Trafics de drogue et criminalité urbaine. L’exemple de Toulouse

4 mai 2022

Temps de lecture : 13 minutes

Photo :

Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Trafics de drogue et criminalité urbaine. L’exemple de Toulouse

par

Trafics de stupéfiants et criminalité se mêlent dans les villes. Organisés autour de points de vente, avec des réseaux d’approvisionnement et de recyclage de l’argent, les trafiquants font un usage particulier de la ville. L’exemple de Toulouse illustre ici ce cas particulier de la criminalité urbaine.

Françoise Sellier est chargée de mission près la cour d’appel de Toulouse

 

Le marché toulousain de la drogue a particulièrement évolué depuis 2015, date à laquelle l’espace urbain du centre-ville (quartier de la Gare et du canal) entamait sa phase de transformation : les lieux de consommation et de deal ont été déstabilisés et des dealers professionnels ont pris la place des usagers/revendeurs habituels. Une montée de violence importante a accompagné ces transformations, marquée par l’intensification ces dernières années des règlements de compte. Cette restructuration en cours du marché de la drogue sur Toulouse s’accompagne du développement, à côté de la place toujours prépondérante du cannabis, de l’offre de cocaïne et, de manière beaucoup plus limitée, de l’héroïne.

État du marché de la drogue à Toulouse

Le cannabis

Le cannabis est le produit stupéfiant le plus présent sur l’agglomération toulousaine, et celui pour lequel le trafic est le plus structuré avec une offre d’herbe et de résine désormais équilibrée dans un marché qui, il y a dix ans, était dominé par la résine marocaine. Il est à noter que ces produits présentent des taux de THC 2 à 3 fois supérieurs à ceux décrits il y a 6 ans. La proximité avec l’Espagne, où se trouvent les stocks, engendre un mode de trafic quasiment transfrontalier qui garantit de manière continue l’alimentation de la ville de Toulouse. 50kg pour certains convois, 200 kg pour d’autres, la rythmicité de ces aller-retour alimente une forte demande et, pour une très grande part, transite par les quartiers prioritaires de la ville. Certains trafiquants toulousains se satisfont des intermédiaires espagnols, d’autres se sont réfugiés en Espagne et gèrent eux-mêmes leurs approvisionnements, d’autres encore puisent directement dans les stocks marocains via leurs relais familiaux. En parallèle, il apparaît depuis 2018 une production locale sous serre dans des zones rurales périphériques qui sont les plus adaptées à ce type de culture intensive tout en restant très discrètes. Le niveau de production (plusieurs centaines de pieds) démontre qu’il ne s’agit pas d’auto culture, mais bien d’une deuxième voie, certes beaucoup plus modeste, d’alimentation du marché toulousain.

À lire également

Les cartels de la drogue au Mexique : une puissance qui défie l’Etat

Les organisations qui tiennent le marché toulousain du cannabis relèvent du crime organisé, en premier lieu dans les cités du Grand Mirail, mais aussi aux Izards qui a pris une place plus importante que par le passé dans le trafic de cannabis. À la fois lieux de revente au détail, mais aussi à des semi-grossistes, ces quartiers alimentent le marché toulousain de manière stable et continue, avec des volumes de transactions et des niveaux de bénéfices très importants. Des bases arrière de stockage en périphérie de Toulouse sont décrites par les forces de police. Parallèlement à ces modes de trafics criminels, des organisations plus « artisanales » permettent aux usagers d’accéder au cannabis dans de nombreux points de vente publics (rues, bouches de métro), semi-publics (espace accessible sans prise de contact préalable) ou privés (espace où il est nécessaire d’être introduit par un tiers).

Une tendance semble apparaître concernant l’offre de différents produits (cocaïne, MDMA, plus rarement héroïne) au sein de réseaux historiquement centrés sur le cannabis. Ceci se retrouve sur les lieux de vente au sein des quartiers prioritaires de la ville, mais aussi lors d’interpellations de « nourrices ».

