Donald Trump au défi de son bilan de politique intérieure

30 mai 2020

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Le président Donald Trump prend la parole alors qu’il reçoit un briefing sur la saison des ouragans 2020 dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, jeudi 28 mai 2020, à Washington. Photo : Evan Vucci/AP/SIPA AP22459032_000013

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Donald Trump au défi de son bilan de politique intérieure

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J-six mois. C’est l’heure des comptes pour Donald Trump. À l’heure de la pandémie du Coronavirus, le président des États-Unis voit une partie de ses réussites économiques s’effriter. Cela lui coutera-t-il une potentielle réélection ? Analyse et réponse avec Lauric Henneton.


 

Propos recueillis par Étienne de Floirac

 

Conflits : En 2017, vous publiez un ouvrage portant le titre La fin du rêve américain ? Quel est donc ce « rêve américain » dont vous parlez et pourquoi est-il légitime de se poser une telle question aujourd’hui ?

Le rêve américain est un objet d’autant plus passionnant qu’il est tout sauf figé. On pense généralement à la réussite matérielle – le pavillon dans une banlieue prospère avec deux (ou trois) belles voitures – mais c’est surtout la promesse d’ascension sociale moyennant l’ardeur au travail, la discipline et le sens du sacrifice, pour soi ou pour ses enfants. Mais c’est plus un certain confort que la richesse. C’est aussi un confort par la stabilité : être propriétaire, pas locataire. Professionnellement, c’est davantage être indépendant et pouvoir faire ce que l’on aime que gagner beaucoup d’argent à faire quelque chose que l’on méprise ou qui n’a pas de sens. Enfin, le rêve américain a aussi voire surtout une forte dimension d’accomplissement de soi : pouvoir être qui l’on veut sans que cela pose un problème. Jadis, cela concernait les minorités religieuses opprimées en Europe ou les dissidents politiques, puis cette quête de l’égalité et de respect a concerné les anciens esclaves et leurs descendants et plus récemment encore les minorités LGBT.

L’idée centrale est que les États-Unis sont un terroir unique, exceptionnel, qui permet cet accomplissement personnel et/ou professionnel.  C’est la dimension américaine du rêve, celui qui a attiré les candidats à l’immigration, mais c’est aussi un rêve, inscrit dans l’avenir, et soumis à des aléas. La promesse morale n’est pas un contrat contraignant.

Certains disent vivre le rêve américain, d’autres estiment qu’il est à portée de main, mais certains considèrent que c’est un mirage : qu’il n’existe plus ou qu’il n’a jamais existé. Dans les années 1960, il n’était pas indispensable d’aller à l’Université pour trouver un emploi stable et relativement bien payé dans l’industrie. Aujourd’hui, un diplôme n’est pas forcément suffisant pour sortir de la précarité professionnelle, et le coût de la vie (le logement en particulier) est par endroit prohibitif (Californie).

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Conflits : Dans quelle mesure Donald Trump a-t-il perpétué ou, au contraire, pourfendu un tel rêve ? Comment se positionne-t-il face à cela par rapport à ses prédécesseurs ?

Dès 2015, Donald Trump a placé sa campagne sous le signe de la résurrection d’un rêve américain qu’il considérait comme mort. Il se plaçait à deux niveaux : au niveau national, il disait pouvoir rapatrier les emplois industriels perdus depuis une vingtaine d’années, notamment, et au niveau extérieur, il promettait de rétablir la grandeur d’un pays qu’il considérait comme humilié par ses rivaux. Les deux dimensions se touchent notamment dans le domaine des rivalités commerciales et des accords dénoncés (TPP, ALENA), renégociés (USMCA) et notamment du bras de fer récurrent avec la Chine. Bien sûr, la crise du coronavirus présente une nouvelle occasion de s’en prendre au repoussoir chinois et Trump ne s’en prive pas.

Conflits : À l’approche des élections présidentielles et dans cette même logique, Donald Trump se prévaut de ce mot d’ordre : « promesses faites, promesses tenues ». L’électorat le ressent-il en politique intérieure ?

Les plus riches, qui étaient déjà républicains, ont bénéficié de sa politique fiscale, c’est certain, certaines entreprises ont bénéficié de la dérégulation et du détricotage plus ou moins systématiques de ce que son prédécesseur avait mis en place, notamment au niveau environnemental. Ce qui frappe pourtant, c’est à quel point un grand nombre de ses décisions, appuyées ou pas par le Congrès, ont été annulées ou mises en suspens par la justice. L’équilibre des pouvoirs a plus ou moins bien fonctionné. Un Sénat rangé derrière lui et une Cour suprême un peu plus à sa main, avec la nomination de deux juges conservateurs, l’a aidé à contourner cet obstacle institutionnel à sa politique.

