La traversée des Alpes a longtemps été une épreuve. Chacun des cols, routes et tunnels reliant la France et l’Italie ont été façonnés par des intérêts politiques et commerciaux. Au poids de l’histoire s’ajoute la prouesse technique. Des mythiques passages militaires d’Hannibal, de François Ier et de Napoléon jusqu’au creusement des premiers tunnels, le franchissement des Alpes est passé d’une pratique de la force à un usage de la technique. En effaçant la pente et l’altitude, la barrière naturelle est devenue un véritable axe de communication.
La montagne a longtemps été une barrière, les points de franchissements se limitant aux cols les plus accessibles. Le xixe siècle voit apparaître les premières voies carrossables et les idées apparemment folles de tunnels.
L’épreuve de la traversée des Alpes
Le développement du réseau ferroviaire à la fin du xixe siècle nécessite le percement des premiers tunnels pour éviter les grands dénivelés. Ils sont l’occasion d’expérimenter de nouvelles machines et méthodes de percement nées de la seconde révolution industrielle. La première machine de tunnelage est commandée par le roi de Sardaigne en 1845 pour percer le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis entre la France et l’Italie. La toute-puissance de la technique pénètre les Alpes. Tous les grands tunnels ferroviaires subalpins sont mis en service entre 1871 et 1928. Le chemin de fer occulte d’abord l’automobile, qui prend ensuite sa revanche sur les derniers percements.
L’essor du secteur touristique à partir du milieu du xxe siècle entraîne de nouveaux besoins. De nouveaux tunnels routiers et autoroutiers sont percés entre 1965 et 1994. Mais le progrès technique est rattrapé par des accidents spectaculaires qui nourrissent de vives polémiques. Malgré tout, les tracés s’allongent et le temps de percement s’abaisse. Entre la France et l’Italie, on dénombre trois principaux passages qui permettent de passer sous les Alpes.
Traverser sous les Alpes : défier la technique et la géographie
La première percée alpine est creusée au xve siècle pour faciliter le commerce entre le Piémont et la Provence. À l’époque réunie sous un même royaume, les relations commerciales entre les deux régions sont fortes. Néanmoins, le passage est trop long par le col de Montgenèvre et trop dangereux par le col de la Traversette. Ludovic II, marquis de Saluces, propose alors au roi de France Louis XI de creuser un tunnel pour faciliter les échanges. Creusé à la main quelques mètres en dessous du col de la Traversette en 1480, le tunnel piétonnier long de 75 mètres sert au passage de mulets transportant le sel de Provence jusqu’en Italie : le premier tunnel des Alpes est né.
Près de quatre siècles plus tard, un immense tunnel est construit sous les Alpes, au niveau du passage qui relie Lyon à Turin, situé au milieu de la frontière franco-italienne. L’augmentation du trafic sur cette route motive le projet d’un tunnel ferroviaire sous le massif du Mont-Cenis. Le projet est lancé en 1857 par le roi de Sardaigne. Dans les premières années, le creusement se fait à la main et l’avancement n’est que de 60 cm par jour. L’ingénieur savoyard Germain Sommeiller est nommé directeur des travaux et invente une machine pour creuser la roche. La perforatrice à air comprimé se présente sous la forme d’un affut sur rail, de plusieurs tonnes, comportant les réservoirs d’air comprimé et des burins qui attaquent la roche en tournant.
L’installation de la machine prend du temps et cette dernière n’entre en service que début 1861, accélérant le percement qui passe à deux mètres par jour. Les travaux ralentissent en 1865, la machine se heurtant à une roche plus massive. Face à la lenteur des travaux, la construction d’un chemin de fer est lancée la même année en haut de la montagne. Finalement, après quatorze années d’efforts, les ouvriers italiens et français se rejoignent enfin sous 1 600 mètres de roche le 25 décembre 1870. Un an plus tard, le tunnel du Mont-Cenis reliant la France à l’Italie est inauguré. Long de 13 km, c’est le plus long tunnel de l’époque, ouvrant une nouvelle brèche dans la modernité et le développement ferroviaire. Dans une Europe avide de vitesse et d’échanges, ce tunnel cristallise les enjeux politiques, économiques et technologiques.
