La cartographie de la violence dans la « zone des trois frontières » permet non seulement de comprendre le déplacement de celle-ci mais également de faire des prévisions pour l’avenir. La cartographie est ici essentielle pour matérialiser les phénomènes criminels.
Cette carte, qui représente les actes de violence de tous ordres ayant lieu à différents moments au Mali, Niger et Burkina Faso, fournit des indications essentielles pour autant que l’on comprenne bien ses conditions de production. Or un problème d’édition à fait qu’elle est parue dans le N° 34 /2021 de Conflits, (page 48) sans le texte explicatif correspondant. Nous publions donc ici la carte et son commentaire. En deuxième partie de cette note, on développe la réflexion à partir de ce document et d’un autre paru dans ce même numéro 34 (les auteurs de Conflits se lisent mutuellement), dans le but de mieux mettre en évidence les dynamiques spatiales du djihadisme au Sahel.
La source en est la Global Terrorism Database[1], où la totalité des évènements violents est prise en compte. On a donc des actes terroristes et d’autres incidents (affrontements à base ethnique, criminalité liée à divers trafics, etc.) ; ce qui correspond bien au profil de la violence dans la région. Les périodes retenues concernent : a) le milieu de la révolte touarègue au Niger et Mali (1990-1996) ; b) la révolte touarègue suivante (2007-2009) et ses suites ; c) les années immédiatement antérieure et postérieure au début de l’opération Serval (2013) ; d) la dynamique de la conflictualité dans les années suivantes (2019 : dernières données disponibles).
L’histogramme permet de distinguer clairement la spécificité locale des deux premiers épisodes, et la croissance spectaculaire de la violence (notamment terroriste) à partir de 2012. À ce moment on perçoit clairement l’apparition d’une dynamique djihadiste macro-régionale et globale ; tout en donnant matière à penser concernant l’efficacité des opérations Serval et Barkhane en matière de réduction du « terrorisme » dans la région.
La carte permet, surtout, de voir le déplacement de cette violence au cours du temps. Pour cela on recourt au calcul des barycentres (centroïdes de l’ensemble des attaques de chaque période)[2]. Cela permet de percevoir (sans doute pour la première fois) le déplacement du « centre de la violence » en direction du Burkina Faso au cours des dernières années et la tendance à la transnationalisation que le jihadisme introduit dans la zone, dont le foyer au sud-est du Niger (lié à Boko Haram) est une autre expression.
Élaborer une telle carte (une des représentations possibles de réalités en évolution permanente) permet donc d’engager sur des bases empiriques solides la recherche et la réflexion sur le terrorisme dans la zone sahélienne.
D’autre part, à la suite de la publication d’une figure sur « la problématique du Sahel » dans l’article de Olivier Hanne[3], nous avons poursuivi le travail de développement de notre carte, dont l’utilité descriptive et éventuellement prédictive a déjà été mise en évidence[4] ; aboutissant au document suivant :
On y a représenté les périmètres des attaques s’étant produites au cours des deux dernières périodes (2012-2014 et 2015-2019), mettant en évidence un net déplacement de la violence (toutes motivations confondues) vers le sud en accord avec la tendance exposée par O. Hanne, cette fois sur la base de données standardisées vérifiables. On peut aussi formuler l’hypothèse d’une prépondérance des actions violentes commises par des acteurs touareg au cours de la première période (en rose)[5], alors qu’à partir de 2015 (en rouge) ce sont des groupes djihadistes qui ont pris le relais et opèrent l’essentiel du mouvement perceptible vers le Golfe de Guinée.
Le carton en haut à gauche de la carte synthétise ces acquis en ne prenant en compte que des données issues des trois pays concernés par la « zone des trois frontières ».
On a donc ici un apport additionnel à la réflexion, actuellement en plein développement, sur la représentation cartographique du fait terroriste. Son enjeu principal étant de construire des cartes fondées sur des données localisées de façon rigoureuse, afin de produire des documents qui permettent de soutenir la construction d’hypothèses solides, voire la prise de décisions informées.
Notes
[1] Voir aussi : H. Théry ; D. Dory, « Espace-temps du terrorisme », Conflits, n° 33, 2021, 47-50.
[2] Cette technique très éclairante complète heureusement des travaux antérieurs sur le sujet, comme : D. B. Skillicorn et al. « The Diffusion and Permeability of Political Violence in North and West Africa », Terrorism and Political Violence, 2019 (préparent, disponible en ligne).
[3] O. Hanne, « Évolution du djihadisme et du terrorisme au Sahel depuis vingt ans », Conflits, N° 34, 2021, 49-51.
[4] H. Théry et Daniel Dory, « Attentat de Solhan : quand la cartographie du terrorisme devient prédictive », https://www.revueconflits.com/attentat-solhan-herve-thery-daniel-dory-burkina-faso/
[5] On trouvera également des informations contextuelles utiles dans le chapitre 11 (pp. 216-238) de M. Hecker ; É. Tenenbaum, La guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIe siècle, Robert Laffont, Paris, 2021.