La Cocaïne

On note une nette progression depuis quelques années de l’offre de cocaïne fortement concentrée. La disponibilité de ce produit est telle sur Toulouse que l’on constate, depuis 2018, des ramifications du marché dans le département voisin du Tarn. La voie parisienne (Pays-Bas) est la plus ancienne de ces micro-trafics. Depuis 2016, on assiste ainsi à une importation par voie aérienne sur Orly de marchandises d’Amérique du Sud, et plus précisément de Guyane (Suriname). Des porteurs individuels font ainsi voyager de petites quantités (cocon de 800g en moyenne) jusqu’à Paris, la marchandise étant ensuite transportée par convois routiers jusqu’à Toulouse. Selon un rapport national de la police judiciaire datant de 2018, Toulouse apparaît aussi comme la principale ville de province pour l’arrivée directe des mules en provenance de Guyane. Ce nouveau mode d’importation directe a un impact à la hausse sur la qualité des produits en circulation.

Les Izards s’imposent comme le premier marché de cocaïne de la ville. La cocaïne en provenance du Mirail, réputée de meilleure qualité, est parfois revendue sur la place Arnaud Bernard et place Belfort où le produit, possiblement recoupé, reste tout de même de bonne qualité. Les lieux de vente apparaissent parfois momentanément, parfois de manière plus durable, et alimentent un marché au gramme, au demi-gramme voire à la dose.

L’héroïne et les autres produits

On relève quelques points de vente d’héroïne dont la disponibilité semble progresser (quartier de La Gloire en particulier où l’on décompte quelques 600 clients), même si cette offre demeure plus limitée. Une réorganisation du trafic d’héroïne serait à l’œuvre, sur des points de vente déjà existants tournés jusqu’alors vers le cannabis et la cocaïne. Le deal sort ainsi des publics initiés pour profiter à des personnes non concernées qui traitent cela comme un objet de commerce, à l’instar des méthodologies relevées pour le cannabis et la cocaïne.

Concernant les médicaments et autres drogues de synthèse, ces produits circulent le plus souvent dans les espaces festifs (festivals de musique, bars et boîtes de nuit) via des usagers-revendeurs et moins dans des points de vente identifiés par quartiers. Cependant, il apparaît que les circuits d’approvisionnements sont tenus, à l’identique, par les acteurs du commerce de cannabis, de cocaïne et d’héroïne.

Territorialisation des trafics de stupéfiants

Cartographie des territoires

Les circuits de la drogue à Toulouse comportent une forte dimension sociale et territoriale: Ce sont des lieux bien identifiables où il existe une forte probabilité de retrouver les acteurs de la drogue (guetteurs, rabatteurs, usagers, revendeurs, etc.). Ces territoires ont en commun de caractériser des lieux de dégradation (physique, sociale, économique …).

L’implantation des points de vente de stupéfiants à Toulouse coïncide en grande partie avec les zones de sécurité prioritaires et le QRR du Mirail. Les 7 quartiers les plus concernés sont: Reynerie, Bellefontaine, Bagatelle, Izards, Arnaud Bernard, Empalot, La Gloire. La géographie des trafics de drogues dans les cités toulousaines est de notoriété publique. Cette notoriété s’explique par le fait que les trafiquants ont sanctuarisé leur territoire et imposé, parfois au prix de violences intestines, une certaine forme de paix sociale (régulation des conflits familiaux ou de voisinage). Ce sont en effet des territoires où les actions sont fortement codifiées ou « auto régulées », créant de véritables enclaves alimentées par une économie parallèle.

