Taïwan : une équation à plusieurs inconnues 2/2

11 août 2021

Temps de lecture : 25 minutes

Photo : Taïwan : une équation à plusieurs inconnues 1/2. Crédit photo : Unsplash

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Taïwan : une équation à plusieurs inconnues 2/2

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La rivalité des puissances autour de l’île de Taïwan accroit la pression sur cette région du monde. Un nouveau grand jeu est en train de se mettre en place, qui implique les principales puissances mondiales.

Achevé en 1914, le percement du canal du Panama qui relie l’océan Pacifique et l’océan Atlantique assura aux États-Unis le contrôle du grand bassin caribéen et de facto son règne de l’hémisphère occidental dans une zone stratégique pour son économie, et pour l’US Navy. Sous l’impulsion de personnalités politiques telles Jimmy Carter et Omar Torrijos, la signature du traité Torrijos-Carter a officiellement restitué le contrôle complet du canal au Panama le 31 décembre 1999. Cette approche nouvelle de l’histoire du canal et de sa gestion va surtout nous intéresser par rapport àsa perception stratégique, à sa représentation de composante vitale du transport maritime mondial (environ 6% depuis sa modernisation et extension de 2016), tellement indissociable a la rivalité sino-américaine. C’est dans ce sens, entre autres, qu’il est temps pour les États-Unis de changer de prisme, car ces derniers ne sauraient déroger à ces mêmes principes fondamentaux de la puissance sauf à créer une ambiguïté stratégique.

Il convient d’abord de rappeler que le canal est une des routes maritimes essentielles pour les États-Unis puisque quasiment 65% de son commerce international y transite, mais qu’il devient aussi essentiel pour les capacités de transit de la Chine. Depuis 2017, outre ses gains en part de marché, la Chine est le second plus important utilisateur du canal (environ 15%) après les États-Unis et étend son influence aux portes de l’Amérique. Une nouvelle dimension géopolitique à prendre en compte, car l’ambition de la Chine n’est pas seulement celle de devenir le numéro un en transport maritime avec son projet des BRICS, mais plus largement de réduire l’hégémonie américaine dans cette zone. Là encore, si la rivalité sino-américaine ne saurait apporter la seule réponse unique, elle permet de replacer la question de Taïwan dans le contexte de cet article. C’est dans cet esprit que ce deuxième volet aborde l’inconnue Taïwan qui sous-tende une analyse intégrant l’ensemble du champ de réflexion géographique et àl’intersection de plusieurs enjeux thématiques.

Avec la Chine qui fait des œillades au Panama, c’est un nouvel avatar qui s’ouvre pour les stratèges américains. Liens diplomatiques rompus entre le Panama et Taïwan en 2017, intense activité diplomatique de la Chine afin d’éliminer peu à peu Taïwan du paysage de la caraïbe, visite du président Xi Jinping en décembre 2018 au Panama, sans rappeler l’influence de la Chine avec l’île de Cuba, l’empire du Milieu fait de l’ombre à l’influence traditionnelle de Washington dans son arrière-court. Cette omniprésence chinoise représente un vrai défi et attise la méfiance de Washington qui ne s’y trompe pas. De la même façon, les Philippines qui étaient une colonie américaine depuis plus d’un siècle ont été récupérées par la Chine, après avoir laissé la Chine prendre le contrôle du récif de Scarborough Shoal en 2012. Historiquement, les États-Unis n’avaient pas de présence en Asie avant l’acquisition des Philippines. L’Empire américain correspondant à cette période de la fin du XIXe siècle et de sa vaste expansion entre le Missouri et le Pacifique! Dans ce jeu des acteurs, ce n’est pas la Turquie désormais qui viendra épauler la diplomatie américaine dans l’état actuel des choses ([1]) !

On a coutume aujourd’hui de rappeler que les États-Unis, première puissance économique et militaire assument les responsabilités d’un leadership mondial, mais force est de constater que depuis l’année 2001, cette option est battue en brèche au fur et à mesure de la réalité chaotique de sa politique sur l’échiquier géopolitique. Rendu plus idéologiquement instable et manichéen, Taïwan n’en demeure pas moins sur l’échiquier le prochain choc stratégique majeur du XXIe siècle. Afin de tirer plusieurs constats de cette lutte d’influence entre Pékin et Washington, qui ne date pas d’hier, nous proposons dans une première partie à présenter le problème de souveraineté et l’obsession du statu quo version américaine, afin d’évoquer ensuite les défis et celui du scénario d’une Chine hégémonique. Quelle que soit la part d’intention entre la Chine et les États-Unis, demeure un fait : un vide conflictuel s’est creusé sur le futur de Taïwan, sur lequel les tensions du statu quo et au-delà de la crédibilité des États-Unis dans le Pacifique font fond. Rarement un tel enjeu ne s’était pressé à la fois depuis la période de la visite de Richard Nixon en 1972 qu’a posteriori l’on jugera probablement crucial pour l’histoire des relations internationales.

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Que de fois les dirigeants américains n’ont-ils été interrogés sur leur position vis-à-vis de la valeur stratégique de Taïwan. D’un point de vue géopolitique, pour illustrer en deux mots : malentendus et fausses perceptions citons deux exemples des récits de l’histoire avec Taïwan. La déclaration rendue célèbre « perimeter speech » du secrétaire d’État Dean Acheson du 12 janvier 1950 au National Press club à Washington ([2]), délimitant le périmètre de sécurité des États-Unis en Asie sans inclure explicitement Taïwan et la Corée du Sud. Pour la Corée du Nord de Kim II-sung le prétexte est trouvé et le 25 juin 1950, les forces nord-coréennes franchissent la ligne de démarcation au niveau du 38e parallèle, c’est la guerre de Corée.

