Le terrorisme en mer est un sujet fréquemment cité dans les études stratégiques en tant qu’enjeu majeur, et ce depuis les attentats du 11 septembre 2001. Mais en dépit de l’omniprésence de la menace terroriste, celle de la survenue d’attentats en mer semble plus présente dans les analyses que dans la réalité.
Car les navires restent jusqu’ici à l’écart du terrorisme, surtout en comparaison avec d’autres modes, à commencer par le transport aérien. Les attaques significatives se comptent sur les doigts de la main, et leur bilan, tout comme leur impact, reste limité.
Des attaques rares et causant principalement des dégâts matériels
La première attaque d’envergure s’est produite en octobre 1985, à bord du navire de croisière italien Achille Lauro[1]. Des terroristes du FPLP détournent le navire vers Tartous, et exigent la libération de 50 prisonniers palestiniens. Arrivés au large de la Syrie, et n’obtenant pas satisfaction, ils exécutent l’un des passagers, qui est américain et de confession israélite. Finalement, les terroristes sont arrêtés par l’armée américaine et livrés aux autorités italiennes. Quinze ans plus tard, c’est l’USS Cole, un destroyer américain, qui est frappé au large du Yémen par une embarcation piégée conduite par deux kamikazes. Cette fois-ci, le bilan est plus significatif avec 17 marins tués et 39 blessés. Le groupe Al-Qaïda était à la manœuvre, un an avant les attentats du 11 septembre 2001. Cette attaque faisait suite à une tentative visant l’USS The Sullivans, qui s’était soldée par le naufrage pur et simple de l’embarcation des assaillants. En octobre 2002, c’est le Limbourg[2], un pétrolier français, qui est à son tour visé dans le golfe d’Aden par une organisation liée à Al-Qaïda, selon le même mode opératoire. Le bilan est d’un mort et 12 blessés. Et puis plus rien.
Depuis le début des années 2000, une menace purement théorique
Pourtant, dans la seconde moitié de la décennie 2010, il semblerait qu’un nouveau risque est à prendre en compte, celui d’une attaque de type « Bataclan » sur un navire à passagers, dont le bilan pourrait s’avérer d’autant plus terrible qu’aux morts causés par le ou les assaillants, s’ajouteraient ceux ayant sauté à l’eau à cause de la panique. Mais cette menace reste hypothétique en l’état.
Tout comme le détournement d’un navire transporteur de gaz ou d’hydrocarbures aux fins de l’utiliser comme bombe flottante ou de créer une catastrophe écologique, sans doute trop complexe à mettre en pratique. Et bien que des navires aient eu affaire ces dernières années à des mutineries de passagers clandestins, elles n’ont pas conduit à une véritable prise de contrôle.
Le meilleur témoin de cette préservation du transport maritime est la convention de Montego Bay sur le droit de la mer, qui date de 1982. Si elle fait mention de la piraterie, elle passe totalement sous silence le terrorisme, alors que les détournements d’aéronefs étaient un sujet de préoccupation majeure, quoiqu’ils commençassent à décliner grâce aux mesures prises par le monde de l’aviation civile. La convention SUA de 1988, rédigée après le détournement de l’Achille Lauro, ne comble que partiellement cette faiblesse. Il est vrai que sans retour d’expérience, il est compliqué de rédiger des textes appropriés.
Le pavillon de complaisance, facilitateur, mais surtout protecteur
L’une des explications de cette préservation du monde maritime est sans doute l’importance des pavillons de complaisance qui immatriculent l’immense majorité de la flotte mondiale[3], là où les terroristes ciblent souvent des États développés en frappant des moyens de transport. Dans cette perspective, quel est l’intérêt de s’attaquer à un navire sous pavillon des Bahamas, et dont le propriétaire est une holding immatriculée aux îles Marshall ? Ainsi, le pavillon de complaisance, quoique pointé comme facilitateur potentiel du terrorisme, semble plutôt agir comme une protection pour le monde maritime. Quant à son utilisation par des groupes terroristes, elle est à relativiser : le dernier groupe à avoir utilisé directement des navires pour ses besoins logistiques est Al-Qaïda, s’abritant d’ailleurs derrière le pavillon du Tonga au début des années 2000. On retrouve bien des interceptions de navires transportant des armes pour l’IRA, mais elles remontent aux années 1980.
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Dans la décennie écoulée, l’ombre de l’IRA plane toujours sur le trafic de cigarettes qui touche l’Irlande, avec par exemple l’interception en 2014 du Shingle, un cargo sous pavillon moldave. Tout comme celle des Tigres tamouls sur les expéditions de l’Ocean Lady et du Sun Sea qui, en 2009 et 2010, arrivèrent sur les côtes du Canada avec des migrants sri lankais à leur bord. Qui plus est, au moment de leur utilisation, ces navires n’avaient plus de pavillon. Même si de telles activités sont préjudiciables et contribuent potentiellement à financer la branche terroriste de ces organisations, elles ne créent pas de menace en soi pour la sûreté en mer.
L’ombre des groupes terroristes, mais à d’autres fins que le terrorisme
En Méditerranée, on ne peut exclure un rapport entre les interceptions de navires avec des armes, de la drogue, ou du carburant de contrebande, avec des groupes terroristes. Le cas le plus emblématique étant sans nul doute le Noka, intercepté en décembre 2018 alors qu’il faisait route de la Syrie vers la Libye avec des armes, du haschisch et du captagon, cette drogue de synthèse fabriquée par Daesh. Toutefois, ces activités concernent principalement des zones en guerre, et relèvent plutôt de cette classification. Du reste, l’action terroriste de Daesh dans les pays occidentaux, s’appuyant plutôt sur des individus passant à l’acte avec peu de moyens, n’est pas compatible avec l’utilisation de navires sous pavillon de complaisance, qui doit s’appuyer sur une structure organisée, ni avec le détournement de navires, qui nécessite du personnel formé.
Dans le monde de la piraterie, on rencontre un cas d’hybridation avec le terrorisme, celui d’Abu Sayyaf aux Philippines, qui pratique l’enlèvement de marins dans le but d’obtenir des rançons. Même si cet état de fait doit être nuancé à deux titres : ils frappent principalement des navires faisant de la navigation locale – et ne menacent donc pas le commerce maritime international – et les attaques qui leur sont imputées sont peu fréquentes. Enfin, en Somalie et dans le golfe de Guinée, malgré la présence de groupes terroristes majeurs dans les régions concernées, ils n’ont pas de lien direct avec les organisations pratiquant la piraterie.
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À l’invocation de la menace terroriste en mer, on peut appliquer cette phrase de La face noire de la mondialisation, d’Alain Bauer et Xavier Raufer : « Ce système réactif cherche d’abord ses références et accomplit des vérifications dans le passé. » Car les menaces les plus citées appartiennent principalement au passé, comme l’utilisation de navires sous pavillon de complaisance, ou sont transposées mathématiquement d’autres milieux, comme le détournement des navires vu comme une simple variante de celui des avions. Naturellement, au milieu du brouillard de la guerre, il ne faut pas tomber dans l’extrême inverse et conclure à l’absence définitive de la menace terroriste en mer. Il est en revanche nécessaire de l’appréhender à l’aune des spécificités de cet univers afin de pouvoir l’évaluer de la façon la plus juste.
Notes
[1] Navire construit en 1947, il coulera en 1994 à la suite d’un incendie
[2] Navire construit en 2000, il fut réparé et continua son service jusqu’en 2018, où il fut démoli.
[3] En 2015, 71 % du tonnage mondial était immatriculé sous pavillon de complaisance.