The Second Nuclear Age, de Paul Bracken / Overcoming Pakistan’s Nuclear Dangers, de Mark Fitzpatrick

24 février 2015

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : La bombe atomique : usage ou dissuasion ? – Jean-Marc Le Page. crédit photo : Unsplash

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The Second Nuclear Age, de Paul Bracken / Overcoming Pakistan’s Nuclear Dangers, de Mark Fitzpatrick

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À l’heure où Hervé Morin propose de démanteler la Force aérienne stratégique française, deux ouvrages américains de sensibilités opposées placent le débat dans un contexte géopolitique et stratégique global fort sombre.

Paul Bracken, The Second Nuclear Age

Paul Bracken, The Second Nuclear Age

Les premières lignes de l’ouvrage de P. Bracken (ancien collaborateur d’Hermann Khan et professeur à Yale) donnent le ton : « Les armes nucléaires sont de retour […] Le problème n’est pas de savoir s’il faut les éliminer ou les limiter. Notre défi est d’évaluer les nouvelles dynamiques géopolitiques, fruit de ce retour de la bombe dans ce que j’appelle le second âge nucléaire. » L’auteur se pose en réaliste. Dans la lignée d’un Kissinger, il ne croit guère à l’efficacité des traités et fait remarquer que la prolifération se poursuit. Après avoir tiré les « leçons » de l’affrontement Est/Ouest, l’ouvrage étudie les différentes situations régionales, le cas indo-pakistanais étant le plus riche. L’ouvrage de M. Fitzpatrick (directeur du Programme de non-prolifération et de désarmement au sein de l’IISS) en discute les différents aspects.

Pour les deux auteurs, la course aux armements nucléaires s’accélère en Asie du Sud. Recherchant la parité avec la Chine, l’Inde a choisi la voie des hautes technologies (télédétection satellitaire, radars furtifs, cyber-guerre). Israël (pour l’espace) ainsi que la Russie et la France (avec la vente éventuelle de 126 Rafale capables d’emporter des missiles air-sol et disposant d’une capacité aéronavale) sont parties prenantes dans l’effort de New Delhi. Cette compétition centrée sur la sophistication des systèmes d’armes est plus difficile à contrôler que le nombre d’armes, donc plus dangereuse.

Le Pakistan, moins peuplé, pauvre et politiquement instable, voit son retard se creuser. Il fait face en multipliant les bombes (120 contre 80 à l’Inde en 2013, probablement 250 à l’horizon 2025 ce qui le placerait devant la France) et en produisant des armes au plutonium plus économiques, plus puissantes et miniaturisables (Bracken évoque des armes portables par commando, ce que réfutent les autorités). Fitzpatrick consacre quelques pages aux liens financiers avec l’Arabie saoudite qui pourrait chercher à obtenir quelques armes pour contrer l’Iran.

Dans ce jeu complexe, les États-Unis, médiateur traditionnel des crises indo-pakistanaises, se retrouvent dans une position difficile : l’accord nucléaire de 2008 et l’exécution de Ben Laden ont déclenché « une paranoïa anti-américaine » dans la population et les échelons inférieurs de l’armée pakistanaise, persuadés que Washington se prépare à neutraliser l’arsenal du Pakistan, seul pays musulman doté de l’arme atomique.

Mark Fitzpatrick, Overcoming Pakistan’s Nuclear Dangers

Mark Fitzpatrick, Overcoming Pakistan’s Nuclear Dangers

Faute d’un médiateur crédible et accepté par tous, il sera extrêmement difficile à l’establishment politico-militaire de résister à la pression de la rue lors d’une éventuelle crise majeure dont le schéma est connu : comme en 2001 et 2008, une attaque terroriste conventionnelle (aucun des deux ne croit à l’acquisition d’armes nucléaires par des acteurs non étatiques) sur une cible indienne, suscitant une invasion limitée aux régions frontalières (plan Cold Start de 2004) ; le Pakistan pourrait alors engager une escalade nucléaire désastreuse (20 millions de morts dans la première semaine selon une évaluation de 2013). Comment enrayer le processus ? Sur ce point les deux auteurs divergent significativement.

Fitzpatrick accorde un grand crédit aux mesures prises par le Pakistan pour « surmonter » ses risques nucléaires. Au fil de l’ouvrage, on comprend que M. Fitzpatrick, s’inscrivant sans ambiguïté dans une logique de non-prolifération et de sécurité collective, cherche à asseoir une solution diplomatique consistant à offrir au Pakistan « une voie pour normaliser son programme nucléaire », comprendre l’intégrer au processus international de non-prolifération sur un pied d’égalité avec l’Inde.

Selon P. Bracken, ne pouvant suivre New Delhi sur le terrain de la sophistication, le Pakistan a choisi la voie opposée : mettre l’accent sur la rusticité de son arsenal nucléaire. La stratégie pakistanaise serait d’utiliser cette rusticité et le manque de fiabilité de sa sécurité nucléaire pour rendre « crédible » la perspective d’une réaction irrationnelle, mal calculée ou simplement « folle » de la part d’un commandant sur le terrain ; un excellent moyen de dissuader l’Inde de toute attaque. P. Bracken ne propose pas de solutions, celles-ci émergeront de la gestion plus ou moins réussie des crises à venir. Cependant il envisage une très hypothétique modification du TNP de 1968 qui serait durci pour les pays les plus dangereux (la Corée du Nord, par exemple) mais qui accepterait que des puissances « responsables » (comme l’Inde aujourd’hui) puissent disposer légalement de la bombe.

Le cas pakistanais permet ainsi d’illustrer à la fois les caractéristiques du second âge nucléaire et les divergences entre « réalistes » et tenants de la sécurité collective.

P.T.

Paul Bracken, The Second Nuclear Age, Time Books, New York, 2012, 320 pages, 20,73 $, en anglais.
Mark Fitzpatrick, Overcoming Pakistan’s Nuclear Dangers, Londres, mars 2014, 171 pages, en anglais.

Crédit photo : ericconstantineau via Flickr (cc)

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