Le 25 avril 2001, le Président George W. Bush déclarait que les États-Unis feraient tout ce qu’il faut afin d’aider Taïwan à se défendre en cas d’invasion ou d’attaque de la Chine ([3]). Ces propos ont coïncidé avec la montée des tensions entre Washington et Pékin suite à la collision d’un avion de surveillance EP-3 Orion de l’US Navy et d’un avion intercepteur de l’APL sur l’île d’Hainan. Pour Taïwan, l’année 2001 marqua la vente militaire d’avions F-16 la plus importante en une décennie.

Aujourd’hui, tenant compte que l’équilibre des puissances est rarement statique, ce statu quo binaire est rebattu, modifié et potentiellement supplanté par un rapport de forces qui incline vers la Chine. Bien entendu, Washington fait preuve d’une attention constante à ce contexte stratégique puisqu’au cours des vingt dernières années, l’Asie du Nord-Est représente le théâtre d’opération majeure de l’armée américaine et le déploiement de l’Atlantique vers le Pacifique de la moitié des forces des quatre composantes de son armée (US Army, US Navy, US Air Force, Marine Corps).

C’est dire que la situation du détroit de Taïwan se réduit à une scène stratégique où chacun des deux rivaux se regarde en chiens de faïence, avec pour effet des actions des deux, une retenue de plus en plus imprévisible. Mais il n’en demeure pas moins que les conséquences du contexte géopolitique que recèle le rapport de forces postérieures àl’année 1972, susceptible de prendre le statu quo à revers, n’avait correctement pas vu, ou tout du moins n’avait pas pleinement anticipé la position de force imaginable de la Chine aujourd’hui.  De cette « naïveté analytique », et cédant à leur propension à voir que du business et du hard power, les États-Unis sont confrontés aux types de réponses qu’ils pourraient apporter à Taïwan. Pas d’illusion à se faire en pensant qu’ils interviendraient systématiquement, ils défendront Taïwan si c’est dans leurs intérêts. Qu’il peut être judicieux de savoir utiliser à son profit (aisance américaine qu’incarnent les pourparlers de Kissinger de 1971 et les tenants d’une position ambiguë de juste milieu stratégique). Cette conception que l’on est dans un monde de rapport de forces de co-existence pacifique qui n’empêche pas que l’on puisse faire des deals et des compromis. En réalité, un système idéal que Fénelon professait en son temps au petit-fils de Louis XIV sur les problèmes des rapports de forces entre puissances, avec le rôle d’arbitre où tous nos voisins sont nos amis, quant à ceux qu’ils ne le sont pas : « jugés par leurs pairs avec méfiance » ([4]). Il s’agissait déjà là, de l’émergence d’une base collective de l’ordre international, d’acteurs dont les rapports de force entre membres seraient de plus en plus réglés non plus par la force, mais par le droit. Ce louable équilibre des forces s’achève avec la montée des nationalismes et de la révolution dans les affaires militaires du XXesiècle et la leçon de rappel que tout État possède un récit stratégique propre.

La perspective historique peut ainsi servir à rouvrir les yeux, comme l’expliquait le grand historien John King Fairbank en 1948, il notait que pour comprendre les politiques des dirigeants chinois, « l’histoire n’était pas un luxe, mais une nécessité » ([5]). Ainsi en 1972, le Président Nixon et son secrétaire d’État Henry Kissinger, déterminés ànégocier avec la Chine de Mao et de son Premier ministre Zhou Enlai, adoptaient la proposition « disruptive » de délégitimer l’indépendance de Taïwan pour sceller la normalisation diplomatique et le principe politique de « chine unique » de 1979. Cette normalisation avait, à l’époque, suscité une certaine inquiétude de la part du Congrès américain. Cette date constitue le vote de la loi du Taiwan Relations Act, déjà cité dans le premier volet, mais essentiel à replacer cette loi qui stipule que les États-Unis devront aider Taïwan à se défendre en cas d’attaque et àfournir un soutien militaire dans un contexte de conflit. Des décisions américaines adaptées à leur nature réelle de protection de l’île, mais qui oublie qu’il n’existe pas de politique « objective », car l’on écrit jamais que l’histoire de son temps. Il faut dire que le concept dissuasif « d’ambiguïté stratégique», concernant l’engagement des États-Unis en cas de crise est paradoxalement un peu usé d’avoir tant servi. Il est d’ailleurs plus difficile à mettre en œuvre àprésent avec le poids militaire de la Chine et plusieurs acteurs dans le jeu géopolitique et non plus deux : la Chine, les États-Unis et le Japon. Jusqu’à récemment, il représentait un gage de sécurité pour une seule force : Taïwan. Désormais, le Japon suit cette ligne, car l’obsession, c’est le statu quo, statu quo, statu quo. Cette ligne peut également être lue dans le sens inverse. S’il est un domaine où Taïwan et le Japon peuvent se prévaloir d’un intérêt stratégique commun, c’est celui de ne pas avoir qu’à compter sur leurs propres forces. Il y a un peu plus d’un an, en Chine, je discutais avec Mr Yasuhide Nakayama, vice-ministre de la Défense du Japon en 2021, il m’expliquait que pour éviter justement une confrontation entre la Chine et les États-Unis, c’est le fameux rappel de la « red line Taiwan ». C’est dans cet esprit qu’il s’agit pour Tokyo de rénover son alliance de défense avec Washington pour la faire passer à une alliance militaire qui sous-tende une projection monde. L’autre enjeu est de savoir ce que ferait Washington si en dernier lieu Pékin franchissait le Rubicon du recours éventuel à la force. Vu ce contexte, les alliés des États-Unis attendent qu’ils haussent le ton, car jadis Barack Obama avertissait la Syrie en 2013 que l’utilisation d’armes chimiques représentait le franchissement d’une ligne rouge. Prise en défaut par la survenue de ce franchissement, cette réalité mettait en exergue qu’il y a seulement des coalitions tactiques et non de principe d’ingérence. On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens ([6]) et si l’expression avait fait date, rappelons qu’à l’époque, Joe Biden était le vice-président américain.

