<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Turkestan : l’histoire au milieu des steppes

9 octobre 2022

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Photo : Crédits: @HV

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Turkestan : l’histoire au milieu des steppes

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Situé à deux heures de vol de la capitale Noursultan, Turkestan est l’une des villes culturelles et spirituelles majeures de l’Eurasie. Autour du mausolée d’Ahmed Yasavi, le Kazakhstan construit un lieu touristique destiné tant à sa population qu’à une clientèle internationale.

Reportage de l’envoyée spéciale de Conflits Helena Voukolski

L’aéroport est flambant neuf, comme toutes les autres infrastructures de la région. La route qui relie l’aéroport à la ville, la ville elle-même, encore en construction, le centre touristique. Tout est neuf, à l’image d’un pays qui après trente ans d’indépendance veut bâtir un nouveau départ en réformant notamment sa Constitution. Tout est neuf, propre, moderne, et tout est ancien aussi. La steppe qui forme cette immense région du Turkestan que les géographes font courir des bords de la Caspienne au désert de Gobi, des plaines du Kazakhstan aux montagnes afghanes. Une steppe qui est d’abord sensation, impression, ressenti. S’y rendre, c’est se plonger quelque part dans l’histoire et la géographie, aux côtés de Gengis Khan, des chevaux mongols, des aigles et des tribus qui ont parcouru ces espaces. S’y rendre, c’est se placer dans un centre qui ne cesse de s’étendre, qui relie des pays aujourd’hui délimités, mais qui furent longtemps des espaces mouvants, au temps des peuples de la steppe. Époque des routes de la soie, des caravansérails, des échanges entre l’Extrême-Orient et l’Extrême-Occident. C’est dans cet espace apparemment vide qu’ont circulé les peuples, les marchandises, les idées.

De Yasavi à Tamerlan

D’Ahmed Yasavi, peu de choses sont connues. Né en 1093, il est mort en 1166 à Yasi, ville désormais dénommée Turkestan, là où se situe son tombeau. Poète soufi, il exerça une grande influence sur le développement de la poésie mystique de langue turque, contribuant à l’essor spirituel de l’Asie centrale et au développement de l’alévisme. Dans cette ville au milieu de la steppe, battue par les vents, aux fortes amplitudes thermiques entre l’hiver et l’été fut construit un mausolée sur sa tombe. En 1389, Tamerlan décida de le raser pour en bâtir un plus grand. Vaste rectangle de 39 mètres de hauteur, édifié en briques, surmonté d’un vaste dôme de tuiles vertes de 28 mètres de haut. Dans le lointain, ce sont ces tuiles luisantes que l’on aperçoit en premier, puis le mur de brique recouvert de céramique aux motifs floraux, de couleurs bleu et vert. Désormais classé au patrimoine de l’Unesco, ce sont des murs en partie refaits que l’on peut désormais observer. Il y a toujours, dans ce mausolée, la salle de prière et la salle commune, où trône un vaste kazan, le Tay Kazan, d’un diamètre de plus de deux mètres. Récipient de bronze servant à la cuisson des aliments, le kazan est, dans la steppe, le symbole de l’hospitalité et du partage. Voyageurs ou mendiants, soldats ou commerçants, le nomade se doit l’hospitalité à tous, car sans elle c’est la mort assurée. Pour un homme seul et sans renfort, il n’y a que peu d’espérance de vie dans ces paysages certes beaux, majestueux, sauvages, mais terriblement inhospitaliers. Le mausolée du Turkestan est l’un des hauts lieux spirituels de l’Asie centrale. Les familles y viennent en pèlerinage, les enfants s’égaient dans les salles adjacentes de la grande salle centrale, d’autres posent en costume traditionnel, un aigle posé sur un gant de cuir. On y vient pour se rappeler d’où l’on vient, pour humer l’air de la steppe et ne pas oublier le temps des chevaux, des nomades et des longues chevauchées. Certains sont en vêtements mondialisés, tee-shirt à l’effigie des Stones ou de Madonna, quand d’autres sont en habits de toujours et, pour les dames, voile coloré posé sur les cheveux. Ce mausolée est un champignon culturel et spirituel posé au milieu de la steppe ; une tranche de mémoire et de racine. Et tout autour il y a le reste, le neuf et la spécificité.