 

Conflits : Si Donald Trump est parfois contesté pour sa diplomatie, la politique qu’il mène à l’intérieur des États-Unis met en avant nombre de réussites. De manière globale, approuvez-vous cette considération et quelles en sont les réalisations ?

Il est important de distinguer ce qui relève du Président seul, ce qui relève de l’échelon fédéral (essentiellement le Congrès, avec veto possible du président) et ce qui relève des États, voire des municipalités – et cela concerne l’essentiel du quotidien des Américains, mais on ne le voit pas forcément de l’étranger. Un aspect fondamental de la présidence Trump est le détricotage des politiques de la présidence Obama. Du point de vue économique (ce qui inclut les dérégulations environnementales), l’idée était que la santé des entreprises, libérées de ces carcans réglementaires, rejaillirait et ruissellerait sur les Américains qui, enrichis par cette bonne santé économique, allaient remercier Trump en lui confiant un second mandat.

L’économie, florissante jusqu’en janvier – sauf quand on regarde de très près : le secteur manufacturier n’était pas si florissant – s’est effondrée à cause de la mise sous cloche imposée par la pandémie de COVID-19. Trump a donc tout intérêt à ce que l’économie reparte et qu’elle soit à nouveau sur une courbe ascendante en novembre. Or ce sont les gouverneurs qui ont la main sur ce type de mesures dans leur État, pas le président, le niveau fédéral étant en surplomb, dans une fonction de logistique. Une économie en berne en novembre signifierait que l’essentiel de la politique de Trump au cours de son mandat aura été en vain. Restent ensuite les accords commerciaux d’un côté et les mesures migratoires de l’autre, mais ce sont là des points qui ne pèseront pas lourd dans la décision des électeurs, dont la majorité a déjà choisi son camp, pour ou contre Trump.

Conflits : Profite-t-il, sur ce plan, des circonstances, d’une conjoncture globale positive voire de la politique menée par ses prédécesseurs (notamment en termes de création d’emplois) ? Ou est-ce de son fait que l’économie des États-Unis semble bien se porter aujourd’hui ?

Les continuités sont très nettes entre les deux présidences prises comme des périodes. La croissance, comme la bourse, ont poursuivi une tendance haussière déjà engagée. Mais ça, bien entendu, Trump ne peut pas l’entendre, et ses thuriféraires ne veulent pas le voir ni le dire. D’une certaine manière, on peut même dire que la bonne santé de l’économie a résisté aux incertitudes causées par le style Trump. On sait que les entreprises ont horreur de l’incertitude et les colères, lubies et revirements de Trump ont généré énormément d’incertitudes, qui n’étaient pas forcément de nature à rassurer les investisseurs sur le long terme. Par ailleurs, l’effondrement de l’économie et l’explosion du chômage n’ont pas été stoppés par Trump, qui apparait impuissant dans ce domaine, ce qu’il déteste, évidemment. D’où sa propension à rejeter la faute sur des tiers, généralement les gouverneurs des États démocrates, les Démocrates au Congrès etc.

Conflits : Une (simple) réussite sur le plan économique peut-elle lui assurer sa réélection ou les Américains attendent-ils autre chose de la part de leur président ?

Je pense que c’est une condition nécessaire, mais pas suffisante. En réalité l’électorat américain est assez stable. Les sondages se suivent et se ressemblent, les variations sont minimes. Trump a ses inconditionnels, Biden est considéré comme moins urticant qu’Hillary Clinton, ce qui avait aidé Trump indirectement. Mais une présidence c’est aussi un style, et dans le cas de Trump c’est peut-être avant tout un style. En la matière, Trump ne fait rien pour adoucir son image. Le côté « trash » et « cash » a séduit une partie de l’électorat. C’est un des marqueurs du style populiste, mais là encore ce ne sera pas forcément suffisant dans le cadre de sa réélection. Trump doit faire du Trump pour garder ses fidèles, mais c’est aussi ce qui lui coûte une partie du vote modéré.

 

Conflits : Sommes-nous en présence de deux forces politiques immuables ou une certaine perméabilité existe-t-elle entre les Républicains et les Démocrates ?

Les camps sont très figés, quel que soit le candidat, les variations sont très localisées : cette année, l’élection se jouera, à nouveau, dans la Rust Belt (Wisconsin, Michigan et Pennsylvanie), conquise par Trump en 2016 et où il est actuellement en mauvaise posture. C’est une région où les emplois industriels ne sont pas revenus et où le secteur manufacturier reste dans un piètre état. Par ailleurs, c’est une région où la COVID pourrait faire des ravages dans les comtés ruraux alors que la situation s’améliore ailleurs : cette temporalité pourrait coûter cher à Trump.

