Livre – 1919-1921. Sortir de la guerre

27 avril 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : La galerie des Glaces du château de Versailles où fut signé le traité de Versailles, Auteurs : MARY EVANS/SIPA, Numéro de reportage : 51289522_000001.

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Livre – 1919-1921. Sortir de la guerre

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Les années 1919–1921 ont été décisives, car à l’issue du Premier conflit mondial, bien des esprits avaient espéré, outre que ce serait la « der des der », qu’un nouvel ordre mondial allait être établi sur les cendres de la guerre.

 

Quel nouvel ordre mondial ?

Mais d’emblée, deux conceptions de cet ordre mondial allaient se heurter. Comme l’écrit deux prophètes pour un monde nouveau, deux messianismes antinomiques, enfants du malheur élevés au-dessus du carnage, annonçant chacun à sa façon l’aube d’une humanité meilleure. Depuis 1917, ils ont détourné le sens de la guerre et substitué aux petites flammes des nationalismes européens le feu puissant des idéologies qui embrasent le monde en se jouant des frontières. Ainsi va l’Europe dans l’immédiat après-guerre, coincée entre Lénine et Wilson, entre les « 14 points » et les soviets, aveuglée par les deux phares qui se sont dressés à l’Ouest et à l’Est pour déchirer de leurs lumières la nuit de l’humanité. De fait, contre Lénine qui voulait détruire le capitalisme pour supprimer la guerre, Wilson proposait d’extirper simplement l’impérialisme. Le rêve d’une nouvelle diplomatie est alors largement partagé. Le diplomate britannique Harold Nicolson se revoit jeune homme se rendant à la conférence de la paix de Paris, animé du désir de ne pas recommencer les « erreurs » commises par « les aristocrates réactionnaires » au cours des conférences de paix antérieures. « Nous ne séjournions pas à Paris simplement pour liquider la guerre, mais pour fonder un nouvel ordre européen. Nous ne préparions pas seulement la paix mais la Paix éternelle. Nous nous sentions comme auréolés du halo que confère une mission divine. » La réalité est bien plus prosaïque. Les gouvernements continuent à s’entendre les uns les autres en secret, et l’intérêt des États continue à guider le cours des relations internationales. Les relations entre les États se trouvent néanmoins profondément modifiées. Jean-Yves Le Naour l‘illustre avec brio tout au long de son solide volume et ceci, de façon permanente par la première Guerre mondiale. En un sens, Wilson n’a pas suffisamment pris en compte les sentiments nationaux et les ressentiments des peuples. Georges Clemenceau, en militant de gauche qui a vécu vingt ans sous l’Empire autoritaire, est aussi anticolonialiste, mais ce qu’il ne partage pas avec Wilson est le sentiment d’universalité de la démocratie. Seul l’avenir montrera si les pratiques du parlementarisme à l’occidental pourront être étendues au reste du monde, débat toujours actuel. La SDN lui paraît une anticipation dangereuse sur la réalité des faits.

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Gagner la paix, s’est avéré plus dur que gagner la guerre

Georges Clemenceau avait vu juste lorsque le 11 novembre 1918, au matin, il déclare à son chef de cabinet : « Nous avons gagné la guerre, il nous faut maintenant gagner la paix, et ce sera plus dur encore. » En effet, outre la mauvaise volonté allemande, il faudra non seulement compter avec la diplomatie d’équilibre des Britanniques qui ne veulent pas trop affaiblir l’Allemagne au profit de la France, mais aussi avec les ambitions du président américain Wilson dont les principes démocratiques pour la reconstruction du monde – le droit des peuples, l’État-nation, la SDN… – privent les Européens de toute politique d’annexion. Loin d’être à l’apaisement, les années d’après-guerre sont marquées par le trouble et l’incertitude. La guerre continue à l’Est, dans les pays baltes en 1919, entre la Pologne et la Russie de 1920 à 1921, entre les Turcs et les Grecs de 1919 à 1922, tandis que la guerre civile en Russie cause la mort de 5 à 7 millions de personnes. Surtout, le spectre de la révolution bolchevique, victorieuse en Russie, s’insinue de l’Allemagne à la Hongrie en passant par l’Italie. L’ennemi n’est plus tout à fait le germanisme, mais le bolchevisme, infiltré sous la forme des nouveaux partis communistes d’Europe. En ces années où prévaut l’illusion d’une paix durable, les instabilités, les aigreurs et les déceptions attisent déjà le feu de la revanche. Clemenceau avait raison : il était plus difficile de gagner la paix que la guerre. Et la France, qui a gagné la guerre a perdu la paix.

 

Comment cela est-il arrivé ?