À titre d’exemple, le quartier des Izards, au nord de la commune de Toulouse, présente une organisation de type mafieux : entouré par les quartiers de Lalande (à l’ouest), de croix Daurade/Borderouge (à l’est) et des Trois Cocus (au sud), et malgré (ou à cause?) de son enclavement, il est devenu depuis quelques années un lieu majeur du trafic de stupéfiants dans l’agglomération, avec une contagion sur les quartiers voisins. La place des Faons, et plus précisément le n°19/20, est historiquement le point de deal le plus prospère, avec tous les acteurs du trafic (guetteurs, rabatteurs, vendeurs). Des clients parfois très nombreux faisaient la queue sur la voie publique. À un moment, les trafiquants avaient même installé un canapé sur le toit de la poste, en guise de tour de guet, montrant par là même l’impunité dont ils jouissaient. Ce trafic très lucratif a installé dans le quartier une ambiance mafieuse où les dealers veulent faire régner leurs règles, y compris par l’intimidation et la pression sur les habitants. Pour illustrer ce phénomène, en 2017 un message des trafiquants avait été affiché dans les immeubles jouxtant le 19/20 de la place des Faons à destination des habitants pour les mettre en demeure de ne pas coopérer avec la police sous peine de représailles. Dans ce même esprit, certains de ces habitants ont été contraints de prêter leur logement à des fins de « nourrices » dans un climat d’intimidation et de pression savamment orchestrées. Les réseaux sociaux ont aujourd’hui supplanté les inscriptions sur les murs des parties communes des immeubles pour diffuser les offres, tarifs et promotions (phénomène également observé sur la Reynerie).

 

Des trafics à l’échelle d’une voie, d’un immeuble

Sur la base de la cartographie élaborée par quartiers, par un effet de zoom, on voit ressortir des segments et des intersections urbaines actifs sur le plan du trafic. La plupart des lignes de force révèlent une « autre ville », qui ne croise pas avec les structurations et les découpages administratifs, faisant ressortir les nœuds d’activité du trafic.

Ainsi au Mirail, dans le quartier de La Reynerie, le trafic de stupéfiants se vérifie quasiment à l’échelle de chaque immeuble. Mais le point le plus névralgique est incontestablement l’immeuble Varèse. Sur ce point a pu converger chaque jour une centaine de consommateurs, rapportant en moyenne 25 000 euros/jour, les bénéfices ayant pu connaître des pics à 50 000 euros. L’immeuble Varèse comprend des appartements « refuges » où les trafiquants se replient lors des opérations de police et conservent ponctuellement les quantités de matière nécessaire. Dans l’environnement de cet immeuble « vigie », l’immeuble Jean Gilles est un point de deal de replis vers lequel les acheteurs sont acheminés lorsque les interventions de police visent le secteur Varèse. La proximité de ces deux sites avec la station de métro et l’université mitoyennes favorise les ventes. Le 12 passage Auriacombe, est aussi un point de deal emblématique, lieu de revente important.

Des « plans » en perpétuel mouvement

À travers ce dernier exemple, on constate que le territoire ce n’est pas seulement le quartier, la cité, le hall d’immeuble, ce sont des micro-segments de trafics, c’est-à-dire un « plan » comme il est dit dans le langage du milieu, qui est autonome dans ses modes d’approvisionnement et de gestion des ventes. On recense ainsi plus d’une centaine de points de deal fixes sur l’agglomération toulousaine, ceci sans compter les lieux de vente éphémères. Comme son nom l’indique, un plan se caractérise en effet par un certain degré d’indétermination dans sa localisation et sa temporalité. C’est donc aussi du mouvement dans un périmètre donné: rotation des lieux de deal, déplacement des équipes et de leurs membres.

À lire également

Les mafias nigérianes investissent l’Europe

Cette territorialité se caractérise donc par sa plasticité, répondant ainsi à la nécessité d’évoluer en temps réel, et par sa dimension transversale, se jouant des limites, des voies et des nœuds de communication. Il semble ainsi se dessiner une territorialité spécifique à ces échanges qui intègre tout un ensemble de facteurs comme la répression, la sensibilité de l’environnement, l’évolution des approvisionnements.