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Danger sur Taïwan

Mais revenons à avril 2021. Le secrétaire d’État Anthony Blinken embouchait une trompette qui fut aussi celle de son prédécesseur, Mike Pompeo, pour annoncer de nouvelles circulaires abolissant toutes les restrictions en vigueur sur les contacts américains de haut niveau avec Taïwan. Rappelons que l’amiral Phil Davidson, chef de l’Indo Pacifique lors d’une audition du comité sénatorial des services armés en février 2019, alertait sur l’équilibre militaire de plus en plus défavorable avec la Chine qui pourrait modifier unilatéralement le statu quo, afin : « d’accélérer son ambition de supplanter les États-Unis dans leur rôle de chef de file dans l’ordre international fondé sur des règles et les valeurs représentées dans leur vision d’un Indo Pacifique libre et ouvert » ([7]). Les États-Unis et son successeur l’amiral John Aquilino, ont de nouveau choisi de hausser le ton cette année, précisément ? D’abord, lors de la première visite hors des États-Unis de John Aquilino à Tokyo le 1er juin 2021 afin de rappeler au Premier ministre Suga que le Japon est « le plus important allié », auquel le lie les valeurs et le respect des règles de l’ordre démocrate occidental. En déroulant le tapis rouge au commandant de l’Indo Pacifique, Tokyo indique son soutien en tant qu’allié et son attachement à la démocratie que l’alliance nippo-américaine a contribuée à forger en Asie Pacifique.

Kurt Campbell, directeur des affaires indopacifiques au Conseil de sécurité nationale le 26 mai dernier, précisait que le paradigme dominant entre les États-Unis et la Chine serait désormais celui de concurrence. Sans passer en revue les contours du paradigme, nous nous y hasarderons avec quelques modestes propositions dans le prochain article traitant du dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad), on peut identifier plusieurs appels ([8]). L’un, aux alliés des États-Unis et l’autre à la Chine. Sur le plan de la rhétorique, on peut situer ce discours à la confluence de deux notions. Celle de « l’alliance des démocraties du monde entier » martelée par Joe Biden lors de sa tournée européenne de juin 2021. Celle de faire savoir à la Chine que les États-Unis ne sont pas en déclin, mais qu’ils entendent s’impliquer pleinement dans les affaires du monde.

En clôturant cette question du statu quo, ces discours nous disent que le moment est important dans les cercles décisionnaires des stratèges des rives du Potomac, lieu de naissance de George Washington. En miroir du triomphe du modèle d’engagement avec la Chine du dernier demi-siècle incarné par Henry Kissinger, un consensus s’est forgé dans cette bataille de vision qui aura fait long feu, mais on constate depuis quelques années qu’il est de facto révolu. On peut faire la liste de cette intelligentsia devenue dominante et dont la doxa fonctionnera selon un nouvel ensemble de paramètres stratégiques qui visent à entamer une nouvelle méthode de travail avec la Chine. À quoi il faut immédiatement ajouter que depuis plusieurs années, les partisans des idées de Kissinger n’occupent plus de position clé dans le débat de sécurité nationale comme en atteste qu’aucun membre de cette génération d’experts n’occupe de poste dans l’administration Biden. En réalité, c’est bien un vide de gouvernance dans la relation sino-américaine et un tournant que les Chinois n’ont peut-être pas encore très bien appréhendé, ils se cherchent dans cette partie de bras de fer.

