L’ordre de la Toison d’Or, outil de diplomatie et de prestige pour l’Espagne

5 mars 2021

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Philip V Making 1st Duke of Berwick Cavalier of the Golden Fleece 1813 Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867 French) Collection of the Duke of Berwick & Alba, Madrid /262-2130

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L’ordre de la Toison d’Or, outil de diplomatie et de prestige pour l’Espagne

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Les ordres et les décorations nationales ne servent pas uniquement à récompenser les mérites des nationaux ; ce sont aussi des moyens d’œuvrer à une diplomatie active en les attribuant à des étrangers célèbres. L’ordre de la Toison d’Or joue ce rôle pour la diplomatie et le prestige de l’Espagne.

 

Le 30 janvier 2018, pour célébrer son cinquantième anniversaire, le roi d’Espagne Philippe vi a décidé d’octroyer l’ordre de la Toison d’Or à sa fille aînée, la princesse des Asturies Leonor, qui sera appelée à lui succéder. Alors âgée de douze ans, l’héritière du trône reproduit en cela l’exemple de son père qui, en mai 1981, reçoit l’ordre des mains de son prédécesseur, Juan Carlos [1]. Aucune cérémonie n’est alors organisée [2] mais l’acte est de la plus haute importance puisque l’ordre de la Toison d’Or (Insigne Orden del Toisón de Oro) est considéré comme la récompense la plus prestigieuse qu’un individu puisse recevoir de la part de l’Espagne – et en particulier du roi, qui en est le grand maître (gran maestre)[3].

Sur les dernières décennies, cette distinction a suscité un nombre croissant d’études de la part des historiens et un intérêt au sein du grand public, comme en témoignent articles, reportages et productions télévisuelles [4]. La Toison d’Or, qui a récompensé des personnalités politiques espagnoles de premier plan [5], est devenue au fil des ans un véritable outil de diplomatie et de prestige pour notre voisin pyrénéen.

Une distinction de tout premier ordre

Ordre d’abord purement dynastique (lié à la maison de Bourgogne puis aux deux dynasties qui lui succèdent outre-Pyrénées, les Habsbourgs et les Bourbons) [6], elle se « dilue » peu à peu en devenant une récompense nationale. C’est ce qu’indique, entre autres, le fait que ses statuts officiels aient été traduits en espagnol, qui en est la langue officielle [7].

De fait, même si cet ordre est remis par le roi d’Espagne, c’est bien le gouvernement qui en valide le principe et qui en entérine chaque utilisation – à l’image d’une autre distinction très prestigieuse, l’ordre de Charles III (Real y Distinguida Orden Española de Carlos III) [8]. Le très riche patrimoine de notre voisin ibérique en ce domaine ne peut que bénéficier à son rayonnement international [9].

Tout cela est renforcé par la limitation du nombre de ses possibles récipiendaires (51 au maximum depuis 1519 [10]), par le fait que chacun des colliers et insignes que peuvent porter les personnes ainsi honorées [11] doivent être rendus par leurs descendants à leur mort et qu’il s’agit de l’une des distinctions les plus anciennes à être encore imposée dans le monde.

De la Bourgogne médiévale à l’Espagne contemporaine

L’ordre de la Toison d’Or est une création du duc de Bourgogne Philippe III « le Bon » (1419-1467), qui en jette les bases en 1429 en s’inspirant de la légende des Argonautes, partis, sous le commandement de Jason, rechercher cette célèbre peau de mouton (vellocino de oro) en Colchide (actuelle Géorgie). L’État bourguignon y ajoute un vernis chrétien avec une référence au juge d’Israël Gédéon [12].