À ce titre, la période exceptionnelle de COVID 19 a été un test réussi de la capacité d’adaptation des réseaux de trafiquants toulousains. Après une période de tension du marché, marquée par l’interruption soudaine des approvisionnements, les réseaux toulousains ont su gérer leurs stocks et adapter leurs prix à la hausse. En outre, des affaires récentes ont montré que le franchissement de la frontière espagnole n’a jamais été suspendu, même en temps de confinement. Surtout, les réseaux ont su compenser l’assèchement temporaire de la clientèle en développant les livraisons à domicile. Cette ubérisation croissante, présentant l’avantage de moins exposer les réseaux en recourant à une main-d’œuvre discrète (femmes au foyer, étudiants, etc.), pourrait constituer un élément pérenne de l’évolution des trafics.

Structuration des réseaux de trafic

 

Une véritable professionnalisation

Les trafics illicites constituent un travail à part entière. Il s’agit d’une activité à plein temps, qui suppose une présence sur le terrain, une organisation minimale, des compétences (conditionner le produit, savoir où vendre, quand et à qui, de façon discrète), des capacités (savoir tenir son commerce), une discipline par rapport au produit (ne pas consommer, ou gérer sa consommation personnelle) et à ses fournisseurs (payer la marchandise, respecter les échéances, ne pas trop s’embrouiller), maintenir la bonne distance avec la clientèle (les attirer sans se faire avoir). Ils impliquent donc une très forte division du travail et des rôles, des phénomènes de spécialisation, des compétences et des savoirs, comme dans n’importe quelle autre sphère. Toulouse n’échappe pas à cette évolution. Les affaires récentes révèlent une structuration et une professionnalisation des réseaux de trafic : il apparaît ainsi une stratification assez fine à l’échelle locale. Ces trafics prennent en effet aujourd’hui des formes organisées autour d’une division du travail quasi industrielle qui rend possible de gros débits, des multiproduits (le plus souvent, herbe, résine de cannabis et cocaïne) et la qualité de service.

Selon un schéma classique, cette stratification est pyramidale:

des grossistes qui résident principalement en Espagne et au Maroc

des semi-grossistes chargés de l’acheminement et qui sont amenés à se déplacer fréquemment entre la France et l’Espagne où se trouve les stocks

des trafiquants locaux chargés de la vente en demi-gros et au détail

Au niveau local d’un réseau, le système se structure avec:

des gérants (qui organisent le réseau)

des charbonneurs (qui fournissent la clientèle)

des rabatteurs et autres guetteurs

des satellites (qui rendent divers services)

Aujourd’hui l’entrée dans les trafics peut commencer très jeune, la stricte division du travail, du guetteur au revendeur permettant à des individus de gravir les échelons, du poste le moins qualifié au haut de l’échelle:

Les 8-14 ans sont utilisés comme « homme à tout faire » des guetteurs et revendeurs, en échange d’un billet ou d’une protection. Ils sont donc chargés de menus services et font par exemple office de coursiers (livraison de sandwichs et de canettes)

Vers l’âge de 15 ans, on trouve les guetteurs et les livreurs

Les 15-20 ans commercialisent des lots de cannabis, ils sont payés davantage avec des barrettes qu’ils revendent ou consomment

Les 20-30 ans et plus sont des intermédiaires entre le semi-gros et le détail de cannabis ou de cocaïne

Au-dessus il y a les grosses têtes, au sens de têtes de réseaux, qui s’occupent de l’approvisionnement de réseaux de points de deal et des revendeurs, et font figure de réussite pour les plus jeunes

À lire également

L’armée brésilienne dans la lutte contre la criminalité

Ces hiérarchies évoluent dans le temps en fonction des « carrières » dans le monde de l’illicite. Ces hiérarchies offrent des positions en équilibre toujours instable: la chute peut être aussi rapide que l’ascension. Contrairement aux idées reçues, les positions lucratives sont limitées, les positions basses sont les plus fréquentes et les plus exposées. On considère ainsi que moins de 10% des trafiquants seraient responsables des 3/5ème de toutes les transactions.