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L’incontournable Taïwan

Le contexte des bombardements de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, lancés depuis l’île de Taïwan sous domination de l’Empire du Japon est l’occasion d’une reconsidération de cette territorialité révélant sa réalité de point de contrôle stratégique en Extrême-Orient. Jusque-là, il est beaucoup question d’histoire envers Taïwan, en espérant le maintien de la stabilité régionale par la grâce de la crédibilité des États-Unis. En témoigne le statu quo à tout prix, mais le vrai enjeu est ailleurs. Pour l’aborder et désigner le terrain de l’affrontement stratégique, intéressons-nous de nouveau à la géographie. D’un point de vue strictement maritime, Taïwan se situe entre le Japon et les Philippines, dans un arc de distance à l’intersection de la plupart des points d’étranglement de l’Asie. Tous ces défis sur fond de revendications territoriales, pas seulement entre la Chine et les États-Unis, touchent au rapport de distance de Taïwan, pièce clé du dispositif du Pentagone dans le premier chaînon d’îles en mer de Chine. Par exemple Kinmen au large des côtes de Taïwan n’est qu’à trente minutes du continent chinois et Taipei, situé à 160 km. À moins de 110 km de Taïwan, les îles du sud de la préfecture d’Okinawa (Yonaguni et Ishigaki), proche des îles Senkaku, réclamées par le Japon et la Chine. De ce point de vue géographique, il est tout facile de dire qu’en cas d’attaque de Taïwan, la Chine aurait l’avantage de toute cette masse d’eau entre elle et Taïwan. Toujours en référence à cet accès stratégique, nous constatons l’intensité des exercices militaires en mer, qui n’ont jamais été aussi importants ces dernières années. Qu’on se réfère à la position chinoise ou américaine, ces exercices sont régulièrement menés sur le principe de liberté de navigation sur ces eaux internationales, mais l’opportunisme prime pour les stratèges des deux camps qui ont fait leurs une stratégie souveraine de se contrecarrer ([9]). Dans une perspective chinoise, tentant de s’octroyer ce droit de regard et d’intervention afin de réduire l’accès de l’US Navy à ces eaux, situées entre le continent chinois et le premier chaînon d’îles en compliquant tout appui logistique extérieur. Les États-Unis ont connu durant la guerre du Vietnam ce dilemme de sécurité logistique avec la hantise du soutien militaire aux troupes du front éloigné de 10,000 kilomètres de San Diego, face à cette perspective, comme le remarquait Dwight Eisenhower en janvier 1954 : « No military victory is possible in that kind of theater » ([10]). Ce constat a appelé ses remèdes à mesure que les États-Unis se sont préoccupés des alliances alentour. Ce constat nous conduit à faire un parallèle avec la situation de Taïwan aisément étranglé par le garrot de la marine chinoise et le risque d’un engrenage des États-Unis avec la Chine en cas de conflit augure mal de l’avenir en ce début du XXIe siècle.

Le détroit de Taïwan à un moment décisif, aussi bien pour la Chine que les États-Unis et leurs ambitions à la puissance, amplifié par leurs volontés parallèles de se doter de plates-formes d’armes anti-accès / refus de zone, appelés (A2/AD) dans le lexique des études navales. Inspirées des recherches du US Naval War College, nul ne les amieux décrites qu’Andrew Erickson, certainement la première personne à avoir mis en garde contre les risques encourut des missiles balistiques antinavires DF-21D ou DF-26B et de son architecture associée ([11]). Conçu comme un système pour changer la donne en mer et au-delà, l’enjeu est de taille, car en parvenant à atteindre leurs cibles en mouvement lors d’essais au cours de l’année 2020, la marine chinoise à démontrer une montée en puissance de ces équipements qui renforce sa dissuasion. Mais les États-Unis ne sont pas en reste, l’US Navy et ses alliés (Japon), comptent bien entendu sur leur capacité de défense antimissiles balistique Aegis et le potentiel de la révolution dans les affaires militaires (RAM). Délimitée par de nombreuses contre-mesures sur le plan opérationnel, la RAM doit aussi être dirigée afin de continuer à disposer d’un avantage technologique inégalé, car il n’y a aucune raison de penser que cette instabilité va cesser sur la carte géographique du Pacifique dans sa version « tour de Babel », autrement dit, le bassin Pacifique d’Hawaii n’est pas identique au bassin Pacifique de Polynésie, les prochaines années.

Dans cette même logique, le général Douglas MacArthur qualifia l’île de Taïwan de « porte-avions insubmersible » à mi-chemin du littoral de la Chine ([12]). Il posait, pour parler de la situation stratégique de l’île, la question de l’importance en cas de perte de « Formose » pour la VIIe flotte qui reviendrait à la perte de la ligne de défense du Japon et des Philippines d’un point de vue militaire. La pensée taïwanaise de MacArthur alors qu’il était responsable de l’administration transitoire du Japon d’après-guerre, exprimait ses craintes « Nous n’avons pas besoin de Formose pour les bases ou quoi que ce soit d’autre… Mais si nous perdons Formose et ainsi l’océan Pacifique, cela augmenterait incommensurablement les dangers que cet océan soit utilisé comme une voie d’avance pour tout ennemi potentiel » ([13]). Comme on le lit dans l’extrait, MacArthur soulignait l’importance de la géopolitique dans le fait géographique et force est donc de rappeler la valeur stratégique de l’océan qui ne protège nullement de l’ennemi.

Telle est exactement la « bataille silencieuse du XXIe » pour le Pacifique qui se joue peut-on dire aujourd’hui. Ce n’est pas seulement cette situation géostratégique de Taïwan qui est donc cruciale, mais le détroit de Taïwan et l’accès aux eaux profondes de la mer de Chine méridionale. Dans cet exemple de la Chine puissance continentale, si l’on applique la relecture des observations géographiques de Colin Gray ([14]), ces dernières peuvent tout aussi bien être un enabler qu’un disabler pour tout acteur étatique, le plus important restant la capacité à exploiter avec justesse les limites naturelles de son territoire. Le littoral chinois est desservi par sa géographie qui ne lui confère pas de ports en eau profonde nécessaire pour faciliter les sorties de sous-marins des bases navales dans le Pacifique. Plongeons-nous dans cette lecture militaire du sujet, avec toutes les précautions nécessaires sur la fiabilité des données et la transparence des budgets de la Chine qui désarçonnent à première vue. Pour garder une dissuasion crédible et le lead,l’US Navy a besoin de ruptures technologiques liées à la furtivité face à la modernisation croissante des forces navales de la Chine. À ceux qui s’intéressent aux détails techniques, nous conseillons vivement la lecture du rapport de l’agence de renseignements de la défense ([15]), parmi d’autres sources, sans pour autant ne pas oublier de citer le projet intérimaire du budget de l’année 2022 et des débats actuels de sa loi de programmation militaire qui fait du lancement de sa nouvelle génération de sous-marins lanceurs d’engins, le SNLE Columbia, son programme le plus important ([16]). Encore faut-il préciser que dans la zone Indo Pacifique, plusieurs grandes nations opèrent une stratégie de dissuasion nucléaire de première frappe avec leurs flottes de SNLE : l’Inde, la Russie. Quant aux Pakistan et la Corée du Nord, il s’agit de sous-marins à propulsion diesel-électrique.

