Terrorisme et périodisation du jihadisme européen

24 mars 2022

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

Abonnement Conflits

Terrorisme et périodisation du jihadisme européen

par

Le court texte que Hugo Micheron vient de publier dans la récente collection « Tracts » de Gallimard, mérite de retenir l’attention des chercheurs travaillant sur le terrorisme. Et ceci pour au moins trois raisons.

Hugo Micheron, Jihadisme européen. Quels enjeux pour l’avenir ?, Gallimard, Paris, 2022.

D’abord, parce que cette publication s’inscrit à la suite d’un livre de Micheron qui, malgré ses insuffisances en matière conceptuelle et de fragilité des sources[1], représente une avancée réelle dans la compréhension des aspects géographiques du fait jihadiste. Et c’est en grande partie sur les acquis de ce travail antérieur que l’auteur élargit maintenant son propos au cadre européen (de l’Ouest).

Périodiser le jihadisme

Ensuite, en raison de la proposition de périodisation du jihadisme contenue dans ce travail. Le fait que celle-ci soit formulée en termes de « vagues » ne constitue pas une nouveauté, ni dans le domaine des études sur le terrorisme[2] ni en matière d’histoire du jihadisme[3]. De même, les moments de flux et de reflux que Micheron identifie à l’échelle du continent européen correspondent sans doute à des fluctuations réelles, même si des recherches complémentaires s’imposent pour vérifier ce qui ne constitue qu’une hypothèse de travail, plutôt qu’une vérité indiscutable, ce que l’auteur semble suggérer. Car depuis l’origine du phénomène, qui apparaît avec le jihad afghan au début des années 1980, ses manifestations présentent une continuité indéniable, mais aussi des variations locales encore incomplètement comprises. Mais le point central, implicite dans le propos de Micheron, consiste dans la nécessité de différencier clairement les dynamiques du jihadisme des logiques qui président au recours au terrorisme. Car si le jihadisme, comme cause motivationnelle, est un dispositif politico-religieux qui agit sur la longue durée des interactions civilisationnelles ; le terrorisme en tant que technique de communication violente ne se déploie que dans les périodes de « flux » jihadiste. Distinguer ces deux histoires est donc indispensable, tant il est vrai que le terrorisme est à la disposition de toutes les causes imaginables, et que le jihadisme a recours à un vaste répertoire de moyens, violents ou non, pour faire prévaloir son projet.

Distinguer jihadisme et terrorisme

Enfin, l’un des apports les plus intéressants du texte de Micheron consiste, en séparant le jihadisme du terrorisme, à montrer la continuité du fait jihadiste. En effet, contrairement aux phases d’expansion (flux à composante violente) où du fait des attentats sa visibilité médiatique est maximale, les périodes de reflux qui correspondent à des moments de réorganisation intellectuelle et pratique suscitent beaucoup moins d’intérêt. Et cet oubli volontaire ou non de la menace, trop souvent imposé par l’aveuglement inhérent à une certaine frange médiatiquement bienpensante, fait obstacle à la compréhension des transformations en cours dans certains quartiers, mosquées et prisons. Et en mettant l’accent sur cette réalité, Micheron fait incontestablement œuvre utile.

En définitive, en raison de sa brièveté et de son format ce court texte ne pouvait apporter une analyse de fond de la question. Mais en suggérant des réflexions et en présentant des hypothèses, il invite à poursuivre les recherches sur un sujet encore très imparfaitement défriché.

À lire également

Nouveau Numéro : Syrie, Assad vainqueur du jeu de massacre

[1] Hugo Micheron, Le Jihadisme Français. Quartiers, Syrie, Prisons, Gallimard, Paris, 2020. Nous en avons fait une analyse critique dans : Daniel Dory, « Jihadisme, radicalisation et terrorisme : à propos du cas français », Sécurité Globale, N° 24, 2020, 109-121.

[2] On songe ici immédiatement à la théorie élaborée notamment dans : David Rapoport, « The four waves of modern terrorism », in : Audrey K. Cronin ; James M. Ludes, (Eds.), Attacking Terrorism, Georgetown University Press, Washington, 2004, 46-73.

[3] Un des meilleurs essais de périodisation est : Glenn E. Robinson, « The Four Waves of Global Jihad, 1979-2017 », Middle East Policy, Vol. 24, N° 3, 2017, 70-88.

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Daniel Dory

Daniel Dory

Daniel Dory. Chercheur et consultant en analyse géopolitique du terrorisme. A notamment été Maître de Conférences HDR à l’Université de La Rochelle et vice-ministre à l’aménagement du territoire du gouvernement bolivien. Membre du Comité Scientifique de Conflits.

Voir aussi

Livre

Livres 8 novembre

Blake et Mortimer, Saint Louis et la Croisade, Bouaké, printemps des peuples, Amazone. Sélection des livres de la semaine. Yves ...