Ces hiérarchies informelles se caractérisent par leur professionnalisme : ces organisations criminelles maîtrisent parfaitement les techniques d’investigation policières et les nouvelles technologies: utilisation de balises, brouilleurs, système de cryptage des communications… Elles font preuve d’une importante capacité d’adaptation: emploi d’une main-d’œuvre renouvelée immédiatement après des interpellations, mutualisation de certaines équipes pour réaliser des achats groupés, diversification des activités en fonction du marché, spécialisation de certaines équipes dans une séquence particulière du trafic (le transport, la distribution, le blanchiment…). Ces réseaux criminels développent aussi des stratégies marketing multiples (flyer via les réseaux sociaux, cartes de fidélité, livraison à domicile…), et procèdent à des recrutements de personnels au niveau national sur les réseaux sociaux.

Une base de solidarité horizontale

Si les réseaux sont organisés selon une stricte division verticale du travail, ils reposent aussi sur des liens familiaux, des communautés ethniques et des liens d’amitié constitués en prison. Ce modèle d’organisation se structure donc à partir de réseaux de solidarité horizontale. En ce sens, on peut parler de milieu de la drogue. Ainsi, sur Toulouse, quelques grandes familles bien connues, certaines ayant pignon sur rue (les Frères M. à Empalot gèrent une boulangerie familiale), se partagent la gestion à distance des espaces et du marché. Aucun quartier ne fait exception.

Ces familles sont donc bien identifiées, mais il reste compliqué de savoir à quel niveau elles sont impliquées dans les trafics. La plupart gardent une certaine distance par rapport aux réseaux de trafiquants, pour se limiter à ne toucher qu’aux gains du commerce de drogue. La gestion des flux financiers est une activité sur laquelle nous n’avons encore que peu d’informations. Et pourtant les revenus sont énormes. La pression exercée sur elles via les enquêtes patrimoniales révèle des activités de blanchiment via des sociétés fictives ou des sociétés-écrans souvent spécialisées dans le bâtiment, la sécurité ou la location de véhicules. Ces familles réinvestissent beaucoup dans le secteur de l’immobilier. Leur train de vie est aussi très instructif, marqué par de grosses dépenses en vêtements de luxe, voitures et voyages.

Ces logiques de proximité font à la fois la force et la faiblesse de ces réseaux. Les embrouilles et dénonciations anonymes sont fréquentes, car les gains très importants réalisés par les uns attisent la convoitise des autres. De fait, les règlements de compte, véritable guerre des chefs, ont connu une croissance soutenue ces dernières années.

Les Règlements de compte

Sur Toulouse, depuis 2018, on décompte 49 règlements de compte liés au trafic de stupéfiants. Pour la seule année 2020, on dénombre 20 RDC en lien avec le trafic de stupéfiants.

Cette augmentation des RDC, qui existe depuis de nombreuses années sur d’autres territoires comme celui de Marseille, n’avait jusqu’alors jamais été aussi prégnante sur Toulouse.

Il est à noter que, à Toulouse, les règlements de compte interviennent non pas entre bandes rivales de quartiers différents, mais plutôt au sein d’un même groupe pour accaparer la direction du trafic. Ainsi, de nombreux règlements de compte ont lieu après l’incarcération de celui qui tenait le réseau ou à sa libération, l’intéressé voulant alors reprendre sa place. Dans ce contexte, il n’est pas rare de constater des règlements de compte successifs intervenant en représailles des précédents faits. Ces règlements de compte peuvent aussi avoir pour origine un différend portant sur le vol de stupéfiants (« carottages ») ou d’argent. Dans ce cas, les cibles sont généralement des individus n’ayant pas une place élevée dans la hiérarchie du trafic. Il ne s’agit pas alors à proprement dit d’exécutions, mais de tirs d’intimidation souvent dirigés au niveau des jambes des victimes ou de violences à l’arme blanche.