Organiser son rapport aux autres nations face à cette redistribution du rapport de forces reste précisément l’enjeu capacitaire pour les États-Unis. Actuellement, dix SNLEs sont en permanence en patrouille, ils constituent le socle de la dissuasion américain et plus important encore, ils ont pour consigne de se diluer dans les profondeurs de l’océan avec l’ordre de se tenir « prêt à faire feu » qui va de pair, selon les termes d’une source dont nous avons eu connaissance ([17]), c’est la première fois que l’US Navy donne un tel ordre depuis la mise à l’eau opérationnelle du premier sous-marin nucléaire USS Nautilus en 1958. D’un rapport à l’autre et face à cette perspective, plusieurs indications sont aisément observables dans le livre blanc de la défense chinoise de 2019 ([18]), à titre non exhaustif, on recense les plus récentes :

Tout d’abord, et très clairement, on peut lire que la modernisation complète des composantes de l’armée populaire de libération (APL) sera accomplie d’ici l’année 2035. Puis, d’un point de vue militaire, connaîtra une phase de transformation d’un niveau de puissance équivalant à celui des États-Unis d’ici 2049, avant d’ambitionner de supplanter l’hégémonie de l’US Navy et de « cornériser » Taïwan dans un cadre référentiel sine die. Toujours en référence à l’APL, la commémoration du centième anniversaire de sa création interviendra lors de l’année 2027, soit au cours du troisième mandat de Xi Jinping si nous ne faisons pas de faute de calcul politique. Dans une même logique, observons la superposition d’autres élections en 2024 pour Taïwan et en 2025 pour les États-Unis. C’est dans cet intervalle des six prochaines années que la Chine pourrait être incitée à des pressions progressives pour étendre sa contestation et son emprise grise de Taïwan, utilisant le temps comme une arme pour profiter de ce nouveau rapport de force, sans déclencher de militarité, de friction afin de transformer l’avantage militaire longtemps détenu par les États-Unis sur la Chine. Une nouvelle version contraignante de la dissuasion avec une présence constante des bateaux chinois (de la flottille de pêcheurs au navire-dragueur de sable).

Courant avril 2021, la marine chinoise a accueilli trois nouveaux navires de guerre pouvant jouer des rôles clés pendant un conflit naval moderne. On observe une accumulation de faits sur leur capacité d’assaut amphibie et l’ambition de la marine chinoise de tenir compte de la géographie du champ de bataille dont les distances ont pour particularité d’être réduites. À la page 20 du document, une présentation des navires comprend : un navire d’assaut amphibie type 075 pour débarquer sur un territoire ennemi, mais aussi ravitailler une terre, une île en cas de crise potentielle; un destroyer type 055 qui évolue en parfaite harmonie avec un porte-avions comme le Liaoning; un sous-marin lanceur de missiles balistiques du type 094A en force de représailles nucléaire. Avec un tel « outil militaire », la marine chinoise prévoit le déploiement de navires d’une meilleure manœuvrabilité et adaptés à une crise dite de voisinage et les différends territoriaux s’y prêtent bien. À Hainan, où le président chinois a participé aux trois cérémonies de mise en service des bâtiments dans le port naval de Sanya, comme président de la commission militaire centrale, il a justifié cette confiance et légitimité ce patriotisme exacerbé du peuple chinois dans la puissance militaire de la Chine ([19]).

L’étrange défaite qui est à espérer en ce début de nouveau siècle est celle des réalités géopolitiques, car tout juste après avoir galvanisé les troupes de l’APL, de la marine à se préparer, en substance à la guerre, Xi Jinping pourrait marcher sur la corde raide et aurait plus de mal à faire comprendre la décision de sacrifier son principal atout : garder son armada navale appareillée et en mouillage. Quoi qu’il en soit, les capacités nucléaires du sous-marin 094A, interdits à l’adversaire et vice-versa de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation ou du chantage et en cela, réduisent la tentation de recourir à la force. À bien y regarder, la base de l’île de Hainan est située à 11,600 km de San Francisco et 13,500 km de Washington, permettant un changement de posture et en cas d’escalade, une riposte du tac au tac.

Dans ces conditions, la complexité prêtée au dilemme de sécurité pour le Japon est rendue simple, car comme l’écrivait Toshi Yoshihara du Centre d’évaluations stratégiques et budgétaires du CSBA, « le Japon se trouve menacé par une puissance maritime navale voisine comme ce fut le cas au XXe siècle avec la Russie impériale » ([20]). Sur le terrain, il est évident que toute tentation forte de la Chine de conflit militaire avec Taïwan systématiquement élargirait la zone à l’espace aérien du Japon ainsi qu’aux eaux territoriales de l’archipel des Ryukus. À cet égard, le Japon dispose d’un avantage géographique non négligeable sur ces nœuds géographiques maritimes pour prendre la mesure de la marine chinoise si celle-ci s’aventurait dans le périmètre des îles du sud-ouest qui entravent le passage de la mer Jaune et de la mer de Chine orientale en direction du Pacifique. Il est pareillement indispensable de prendre en considération les formes d’engagement que joueraient les forces américaines positionnées sur l’île d’Okinawa, obligatoirement impliquées dans un recours à la force et principale force de la coalition des alliés engagés dans ces opérations militaires en attente des renforts logistiques et opérationnels.