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La ville au milieu de la steppe

De l’aéroport à la ville de Turkestan, tout est entremêlement de l’histoire et de la modernité. Aéroport de verre et de béton, comme partout, mais avec des motifs floraux et architecturaux qui embellissent sa grande salle d’attente, lui donnant un air typique. L’aéroport est certes mondialisé, mais il est aussi d’ici, le terroir des peuples de la steppe transparaît dans son architecture, les concepteurs ayant réussis à associer le moderne au style classique. Tout au long de la route, vaste, droite, propre, des vergers et des plantations, signe que l’eau n’est pas absente. Dans ce qui pourrait ressembler à du désert, surtout au regard de la température, l’eau est partout. À quelques kilomètres de l’aéroport, une ville nouvelle en cours de construction. Des grues qui achèvent de hauts immeubles, une banque, un centre commercial, de vastes avenues. Tout est carré, neuf, bien agencé ; une ville nouvelle, surgie ici, pour laquelle il ne manque plus que des habitants. Le long d’une palissade qui marque la frontière entre la nouvelle ville, qui est le signe d’un nouveau Kazakhstan, et l’ancienne ville, d’époque soviétique, en cours de démolition, une vieille Lada. Poussiéreuse, abîmée, jaunie, elle détonne au milieu des berlines allemandes et des SUV Toyota. Une butte témoin d’un temps qui n’est plus. Une époque qui n’existe plus dans la bouche des Kazakhs ; l’histoire est passée à un autre chapitre.

Le mausolée n’est plus un bâtiment isolé au milieu de la steppe. Il est une attraction nationale qui cimente l’unité d’un pays neuf d’à peine trente ans. Tout autour de lui, ce monument du xive siècle est entouré d’un centre touristique dernier cri. Salle de concert, hôtels, restaurants, parc d’attractions, centres commerciaux, le Turkestan se veut une attraction à lui seul. Avec toujours cette capacité à mêler l’historique au moderne. Dans un parc d’attractions fermé et climatisé, les enfants s’amusent avec des manèges en tapis volant, d’autres où ils sont sur des chameaux au milieu d’un caravansérail, d’autres où ils accompagnent Gengis Khan dans sa chevauché. Une marina est sortie de la steppe, avec ses canaux, ses barques, ses chambres à louer et ses repaires de touristes. Dans les restaurants on retrouve des kebabs, le plat de l’Eurasie, on y boit du thé et du jus de grenade, mais aussi de la bière et des sodas. L’eau coule dans les fontaines et les bassins, les enfants s’éclaboussent, les parents déambulent. Visite par le village historique, avec ses yourtes, ses chevaux, sa forge, et des jeunes filles habillées comme leurs ancêtres qui jouent d’une sorte de viole dont les doigts tirent des sons aigus et harmonieux.

Créer une nation

C’est la question lancinante, non dite, mais omniprésente : comment créer une nation quand le pays est indépendant, pour la première fois de son histoire, depuis trente ans à peine, quand l’ethnie kazakhe est certes majoritaire, mais non monopolistique, quand habitent sur son sol des Ouzbeks, des Turkmènes et des Russes qui, d’une façon ou d’une autre, pourraient vouloir se rattacher à leur mère patrie et faire sécession d’un État trop vaste et sous-peuplé ? En créant une histoire commune, autour des peuples de la steppe, de la vie de nomade d’autrefois, partagée par tous les peuples, du patriotisme bien pensé, de l’acculturation d’une nation, ce qui passe par la fierté et la connaissance de son histoire. Laissons de côté le kitsch des souvenirs pour touristes, cela est accessoire. Ce qui est primordial c’est que le Kazakhstan, pays immense et peu peuplé, à la recherche d’une cohésion commune. Une histoire faite de gloire, de grandeur, d’aventure partagée, à laquelle chacun puisse se rattacher pour justifier de son appartenance à un pays dont plus de la moitié de la population n’a pas connu l’époque soviétique. Le Turkestan n’est pas fait en priorité pour les gens de l’étranger, mais pour ceux du pays, pour leur donner des raisons d’être fiers d’appartenir à un même pays et ne pas se retrouver écartelé entre des voisins affamés. Ici aussi, au Turkestan, on se méfie des Russes. Affirmer son histoire est une façon d’assurer la pérennité de sa nation.

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À propos de l’auteur
Helena Voulkovski

Helena Voulkovski

Helena Voulkovski travaille sur les risques pays pour un cabinet international d’assurances.

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