Iran / Etats-Unis : embargo réel, guerre rituelle

23 juillet 2019

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Téhéran (c) Pixabay

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Iran / Etats-Unis : embargo réel, guerre rituelle

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Le détroit d’Ormuz redevient un lieu central des tensions mondiales et l’affrontement entre l’Iran et les Etats-Unis se tend. Conflits vous propose deux regards de spécialiste pour mieux comprendre ce qui se joue en ce moment avec l’Iran. Entretien avec Thomas Flichy de la Neuville, docteur en droit, agrégé d’histoire et auteur d’une Géohistoire du monde iranien, à paraître à l’automne 2019.

 

Les tensions dans le détroit d’Ormuz entre l’Iran et les États-Unis ne cessent de s’intensifier sans que l’on comprenne toujours quel est l’objectif de chacun. Que veulent les États-Unis et pourquoi Donald Trump est-il revenu en mai 2018 sur l’accord signé par Barack Obama ?

Afin de décrypter les tensions actuelles dans le golfe Persique, il convient de prendre la mesure des contradictions propres à chaque État. Du côté américain, la finalité de Donald Trump est d’assurer sa réélection. Pour ce faire, sa seule marge de manœuvre se situe sur le plan intérieur où tous ses efforts tendent à la relance de l’économie américaine. Sur le plan extérieur, les différents acteurs de la politique étrangère américaine poursuivent chacun leur objectif propre. Ces objectifs sont suffisamment contradictoires pour que toute politique étrangère prenne une allure fantomatique. Donald Trump a donc renoncé intérieurement à mettre en œuvre sa politique étrangère propre. Son environnement immédiat, qui a éliminé méthodiquement ses conseillers les plus proches, le pousse à durcir ses positions vis-à-vis de l’Iran. Ceci l’amène à simuler un conflit tout en tenant soigneusement en laisse ses limiers, persuadé qu’une confrontation ouverte se solderait par un nouveau désastre.

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(c) Thomas Flichy

L’Iran nie être responsable de l’attaque du bateau japonais le 13 juin dernier. Que sait-on aujourd’hui de cette attaque ? Est-ce l’Iran comme le disent les États-Unis ou bien un coup monté par Washington comme le soutient Téhéran ?

Pour le savoir, il faut avoir accès au renseignement satellitaire. Pour l’imaginer, il suffit de se poser une question : à qui profite ce sabotage ? Ni aux Iraniens ni aux Américains. En voici la raison : les tensions navales récentes dans le golfe Persique ne doivent pas masquer un changement fondamental : ce bras de mer n’est plus essentiel à la sécurité énergétique des États-Unis, ces derniers exportant désormais leur propre gaz de schiste. Pour les États-Unis, l’espace du Golfe persique demeure un marché pour l’exportation de la haute technologie civile et militaire, mais a perdu une grande partie de son intérêt géostratégique.

Pour leur flotte de guerre, l’enjeu est moins de sécuriser les approvisionnements énergétiques de l’Amérique que de gêner celui de ses concurrents géopolitiques – quitte à médiatiser le moindre incident – afin d’entretenir l’idée d’une guerre possible. De son côté, l’Iran est sous embargo, par conséquent, plus le blocus se durcit plus il devient indifférent à de possibles incidents. En revanche, s’en prendre au Japon, qui importe du pétrole à l’Iran serait un non-sens.

 Que veulent les États-Unis à l’égard de l’Iran ? Renverser et changer le régime ou bien seulement le contenir et limiter son influence dans la région ?

L’Iran se présente comme une puissance commerciale créatrice. Elle s’est connectée à la Chine qu’elle irrigue par ses innovations et dont elle reçoit des biens manufacturés à bas coût. Elle s’est également liée à la Russie qui lui assure une protection militaire de premier ordre ainsi que des débouchés. Les efforts conjoints de la diplomatie persane et russe ont contribué à retourner la posture géopolitique de la Turquie qui s’est éloignée de l’OTAN pour rejoindre les vieilles puissances continentales. Dans ce contexte, les États-Unis poursuivent plusieurs objectifs : retarder l’innovation technologique iranienne dans le domaine des industries de pointe, empêcher le développement d’une flotte iranienne qui permettrait la connexion essentielle entre le commerce et la mer et enfin, assurer par la superposition des sanctions financières, le blocus le plus hermétique possible du plateau persan.