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La zone Indo Pacifique reste la région du monde la plus sujette aux catastrophes au siècle prochain. Elle contient 75 pour cent des volcans de la terre, 90 pour cent des tremblements de terre se produisent dans le « cercle de feu » entourant le bassin du Pacifique ([21]). Ajoutons-y sur le plan de la géopolitique, son épicentre « Taïwan ». La question du nucléaire prend ici le relais de la dissuasion. Il est aisé d’observer que sur et autour des théâtres de Taïwan gravitent plusieurs zones qui sont tout autant des seuils, où il flotte une atmosphère qui laisse planer un risque d’escalade, d’erreur : Taïwan, la mer de Chine méridionale ou la mer de Chine orientale. Il importe de s’interroger avec angoisse sur les scénarios plausibles d’un conflit conventionnel entre les protagonistes Chine et États-Unis qui se solderait par une « guerre nucléaire limitée » et qui aurait pour champ de bataille l’espace commun aquatique de l’océan. Le sentiment de perte de l’engagement militaire, l’érosion du concept de dissuasion, sont autant de manifestations de ces paradoxes qui amplifient le sentiment d’instabilité sécuritaire et brouillent les perspectives.

À n’en pas douter, les États-Unis sont tenus par le traité de défense et de coopération avec le Japon en vertu de l’article 5, à le défendre usant de l’option nucléaire si ce dernier perdait une guerre conventionnelle. C’est le signe que le recours à l’atome n’est pas révolu et dressons un état des lieux de la situation respective de Taïwan et de Washington ainsi que la réorientation des priorités stratégiques. Aucune surprise stratégique venant de Taïwan au sujet de l’acquisition d’arme nucléaire, bien que ce scénario ait été imaginé dans les années 1970 et 1980, mais ni Washington ni Pékin ne le tolérerait. Armé de ce premier repère appliqué à notre scénario d’aujourd’hui, on peut l’aborder rétrospectivement à partir d’un point culminant que le monde a connu au cours de l’année 1958.

Le va-t-en-guerre des forces communistes de Mao sur fond de tir d’artillerie de l’île de Quemoy, rouvre brusquement la deuxième crise du détroit de Taïwan le 23 août 1958. À partir du printemps 1957, la tension monte et les États-Unis sont tenus de défendre Taïwan avec la question de contrer une attaque extérieure et on pense bien sûr à la Chine. Des missiles de croisière sol-sol Matador, armés d’ogive nucléaire ont été déployés sur l’île. C’est là que la résolution Formose de 1955 signée par le président américain Dwight D. Eisenhower plonge prématurément sur le dilemme d’une crise majeure et de frappe nucléaire tactique sur la ville de Xiamen.Vu comme unique instrument de combat afin de créer une situation de nécessité persuasive et de contraintes dissuasives, l’arme nucléaire sert avant tout de jouer sur le sentiment d’insécurité et de croyance qui en résulte dans le camp adverse.

Précis, documenté, le mémoire déclassifié de Daniel Ellsberg plus connu comme les « papiers du Pentagone » ([22]), recense cet antécédent historique des planifications des moyens de l’US force du Pacifique de disposer du pouvoir d’engager le feu nucléaire sur une ville du continent chinois, si les circonstances le commandent, malgré les probables représailles massives de l’arsenal soviétique. Le rapport, souligne, la radicalité de l’état-major américain a préféré ce risque que l’impact stratégique de perdre Taïwan. Soucieux à la fois de faire reculer son état-major et de ne pas déclencher un conflit nucléaire, Eisenhower prit soin de faire preuve de patience stratégique, un pari gagnant après six semaines poussées par le vent de bombardements intensifs qui a vu les États-Unis triompher sans perdre la face en Asie. Pour finir, et sans quitter, ce scénario, mais en le prolongeant, l’attitude fidèle d’Eisenhower à Winston Churchill que nous citons « if you are going through hell, keep going ». Question d’une réaction future à une action militaire chinoise à Taïwan qui ressemblerait comme une sœur à celle de 1958, ce qui est peut-être recherché dans un effort de dissuasion, mais au détriment de la non-prolifération.

