Stépan Bandera qui tua 200 000 juifs à partir de l’été 1941. Il est certain qu’il y eut des nazis en Ukraine et beaucoup de collaborateurs. Il est certain aussi que le bataillon Azov reprend une certaine tradition nazie. Mais aujourd’hui, politiquement, les nazis ne représentent pas plus de 3% des électeurs. Les bandéristes ont obtenu très peu de députés à la Rada aux dernières élections donc on ne peut pas sérieusement dire que l’Ukraine est un régime nazi. Poutine a peut-être fini par croire à sa propre propagande.

Dire que les russophones étaient opprimés est tout aussi grotesque. Iatseniouk, premier ministre en Ukraine de 2014 à 2016 m’a dit un jour en interview : « Vous savez, le soir quand je rentre chez moi, je parle russe à ma femme ». 

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Quel était le plan initial de Poutine ?

Je pense qu’il croyait renverser très vite le régime. Il a même appelé les généraux ukrainiens à renverser leur président. Il y aurait eu une sorte de gouvernement Quisling avec qui il se serait entendu et cela montre qu’il vit dans ses rêves ou dans ses vieux schémas. Un peu comme le cas de Dubcek qui avait démissionné parce qu’on lui avait demandé. Mais Zelenski n’est pas Dubcek. Zelenski, il prend les armes.

Peut-on critiquer le traité de Versailles sans être pro-Hitler ? En d’autres termes, Poutine est-il la preuve que les Américains avaient raison de se méfier des Russes ou au contraire qu’ils avaient tort et qu’ils ont engendré un monstre ? 

De leur point de vue ils ont sans doute raison. Comme l’a dit Eisenhower, les Américains ont toujours besoin d’un ennemi. Dans son testament en 1960, il écrit « que Dieu préserve l’Amérique du complexe militaro-industriel ». Évidemment ce complexe joue à plein aujourd’hui puisque les Américains viennent de vendre des F-35 aux Allemands. La défense européenne est morte. Au moins c’est clair. C’était très naïf de la part de Macron et d’autres d’y croire. Les Allemands ont montré clairement qu’ils n’en avaient rien à faire de la défense européenne et de la coopération industrielle avec Dassault. Mais c’est parfois difficile d’ouvrir les yeux aux Français.

Les Américains se sont mêlés de ces querelles de famille russo-ukrainiennes à partir des années 2000 et des révolutions de couleur. Comme d’habitude ce sont les Européens qui en paieront les conséquences puisque les États-Unis font très peu de commerce avec la Russie. Nous faisons à nouveau les frais de la politique américaine. Souvenez-vous quand ils ont refusé de ratifier le traité de Versailles qu’ils avaient pourtant négocié pendant neuf mois et qu’ils ont ensuite financé le réarmement allemand. Ce sont les Français qui ont d’abord payé car ils étaient en première ligne au début de la Deuxième Guerre mondiale. En revanche, les Américains ont montré de la grandeur et de la générosité lorsqu’ils ont financé la reconstruction européenne avec le plan Marshall. Ou encore quand les Américains sont entrés en Iraq en mars 2003 malgré les voix réticentes qui s’étaient élevées à l’ONU. Ils ont créé un chaos considérable au Moyen-Orient et qui en paye aujourd’hui les conséquences avec la crise migratoire ? Encore les Européens.

Vous dîtes que Poutine a perdu la guerre diplomatique en sortant l’Allemagne de sa culpabilité historique. Va-t-on assister à un réveil allemand sur le plan géopolitique ?

Il a perdu la guerre diplomatique parce que l’Allemagne sort de son complexe tandis que la Suède et la Finlande se tournent vers l’Europe et l’OTAN.

Et puis on a appris que les Allemands voulaient transporter des bombes nucléaires américaines sur les fameux F-35 achetés aux États-Unis. Le général de Gaulle n’aurait pas beaucoup apprécié ! Les Allemands ne nous aideront jamais, mais ils ne nous font pas de mal non plus. Si nous avons la monnaie allemande aujourd’hui, qui s’appelle l’euro, ce n’est pas parce qu’ils sont venus avec des panzers sur les Champs Élysées pour nous l’imposer. Ce qu’il faut dire, c’est que c’est nous qui les avons suppliés à genoux de faire cette monnaie commune. On avait décidé que les Français n’avaient pas pour vocation d’être des pensionnaires du Club Méditerranée des pays du Sud. Or aujourd’hui nous sommes dans cette catégorie des pays Club Med car nous ne sommes pas capables de mettre de l’ordre dans nos finances. Depuis la fin du couple Adenauer de Gaulle, les Allemands privilégient toujours les Américains aux Français.

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Poutine peut-il encore sortir gagnant de cette guerre ?

Gagnant certainement pas. Mais pour le bien du peuple russe qui est un peuple ami, il faut trouver une porte de sortie. Je suis très choqué par le combat culturel contre Dostoïevski et les concerts et toutes les sanctions contre le peuple russe qui n’a rien à voir avec ces monstruosités. « Moins de Poutine, plus de Pouchkine ! » comme dit la violoniste Zhang Zhang. C’est très joli de se battre pour la liberté des peuples et la démocratie jusqu’au dernier Ukrainien. Et bien non, je pense qu’il faut arrêter l’effusion de sang et trouver une porte de sortie pour Poutine, ce qui sera difficile. Parce qu’il faut qu’il puisse présenter quelque chose à son peuple, une réussite. Il y a dans l’interview de Zelenski pour ABC News des pistes de compromis sur le Donbass et sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Nous serions bien avisés de poursuivre sur ces pistes dans la négociation.