Le changement de régime a été tenté avec la révolution verte, mais il a échoué. Comme les États-Unis sont incapables de faire de la diplomatie, ce qui présupposerait de parler avec leurs adversaires, de les isoler de leurs alliés russes et chinois en les montant les uns contre les autres tout en leur proposant une voie de sortie, ils en sont réduits à tenter de les contenir dans deux domaines : maritime et numérique. C’est cette non-politique qui est actuellement en œuvre.

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Comment ce pays soumis à l’embargo fait-il pour continuer à se développer ?

L’Iran renforce ses liens avec ses voisins terrestres immédiats, il cherche à équilibrer ses rapports avec l’Inde et la Chine. Il sait que le temps travaille à son profit dans la mesure où le centre de gravité géoéconomique mondial se déplace irrémédiablement vers l’Orient. Dans le golfe persique, il s’appuie sur deux puissances neutres : il s’agit en premier lieu du Sultanat d’Oman, pays situé à l’interface de la péninsule arabique, de l’Iran, de l’Afrique de l’Est et de l’Inde, qui a signé un accord de libre-échange avec les États-Unis en 2009 tout en maintenant d’excellentes relations avec l’Iran. Le second allié est le Qatar, qui partage une nappe de gaz avec l’Iran et fait l’objet d’un quasi-embargo depuis qu’il s’est distancé de l’Arabie saoudite en mai 2017. À la suite du blocus, l’émirat a entièrement revu sa politique étrangère.

On sait les Iraniens très nationalistes. Dans cette crise, est-ce qu’ils soutiennent leur gouvernement ? Et provoquer une crise avec les États-Unis, n’est-ce pas un moyen de souder le peuple autour de lui alors que l’Iran est parcouru de nombreuses difficultés ?

Oui, la crise est fédératrice, elle renforce l’estime que les Iraniens ont d’eux-mêmes. Elle exacerbe également leur identité religieuse, qui repose sur la conscience d’appartenir à un peuple élu, destiné par Dieu à offrir ses souffrances pour la rédemption universelle. L’embargo stimule l’inépuisable créativité persane, il renforce accessoirement le régime qui n’est pas l’adversaire principal des opposants géoéconomiques de l’Iran. Ces derniers se satisfont en effet assez bien d’un pays asphyxiable depuis la mer, et capable d’être maintenu à l’état végétatif par l’absence d’investissements extérieurs tout comme par les carences administratives internes.

 Le régime iranien actuel est-il populaire ? A-t-il des bases solides ou bien peut-il être renversé comme le Shah en 1979 ?

Comme tout régime né d’une révolution, le régime souffre de l’artificialité de ses origines, mais il dispose d’un atout intérieur : celui d’avoir mis en place un laboratoire intellectuel unique au monde qui a théorisé une forme alternative de mondialisation. Si le régime souffrait de réelles faiblesses, il y a longtemps qu’il se serait effondré dans la mesure où – à la différence de la Russie et de la Chine – les restrictions existantes sur Internet sont aisément contournées.

L’Iran expérimente simultanément une immense ouverture par le biais des nouvelles technologies et un affermissement de sa singularité culturelle. Ceci dérange trop pour que l’Iran ne puisse faire l’économie d’une mise à mort symbolique régulière. Symbolique elle l’est, car la Perse n’a jamais été défaite depuis la mer. Cette exécution rituelle fut longtemps vaine pour une raison simple : elle ne faisait que rejouer sur le plan politique une pièce économique jouée il y a quarante ans, et consistant à débrancher l’Iran du commerce maritime pour le renvoyer à la sécheresse de ses antiques échanges caravaniers continentaux. Mais aujourd’hui les temps ont changé. L’allié chinois a en effet surclassé les États-Unis dans le domaine de l’intelligence artificielle. Friande de données numériques, la Chine achètera dans peu de mois celles de l’Iran en lui fournissant en échange dans certaines zones, une couverture internet hors normes.

(c) Thomas Flichy

 

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé

 

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Photo : Téhéran (c) Pixabay

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À propos de l’auteur
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Thomas Flichy de la Neuville, docteur en droit, agrégé d’histoire. Il est titulaire de la chaire de géopolitique de Rennes School of Business.
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