Vues personnelles

La raison pour laquelle la non-prolifération nucléaire occupe naturellement nos esprits, est le constat que cette stratégie de dissuasion a constitué au contraire une incitation pour des États à s’exonérer de cette architecture de sécurité mondiale. Depuis plus d’un demi-siècle et plus particulièrement en Asie, les États-Unis jouaient ce rôle de vecteur de dissuasion clé dans leur système d’alliance, reléguant autant au plan opérationnel que politique toutes velléités nucléaires militaires de la part des puissances alliées. En fait, cette non-appétence pour les questions d’armement se nourrissait du raisonnement simple, mais efficace de dire que pays « A » accepte de défendre pays « B » même si ce dernier n’est pas attaqué ! Dans un contexte où les États-Unis représentaient « A », en un coup les doutes des garanties de sécurité américaines étaient levés. Mais ce système d’alliance historique se liait à leur politique de désarmement nucléaire et de non-prolifération, constituant ainsi la pierre angulaire des intérêts sécuritaires des États-Unis. Autrement dit, les initiatives américaines s’inscrivaient en parallèle du débat stratégique d’adaptation de cette politique aux changements géostratégiques. Les conséquences des signaux envoyés aux alliés ont pu fissurer la crédibilité historique de la composante nucléaire militaire des États-Unis auprès de ces derniers. Ce qui fit dire à John Fitzgerald Kennedy au début des années 1960, « ses craintes qu’une guerre éclate en voyant une prolifération nucléaire horizontale de nouveaux acteurs étatiques » ([23]), gageons qu’il pensait moins à l’Iran ou la Corée du Nord qu’au Japon voire à l’Allemagne. L’arrivée àmaturité du premier test nucléaire de la Corée du Nord en 1993, rendant la survie du régime garantie, inéluctablement a accru les risques de prolifération, provenant moins de la faiblesse intrinsèque des traités et instruments de régulation de l’ère post-guerre froide que de puissances qui ne respectent pas les règles du droit international.

Aujourd’hui, une nouvelle ère est arrivée, car toute attaque de Taïwan au-delà des dangers pour la dissuasion fondamentale et le statu quo régional, changerait la donne de la posture stratégique du Japon d’abord, en faisant de lui, une puissance nucléaire à capacité de riposte qualitative sans exception. Autre conséquence stratégique de la fin du maintien du statu quo pour le Japon, serait successivement la remise en cause et l’abandon de l’article 9 de la Constitution du Japon et la course au missile intercontinental à des fins de dissuasion conventionnelle, au grand dam du plafonnement du 1% du produit intérieur brut (PIB) dédié au budget de la défense compte tenu de l’évidence stratégique. L’engagement militaire du Japon se trouve à un carrefour historique sur le droit de défense collective, car tout cela va conduire àdavantage d’exercices militaires bilatéraux et multilatéraux entre le Japon, les États-Unis et leurs alliés. Cette approche qui se noue de coopération militaro-politique, ne sera pas que de moyens, mais aussi du leadership politique face aux situations imprévisibles que constituent la situation autour de Taïwan, le différend des îles Senkaku afin de compliquer le jeu de la Chine. À ces débats exclusivement militaires qui semblent à mille lieues des préoccupations concrètes des citoyens japonais, lesquels bien qu’ayant tiré les leçons du passé, ne sont pas prêts selon l’expression à « refaire la dernière guerre ».

Autre décryptage, l’agenda de puissance de la Chine dont l’enjeu dépasse le seul cadre de Taïwan. Sous l’impulsion des Américains se joue une partie diplomatico stratégique de connecter les démocraties de l’ordre international dans un aggiornamento réaliste, face à la rivalité sino-américaine. En ligne de mire: focaliser les efforts américains face à la montée en puissance de la Chine et sa capacité à affecter les intérêts de sécurité nationale des États-Unis dans la région. C’est cette idée qui a fait chemin que le moyen de dissuasion le plus efficace reste une ouverture bienveillante auprès des pays de la région Indo Pacifique, à l’instar de ses alliés, dans leur prise de conscience de renforcer leur capacité de défense. Un autre élément conduit à ce que la Chine soit amenée à se poser la question « et si », en particulier à éviter tout excès de confiance sur Taïwan. Rappelons ici suivant cette idée, deux faits bien identifiés en cours de débat et qui méritent quelque attention. Conformément aux lignes directrices du communiqué des « six assurances » de juillet 1982 sur les ventes d’armes entre les États-Unis et Taïwan. Jugeant le document de la revue quadriennale de la défense 2021 de Taïwan, en pratique se dessine, le projet d’acquisition par Taïwan d’un système de missile de croisière lancé par air afin de développer le rôle des capacités asymétriques de l’île ([24]). La récente visite de la sénatrice Tammy Duckworth à Taipei début juin 2021, a servi de tête de pont pour le Pentagone avec une partie délicate: la connexion entre l’accord d’armement et les négociations autour d’un accord commercial cadre de libre-échange ([25]). L’échéance, marquée par un référendum sur l’autorisation des importations de porc américain, décriées par une grande partie de la population et du Parti pro-chinois (Kuomintang), représente tout à la fois une rampe de lancement pour le projet Lockheed Martin Corp’s AGM-158, d’un test de la volonté américaine à ne pas abandonner Taïwan ([26]), de l’affirmation de Taïwan à faire les bons choix pour accroître son budget de défense, car Taïwan doit disposer des moyens de se défendre. Les États-Unis restent son fournisseur d’armes numéro un, citons Nietzsche : « tout esprit profond avance masqué ».

Le second fait est, qu’on le veuille ou non, la mission essentielle du leadership américain depuis aussi longtemps que 1945, ce que nomment les stratèges de Washington « the glue of the system », la mise en place d’une grande alliance des démocraties et de son code de conduite, de l’accord frontal afin de construire un cantonnement diplomatique de la Chine. Bien que des incertitudes demeurent quant à la solidité du front entre alliés européens et asiatiques, deux piliers d’une même stratégie. Cet engagement à bloquer l’expansionnisme chinois atteste que dans ce monde de rivalité et de compétition, une chose sur laquelle Washington peut compter par rapport à Pékin, c’est les alliés. Ainsi les pays membres du G7 réuni à Carbis Bay dans l’ouest de l’Angleterre du 11 au 13 juin 2021, ont fait front face à la Chine sur la question du statu quo de Taïwan dans leur communiqué de presse commun ([27]). À bien observer la liste des pays invités par l’Angleterre au G7, la photographie d’un réalignement idéologique du vieux monde se précise avec l’Inde, l’Australie et la Corée du Sud au chevet d’une alliance antichinoise au XXIe siècle.