Les ducs de Bourgogne, qui viennent d’acquérir plusieurs ports dans les Flandres [13], veulent marquer à la fois leur nouvelle vocation maritime, la puissance de leurs États et leur indépendance à l’égard des rois de France, leurs rivaux de toujours. Il faut également comprendre cette création dans le cadre de la valorisation de la chevalerie[14], qui passe par la fondation de plusieurs autres distinctions, comme l’ordre de la Bande par le roi de Castille Alphonse XI en 1332 ; celui de la Jarretière par le roi d’Angleterre Édouard III en 1348 ; celui de l’Étoile par le roi de France Jean II en 1351 ; ou encore celui de l’Annonciade par le comte de Savoie Amédée VI en 1362 [15].

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Pour se distinguer de ses puissants voisins, le duché de Bourgogne imagine de plus un protocole extrêmement particulier, fidèle au faste de l’usage bourguignon [16], véritable « canal de propagande » pour Philippe iii et ses successeurs [17].

L’ordre passe ensuite à l’Espagne par le mariage de Philippe le Beau, duc de Bourgogne (1482-1506), avec Jeanne, héritière des Rois catholiques. C’est par leur fils aîné, Charles Quint (souverain de 1516 à 1556), que se transmet la Toison d’Or jusqu’au dernier des Habsbourgs ibériques, Charles II (1665-1700). Avec l’accession au trône madrilène des Bourbons, la nouvelle dynastie conserve ses prérogatives et la Toison d’Or se scinde alors entre une branche espagnole et une branche autrichienne. Philippe V (1700-1746) se fonde sur plusieurs arguments pour revendiquer le titre de grand maître de la distinction : le testament de son parent habsbourgeois, la reconnaissance de cet état de fait par l’Europe, le droit du sang, le renoncement de l’empereur d’Autriche à tout droit sur la Couronne espagnole. La concession de ce privilège au roi d’Espagne Alphonse XIII (1886-1931) par Charles Ier lorsque ce dernier perd son trône ou encore la validation de la souveraineté espagnole sur la Toison d’Or par l’Église catholique elle-même [18] confirme ce privilège.

Ainsi donc, si la branche autrichienne maintient la tradition et dispose du trésor et des statuts originels de la Toison d’Or, c’est bien l’Espagne qui en est la réelle puissance souveraine à l’heure actuelle – d’autant que l’Autriche est devenue une République après la Première Guerre mondiale. Isabelle II (1833-1868), première femme à porter le collier et l’insigne, en fait un ordre civil par un décret royal daté de 1847 [19]. Après son départ d’Espagne et la perte de son trône, Alphonse XIII lègue ses droits dans le domaine à son héritier, Jean, comte de Barcelone, père de Juan Carlos [20].

Des personnalités triées sur le volet

 

Bien qu’aucun chapitre (réunion officielle de l’ordre) ne se soit déroulé depuis celui de Gand, présidé par  Philippe II en 1559 [21], la Toison d’Or est toujours remise de nos jours et sert essentiellement à renforcer les liens diplomatiques de l’Espagne [22].

Ce prestigieux symbole est ainsi en possession d’une petite vingtaine de personnalités en février 2021, dont [23] :

  • Des monarques étrangers, comme la reine Beatrix des Pays-Bas, Marguerite II du Danemark ou encore Élisabeth II du Royaume-Uni, à titre protocolaire [24];
  • Des chefs d’État ou anciens chefs d’État, comme le président de la République française Nicolas Sarkozy, qui le reçoit en 2012 des mains de Juan Carlos en remerciement de la coopération policière transfrontalière dans la lutte contre l’ETA [25];
  • Des personnalités politiques ou diplomatiques qui ont œuvré à l’influence espagnole à l’international, comme Víctor García de la Concha (ancien directeur de l’Académie royale espagnole et de l’Institut Cervantes, grand promoteur de la langue espagnole dans le monde) [26];
  • Ou encore des représentants des liens entre l’Espagne et l’Amérique latine, à l’instar d’Enrique Valentín Iglesias, secrétaire général en charge des Sommets ibéro-américains de 2005 à 2014[27].