C’est que parmi les cinq puissances qui ont pris part à la victoire, ne régnait pas un consensus général sur tous les points à régler et sur les principes à ancrer dans le marbre des traités pour établir une paix juste et durable. Le Japon, qui n’avait pas pris part aux opérations militaires en Europe, fut écarté des discussions portant sur ces questions. L’Italie chercha à s’assurer une prépondérance en mer Adriatique en limitant la surface du futur État yougoslave. La Grande-Bretagne voulait éviter tout morcellement de l’Allemagne qui se traduirait par un renforcement de la France. Celle-ci chercha, avec opiniâtreté, à obtenir une double garantie : physique, pour éloigner les bases de départ d’une éventuelle future invasion, et une réassurance diplomatique qui lui éviterait d’affronter seule la résurgence d’un revanchisme allemand. Pour le président Wilson, le but primordial était d’éviter les arrangements diplomatiques traditionnels, précaires par nature et instables dans le long terme, incapables de s’adapter aux changements progressifs des rapports de force. Ce sont donc quatre hommes d’État au caractère bien trempé qui vont, au cours de cent cinquante séances, régler les affaires du monde, à huis clos, et en tête-à-tête, avec la présence d’un seul secrétaire et d’un interprète. Une nouvelle hiérarchie des puissances s’instaure en Europe et dans le monde.

Sept États, dont deux nouveaux, ont succédé à la double Monarchie, quatre autres qui se constituent, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, se sentent menacés par la Russie soviétique à laquelle ils barrent l’accès à la mer, sans parler de la Pologne ressuscitée qui n’a jamais soldé son contentieux historique avec la Russie. Celle-ci ne peut compter, en Europe centrale et orientale, que sur la relative neutralité de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie. Le compromis suggéré par Lloyd George substitue à cette garantie territoriale une garantie militaire et diplomatique : l’Allemagne, dont l’armée réduite à 100 000 hommes, sera privée d’aviation, de chars d’assaut et d’artillerie lourde, et n’aura pas le droit de faire stationner de troupes ou d’entretenir des fortifications sur ses territoires de la rive gauche du Rhin et sur une zone de cinquante kilomètres de largeur sur la rive droite du fleuve. Elle subira, pour une durée qui, en principe, excédera pas quinze ans, une occupation militaire dans la province rhénane et le Palatinat bavarois. La France recevra de l’Angleterre et des États-Unis la promesse d’un appui armé en cas d’agression allemande ou de violation par l’Allemagne du statut de démilitarisation établi en Rhénanie. Au rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, que son chancelier avait demandé le 9 janvier 1919, solution à laquelle Woodrow Wilson se montrait favorable, ainsi que l’entourage de Lloyd George, Georges Clémenceau allait s’opposer avec vigueur. Soutenu par Orlando, il le fait entériner par l’article 88 du Traité de Versailles. Pourtant, soucieux de ménager l’avenir, Wilson fait reconnaître ce droit au rattachement « au cas où la SDN y consentirait. »

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Les prophéties de Jacques Bainville

Jean-Yves Le Naour, historien de la Grande guerre, à laquelle il a consacré pas moins d’une trentaine d’ouvrages, livre une étude brillante et rénovée – parfois iconoclaste mais toujours serrée et documentée. Au final, il fait entièrement siennes les prévisions – glaçantes prophéties – de Jacques Bainville qui a considéré que les conséquences politiques sont encore plus importantes que les économiques. L’auteur de la célèbre formule « Une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur et trop dure pour ce qu’elle a de mou » estime : « La paix a conservé et resserré l’unité de l’État allemand. Voilà ce qu’elle a de doux. Cette concession essentielle n’aggrave pas seulement, pour le désarmement, les difficultés de la surveillance. Nous répétons que la puissance politique engendre toutes les autres et un État de 60 millions d’hommes, le plus nombreux de l’Europe occidentale et centrale, possède dès maintenant cette puissance politique. Tôt ou tard, l’Allemagne sera tentée d’en user. Elle y sera même poussée par les justes duretés que les Alliés ont mises dans les autres parties de l’acte de Versailles. Tout est disposé pour faire sentir à 60 millions d’Allemands qu’ils subissent en commun indivisiblement un sort pénible. Tout est disposé pour leur donner l’idée et la faculté de s’en affranchir et les entraves elles-mêmes serviront de stimulants. » Auteur d’une Histoire de France réputée et un lumineux Napoléon, Bainville avait profondément médité sur les rapports entre la France et l’Allemagne, dans l’Histoire de deux peuples, complétée pendant la guerre par l’Histoire de trois générations. L’incompatibilité de l’Allemagne unie avec l’équilibre européen l’avait, dès le déclenchement du conflit, averti sur les difficultés des chemins de la paix. Pour y aboutir, il ne faudrait pas démolir l’Autriche avance-t-il, mais la réintroduire comme un coin entre le germanisme et le slavisme « sorte de gendarme européen au sud de l’Allemagne et aux portes de l’orient », afin que ce rôle ne revienne pas à l’Empire allemand. On a vu la hâte qui fut prodiguée pour précipiter le vieil empire des Habsbourg dans l’abîme. Il faut dénoncer « la vieille complicité de l’Allemagne et de la finance internationale », jugement assez brutal, à bien des égards, et faire payer, estimait Bainville, l’Allemagne et réorienter les courants d’investissements en Europe… une proposition qui, aux yeux du lecteur actuel, revêt une curieuse résonance. Enfin, il ne faut pas chercher à instaurer « une République allemande » à la place des Hohenzollern, mais laisser s’épanouir les particularismes régionaux en les garantissant par une constitution fédérale. Au lieu de cela, nous aurons, en 1919, une République de Weimar plus centralisée que ne l’était l’Empire et on retrouvera cette critique maintes fois resurgie jusqu’en 1949.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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