Le col de Tende est le principal passage routier des Alpes occidentales qui relie Nice à Turin. La topographie du site est favorable au percement d’un tunnel. Après plusieurs tentatives en 1614 puis en 1782, il fallut attendre 1878 pour que le génie civil italien relance le chantier. Le percement du tunnel commence côté français à partir du versant sud, probablement pour permettre l’évacuation en cas d’interception d’une rivière souterraine. Long de plus de 3 km, le tunnel est inauguré en 1882. Le tunnel routier est aujourd’hui en travaux pour établissement d’une seconde voie.
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Presque parallèlement au tunnel routier est construit quelques années plus tard un tunnel ferroviaire au niveau du col de Tende. De premières tentatives de creusement ont également eu lieu au milieu du xviiie et xixe siècle, mais ont échoué à cause de glissements de terrain. Le tunnel ferroviaire est finalement creusé en 1889 et inauguré neuf ans plus tard. Situé 250 mètres plus bas que le tunnel routier, il mesure plus de 8 km de longueur.
Tunnel du Mont-Blanc
Le mythique tunnel sous le Mont-Blanc est une prouesse technique réalisée sous le plus haut sommet d’Europe. Le tunnel relie Chamonix et Courmayeur et passe à l’aplomb exact de l’aiguille du Midi. Au-delà de son rôle touristique clé pour les vallées de Chamonix et d’Aoste, le tunnel constitue surtout un axe vital pour les exportations et importations d’entreprises locales. Le tunnel permet de réduire le parcours entre les deux vallées de 60 km et d’utiliser la route toute l’année. Véritable joyau des tunnels franco-italiens, le Mont-Blanc se situe sur l’axe Paris-Rome, doté d’un bout à l’autre d’un réseau autoroutier. Les travaux débutent en 1959 des deux côtés des versants, chacun devant réaliser 5 800 mètres de galerie. Pour ce chantier colossal, les hommes furent aidés par une gigantesque foreuse, permettant d’avancer de 8 mètres chaque jour. Après trois années de travaux, les équipes se rencontrent en 1962 au terme d’un véritable exploit technique : l’écart des axes de chacune des deux galeries est inférieur à 13 cm. Fous de joie, les ouvriers s’embrassent et échangent leurs drapeaux. Au-delà de la prouesse technique et humaine s’ajoute le poids symbolique : le tunnel est rapidement érigé comme une figure de paix et d’union entre les deux pays. La finalisation des travaux dure trois années supplémentaires et le tunnel est inauguré en 1965. Malgré le drame de l’incendie de 1999, le tunnel continue d’être aujourd’hui emprunté par plus de 3 000 véhicules par jour.
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Après l’ouverture du tunnel du Mont-Blanc, le tunnel routier du Mont-Cenis fut le dernier grand ouvrage percé au xxe siècle entre la France et l’Italie. Les travaux furent parfaitement menés, puisque le chantier ouvert en 1974 s’acheva deux ans plus tard. Sensiblement parallèle au tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, le tunnel routier est long de près de 13 km et relie l’axe routier Lyon-Turin. Son inauguration en 1980 a entraîné la disparition des navettes de transport d’automobiles par le tunnel ferroviaire. Une deuxième voie routière est actuellement en construction. Cet axe routier fortement emprunté a donné naissance au projet titanesque de construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse reliant Lyon à Turin en moins de deux heures. Prévu pour 2032, le projet prévoit le percement d’un tunnel long de 57,5 km, ce qui fera de lui le plus long tunnel du monde. La prouesse technique n’a pas terminé de révolutionner le monde des transports.