L’exemple le plus emblématique du phénomène des règlements de compte se situe actuellement dans le quartier des Izards : à la faveur d’une opération réussie menée fin juin 2020, les « maîtres » opérationnels du trafic des Izards ont été arrêtés et placés en détention après que les chefs de réseaux aient été précédemment interpellés dans d’autres dossiers (blanchiment, trafic international de stupéfiants). La libération de l’ancien trésorier du réseau, évincé, a immédiatement provoqué un conflit ouvert entre les membres de l’équipe encore en place, ce personnage voulant sa revanche et reconquérir le quartier. On a pu alors assister à une série d’attaques/ripostes à des cadences soutenues pendant les mois d’août et de septembre 2020. Il est important de relever la facilité avec laquelle les moyens de cette lutte de territoire ont été rapidement mis en place. Ceci témoigne d’une organisation extrême dans le recrutement d’hommes de main à l’extérieur du département, d’une main-d’œuvre venant d’Île-de-France par le biais des réseaux sociaux, de l’achat et la fourniture d’armes de guerre et d’équipements, ainsi que de voitures volées, appartements de replis, faux papiers, etc. Cette facilité est à rapprocher avec les revenus quotidiens considérables issus du trafic (jusqu’à 35 000 euros avancés aux Izards). Le risque de règlement de compte est même anticipé par les gestionnaires : en effet, on remarque que les vols de véhicules sont intervenus des semaines voire des mois avant l’utilisation des véhicules volés, ce qui signifie que ceux-ci ont été remisés en sûreté, le stockage du véhicule correspondant le plus souvent avec le stockage d’armes à l’intérieur.

Conclusion

L’évolution accélérée des trafics de stupéfiants sur Toulouse ces derniers mois, marquée par une montée importante des violences, amène à relever quatre enjeux principaux pour l’avenir:

Les règlements de compte font désormais partie intégrante de la gestion interne des réseaux par les chefs: il s’agit d’une forme d’équilibre par la terreur, pour laquelle l’activité de règlement de compte est une activité comme une autre au sein des trafics de stupéfiants. Elle est donc organisée, anticipée, financée par les chefs de réseaux. La violence des faits constatés vient questionner l’impressionnante circulation d’armes sur Toulouse: les armes de poing sont utilisées, et parfois même des armes de guerre de type pistolet mitrailleur, STEN, Uzi, MP40 et kalachnikov. En parallèle, il n’est pas rare de découvrir dans certaines affaires, l’usage de gilets pare-balles et des dispositifs de type traqueur. Il est donc très facile de se procurer des armes sur Toulouse, les trafiquants en ont beaucoup et les stockent en prévision de règlements de compte. Ils peuvent acheter des stocks importants, ils en ont les moyens;

Parallèlement aux opérations de police soutenues ces derniers mois contre les trafics toulousains, on assiste à l’émergence d’un nouveau marché en périphérie, en zone gendarmerie: des villes comme Colomiers, Blagnac et Cugnaux deviennent des lieux de vente et de règlements de compte. Ces nouveaux réseaux à la campagne s’approvisionnent à la Reynerie et au Mirail;

Le COVID-19 a eu un impact considérable sur les circuits d’approvisionnements: le confinement a ainsi compliqué les importations marocaines vers l’Espagne. Des stocks très importants ont été constitués au Maroc, issus de la récolte 2019 non écoulée, à laquelle s’ajoute celle de 2020. On peut donc s’attendre à l’arrivée prochaine de ce surplus, notamment sur le marché toulousain;

Le trafic toulousain a été déstabilisé par la pandémie, mais a rapidement retrouvé un équilibre en gérant ses stocks importants et en adaptant les prix à la hausse. Surtout, la plus grande adaptation, qui pourrait devenir structurelle passée la pandémie, concerne l’ubérisation du trafic qui présente l’avantage de passer sous les radars.

À lire également

Le retour des talibans : répercussions pour l’Asie du Sud

Mots-clefs :

Temps de lecture : 13 minutes

Photo :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Françoise Sellier

Françoise Sellier

La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits

Voir aussi

Pin It on Pinterest