De la même manière, le roi d’Espagne se voit lui aussi imposer à l’étranger de prestigieux ordres, comme celui de la Jarretière, qu’il reçoit de la part d’Élisabeth II en 2019 [28]. Ainsi donc, en ce XXIe siècle où les monarchies sont devenues rares dans le monde et où les rois n’ont généralement plus de rôle politique direct, l’ordre de la Toison d’Or et ses équivalents étrangers jouent encore un rôle diplomatique prestigieux. Quitte à faire grincer quelques dents, comme lorsque le roi Abdallah d’Arabie saoudite reçoit la distinction d’origine bourguignonne en 2007 [29]

Notes

[1] « El rey celebra su 50 cumpleaños imponiendo el Toisón de Oro a doña Leonor », El País, 30 janvier 2018.

[2] Fernández Sánchez, Luis Fernando, El Toisón de Oro: de Felipe iii «el Bueno» a Felipe vi, Madrid : Presses de l’Université Complutense, 2017, pages 206-214.

[3] Ibid., pages 30 et suivantes.

[4] « Historia estrena mañana un documental sobre la gran orden del Toisón de Oro », La Información, 13 novembre 2012.

[5] Id.

[6] Pinedo y Salazar, Julián de, Historia de la Insigne Orden del Toisón de Oro, 2018 (1787), Madrid : Bulletin officiel de l’État et Académie royale d’Histoire, trois volumes.

[7] Fernández Sánchez, Luis Fernando, op. cit., page 115 et page 193.

[8] Real Decreto 1051/2002, de 11 de octubre, por el que se aprueba el Reglamento de la Real y Distinguida Orden Española de Carlos iii, disponible en ligne : https://www.boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-2002-19803.

[9] Fuertes de Gilbert Rojo, Manuel, « El patrimonio premial y caballeresco del Reino de España », Actes de la Convention internationale « Histoire, fonctions, valeurs et actualité des ordres de chevalerie et du mérite : les systèmes de récompenses dans le monde et dans l’Italie avant l’unification et jusqu’au moderne statut fédéraliste, Agrigente, 2007.

[10] Fernández Sánchez, Luis Fernando, op. cit., page 102.

[11] Ibid., page 103 et page 186.

[12] Ibid., page 83.

[13] « Historia estrena mañana un documental sobre la gran orden del Toisón de Oro », op. cit.

[14] Ibid., pages 36 et suivantes.

[15] Ibid., pages 49 et suivantes.

[16] Ibid., page 170.

[17] Ibid., page 217.

[18] Ibid., page 226.

[19] Ibid., page 231.

[20] Ibid., page 286.

[21] Ibid., page 119.

[22] « El Toisón de Oro, de reconocimiento al ideal caballeresco a reconocimiento diplomático », La Vanguardia, 16 janvier 2014.

[23] Bandera, María, « ¿Qué es el Toisón de Oro y quiénes lo han merecido? », COPE, 30 janvier 2018.

[24] Fernández Sánchez, Luis Fernando, op. cit., page 208.

[25] Ibid., page 236.

[26] Ibid., page 290.

[27] Ibid., page 324.

[28] Tubella, Patricia, « Una liga más antigua que el toisón », El País, 17 juin 2019.

[29] Real Decreto 786/2007, de 15 de junio, por el que se concede el Collar de la Orden del Toisón de Oro a SM Abdullah Bin Abdulaziz Al-Saud, Custodio de las Dos Sagradas Mezquitas y Rey de Arabia Saudí, disponible en ligne : https://www.boe.es/boe/dias/2007/06/16/pdfs/A26338-26338.pdf.

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À propos de l’auteur
Nicolas Klein

Nicolas Klein

Nicolas Klein est agrégé d'espagnol et ancien élève de l'ENS Lyon. Il est professeur en classes préparatoires. Il est l'auteur de Rupture de ban - L'Espagne face à la crise (Perspectives libres, 2017) et de la traduction d'Al-Andalus: l'invention d'un mythe - La réalité historique de l'Espagne des trois cultures, de Serafín Fanjul (L'Artilleur, 2017).

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