N’est-ce pas trop donner à Poutine ?

Mais connaissez-vous ses buts de guerre ? Qu’il veuille envahir l’Ukraine ou refaire l’empire russe, ce sont des conjectures. Ses buts de guerre sont peu clairs. La seule chose qui est claire est qu’il veut empêcher l’Ukraine de rentrer dans l’OTAN et la démilitariser. Prendre les richesses minières et céréalières ? Je pense que la Russie en a suffisamment pour elle-même. Poutine a déjà perdu stratégiquement, car il a déjà garanti pour un siècle la haine du peuple ukrainien contre la Russie. C’est lui qui a provoqué cette haine en versant le sang.

Pourquoi cette haine n’intervient que maintenant ? Il y avait déjà eu l’Holodomor…

Oui, mais l’Holodomor visait les koulaks. Il a évidemment beaucoup affaibli la population ukrainienne, mais il visait les koulaks en tant que capitalistes ou marchands, mais pas en tant qu’Ukrainiens. Ce n’est pas comme le juif qu’on tue en tant que juif. La preuve c’est que Brejnev est un Ukrainien.

Que pensez-vous du scénario catastrophe d’une escalade nucléaire ?

Je ne crois pas à ce scénario. La Pologne a été très habile quand que les États-Unis lui ont demandé de donner ses Mig à l’armée ukrainienne en échange d’avions américains en remplacement. Les Polonais ont accepté à condition que les Mig décollent de l’aéroport américain en Allemagne. Les Américains ont alors immédiatement reculé parce qu’ils ne veulent pas rentrer en guerre tout comme les Polonais.

Et puis on sait que M. Poutine a personnellement très peur du Covid donc s’il a peur de mourir, j’ai du mal à concevoir qu’il soit prêt à utiliser la bombe nucléaire.

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Va-t-on vers un retour d’une logique de grands blocs géopolitiques ?

Uniquement si les Chinois suivent les Russes et refusent la demande que leur a faite Jake Sullivan à Rome le 14 mars de renoncer à aider la Russie à contourner les sanctions. Si Xi Jinping décline cette demande, on peut voir la constitution de deux blocs : un bloc occidental avec l’Europe occidentale, AUKUS, la Corée et le Japon et un bloc composé d’une sorte de triade autoritaire Chine-Russie-Iran. 

L’Europe peut-elle sérieusement se passer du gaz russe ?

Pour l’instant, on a le choix entre des réserves limitées de gaz de schiste ou acheter des bons pull-overs. Ce qui pourrait être fait, c’est de rétablir assez rapidement le traité nucléaire du 14 juillet 2015 de Vienne sur le nucléaire iranien. On pourrait voir l’Iran devenir le grand fournisseur de gaz de l’Europe avec évidemment le soutien américain pour améliorer l’industrie des hydrocarbures iraniens.

Faut-il encore que l’Iran soit d’accord.

Oui, mais les ayatollahs aiment l’argent. Et là il y en a beaucoup.

Quelle place pour la France dans la résolution de ce conflit ?

Je crois que Macron a construit une contradiction : il veut à la fois être honest broker – et il a raison – et à la fois tenir son rôle de président de l’Europe, c’est-à-dire prendre à son compte les sanctions. C’est très difficile d’être à la fois un sanctionneur et un intermédiaire, un ennemi et un faiseur de paix. Il risque de se faire ravir ce rôle d’intermédiaire par des pays vraiment neutres comme Israël, mais plus certainement à mon avis par la Turquie et surtout par la Chine.

Et puis il y a autre chose. On ne peut être entendu dans le monde que si on est exemplaire chez soi. C’est un de mes principes géopolitiques fondamentaux. De Gaulle était exemplaire chez lui. La France était bien gérée : il y avait le franc français, une vraie industrie et il avait tiré un trait sur toutes les colonies. En bref, il avait fait le ménage très durement. La France était unanimement respectée en Europe et admirée dans le monde entier. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que la voix française porte loin quand on considère la gestion cataclysmique des finances publiques, l’humiliation de l’AUKUS et puis maintenant celle des Allemands qui achètent des F-35 alors que Macron s’est fait le promoteur de la défense européenne.

Macron convoque tout le monde aux commémorations du 11 novembre, mais une semaine après il y a trente voyous qui défoncent l’Arc de Triomphe à coups de pioche sur tous les écrans de télévision. Posez-vous la question. Quelle image renvoie aux opinions publiques du monde une France incapable d’empêcher des voyous de défoncer l’Arc de Triomphe ?

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Renaud Girard

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Renaud Girard est normalien, énarque et grand reporter international au Figaro depuis 1984. Pour son journal, il a couvert la quasi-totalité des conflits et des grandes crises politiques de la planète. Tous les mardis, il écrit la chronique internationale du Figaro. Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences Po Paris. Principal partisan en France du retour au réalisme en politique étrangère, il publie en 2017 un essai "Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalité telles qu’elles sont" (Editions du Cerf).
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