Conflits : Quels autres États sont vitaux pour chacun des deux candidats ?

En effet, l’élection se jouera aussi dans un certain nombre d’États de la Sun Belt, traditionnellement républicains, comme l’Arizona ou la Caroline du Nord, ou totalement incertains comme la Floride. Là aussi, les sondages suggèrent que Trump n’est plus en position de force et les élections de mi-mandat de novembre 2018 ont montré un tableau contrasté : les Républicains sont restés majoritaires en Floride, mais de très peu, et les Démocrates ont emporté un siège au Sénat dans l’Arizona. Ils pourraient d’ailleurs en emporter un deuxième en novembre.

Conflits : À ce propos, quel est votre point de vue sur les élections à venir au Sénat, aujourd’hui dominé, de peu, par les Républicains ?

Cette dimension est injustement négligée. En effet, si les Démocrates reprennent le Sénat, un président Trump réélu serait très isolé. À l’inverse, un président Biden avec un Sénat républicain, aux mains de Mitch McConnell, ne pourrait guère gouverner que par décret. C’était déjà le cas sous Obama, une situation que Biden connaît bien puisqu’il était alors vice-président.

Conflits : La procédure de destitution (qui n’a pas vu son terme certes, mais qui a tout de même eu lieu) ou la pandémie du Covid-19 mettent-elles à mal le bilan de Donald Trump ? De manière générale, est-ce une réalité qu’un tel président suscite l’antipathie générale de la classe politique ?

Toute une part des Républicains ne s’éloigne de Trump qu’à ses risques et périls. Donc l’antipathie reste assez prévisible. En l’occurrence, que les Démocrates détestent Trump ne fera pas basculer l’élection. Le plus important se situe au centre, chez les indépendants et modérés qui ne penchent pas déjà d’un côté ou de l’autre.

De ce point de vue là, la procédure en destitution n’a guère fait bouger les lignes, d’une part, et d’autre part, COVID oblige, elle paraît déjà tellement loin ! En réalité, c’est plutôt le choc économique causé par la pandémie et les mesures de confinement qui réduisent à néant une grande partie de la politique de Trump au cours de son mandat.

Conflits : Si le président Trump est attaqué sur bien des points, il semble avoir trouvé une réponse dans l’Obamagate ? Qu’en est-il véritablement et quelle analyse pourriez-vous avoir sur ses conséquences politiques, à l’aune de l’élection présidentielle ?

Trump est coutumier d’un certain nombre de théories du complot et peu importe si elles ont été démontées. Le propre du complotiste est de se méfier des « fact-checkers », qui sont ipso facto du côté de l’establishment, voire des puissances occultes qui tirent les ficelles. Obama est une cible de choix depuis l’histoire de son acte de naissance en 2011 : Trump l’accusait de ne pas être né aux États-Unis et donc d’être illégitime. Dernièrement, il a ressorti des poubelles une histoire selon laquelle le présentateur télé Joe Scarborough, ancien député républicain, aurait tué une de ses assistantes en 2001, alors qu’il était à Washington et qu’elle est morte en Floride.

L’Obamagate repose sur les mêmes approximations au mieux, contrevérités au pire. La réalité – fact-checkée – n’a aucune importance pour les disciples de Trump. De son propre aveu, il pourrait « descendre quelqu’un sur la 5e avenue » et s’en sortir. Le public Fox News est déjà convaincu. Ces histoires, répétées en boucle dans un environnement médiatique assez circulaire, fonctionnent sur le mode des biais de confirmation. On se cite, on se retweete dans un écosystème finalement assez étanche.

Conflits : Cela garantit donc à Donald Trump le maintien d’une certaine popularité ?

C’est, en effet, ce qui explique pourquoi Trump reste plébiscité par environ 40% de l’opinion. Cette stabilité est peut-être un des points les plus remarquables de ce mandat : aucune adhésion par accrétion, au bénéfice du doute, même quand l’économie était florissante, et à l’inverse, pas d’effritement, encore moins d’effondrement, malgré les saillies, les tweets, les mensonges éhontés. C’est pour cela que les vagues successives (l’Obamagate n’étant qu’une parmi de nombreuses vagues, passées et à venir) n’ont plus aucun effet et que l’élection se jouera à peu de choses dans quelques États bien identifiés. Évidemment, les Démocrates ont de gros réservoirs de voix en Californie, par exemple, mais ils ne servent à rien puisque nous savons déjà que la Californie, comme le New York, ne sont pas en jeu. C’est une des limites de la démocratie à l’américaine : des millions de suffrages sont exprimés en vain et l’élection se joue pour 500 voix en Floride une année, 10 000 dans le Michigan une autre année.

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste

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