Quant à la Chine, elle gère son expression diplomatique de « vive inquiétude », pour son leadership diplomatique depuis que son image sur le plan international se retrouve à la peine et marque le pas à nourrir son récit historique officiel. Pourtant l’équation de départ était simple : ne pas aller à l’encontre d’un principe de sa diplomatie traditionnelle que rappelle le diplomate chevronné diplomate chinois Yuan Nansheng : « l’histoire a prouvé qu’il ne faut pas antagoniser plusieurs pays en même temps ». La décision de retrait de la Lituanie du mécanisme de coopération entre la Chine et les pays de la région baltique (Peco) en mai 2021 était le dernier grain de sable sur les questions d’images et d’idéologie de la Chine. La période est encore l’occasion à un autre rappel abordant de front cette question idéologique, celui de Deng Xiaoping de « l’importance de cacher nos capacités et d’attendre notre heure ». Pour l’heure, cet ordre régional se construit autour du concept de l’Indo Pacifique. Anticipons que la Chine parvienne à creuser une brèche dans la ligne dite des neuf traits, considérée comme sa frontière maritime naturelle, elle modifierait en profondeur le caractère sécuritaire de la région. En s’octroyant le gain territorial de Taïwan, elle sonnerait le crépuscule de l’architecture de l’Indo Pacifique libre et ouvert. Sur cette base, elle pourrait élargir sa frontière d’intérêts sur une grande domination du Pacifique. Accomplir le « rêve chinois » avec patience et courage, concept décrit par Xi Jinping en 2012 comme une éthique nationale et un ensemble d’idéaux pour la nation chinoise. Son opinion avait de bonnes raisons. Qui vivra verra.

À lire également

Taïwan, une autre Chine ?

 

[1] Propos du président turc, Recep Tayyip Erdogan du 2 juin 2021, US risks ‘losing a friend’, Erdogan warns before meeting Biden (alaraby.co.uk).

[2] Lien de la déclaration : Acheson speech 1950 (viu.ca) ; et l’ouvrage de Douglas MacArthur, General of the Army, Reminiscences, McGraw-Hill Book Company, New York, 1964, first edition, p.322, disponible en ligne : Reminiscences : MacArthur, Douglas, 1880-1964 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive.

[3] Article du New York Times, « US would defense Taiwan, Bush says », 26 avril 2001, voir le lien : U.S. WOULD DEFEND TAIWAN, BUSH SAYS – The New York Times (nytimes.com).

[4] Les œuvres complètes de l’Archévêque de Fénelon, Paris, Édition Chez Gaulthier frères et cie, 1830, Vol. III, pp. 349-50.

[5] John King Fairbank, Les États-Unis et la Chine, Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1ère édition, 1948, nouvelle édition disponible en ligne : The United States and China (Fourth Edition) : Fairbank, John King, 1907-1991 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive.

[6] Maxime tirée des œuvres du Cardinal de Retz.

[7] Transcription de la déclaration lors du comité sénatorial des services armés, Phil Davidson, 12 février 2019, Washington, disponible en ligne : Microsoft Word – 83966 (senate.gov).

[8] Lien de la webinaire organisée dans le cadre de la conférence Oksenberg 2021, 26 mai 2021, Kurt M. Campbell et Laura Rosenberger sur les relations États-Unis et Chine, ウェビナー登録 – Zoom ; FSI | Shorenstein APARC – White House Top Asia Policy Officials Discuss U.S. China Strategy at APARC’s Oksenberg Conference (stanford.edu).

[9] China’ Maritime Gray Zone Operations, Andrew S. Erickson et Ryan D. Martison, Naval Institute Press, Maryland, 2019, article dans le chapitre 2 sur les dynamiques de cette stratégie, Peter A. Dutton, « Conceptualizing China’s Maritime Gray zone Operations ».

[10] Propos tenus lors d’un conseil de sécurité nationale en 1954, transcription de la réunion dans le livre Dwight D. Eisenhower, The Eisenhower Diairies, edition Robert H Ferrell, New York : WW Norton, 1981, p.190. Disponible en ligne : The Eisenhower diaries : Eisenhower, Dwight D. (Dwight David), 1890-1969 : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive.

[11] Dr Andrew Erickson, China’s Near Seas Combat capabilities, China Maritime Studies, N.11, US Naval War College, février 2014, rapport disponible en ligne : Chinas-Near-Seas-Combat-Capabilities_CMS11_201402.pdf (andrewerickson.com).

[12] Memorandum on Formosa, by General of the Army Douglas MacArthur, Commander in Chief, Far East, and Supreme Commander, Allied Powers, Japan, Foreign Relations of the United States, 14 juin 1950, p.4, disponible en ligne : Foreign Relations of the United States, 1950, Korea, Volume VII – Office of the Historian.

[13] Idem, p.6.

[14] Article de Colin S. Gray, Perspectives on Strategy, Londres : Oxford University Press, 2013, p. 122.

[15] Annual Rapport of the Defense Intelligence Agency, China Military Power Modernizing a Force to Fight and Win, 2019, disponible en ligne : China_Military_Power_FINAL_5MB_20190103.pdf.

[16] FY2022_Press_Release.pdf (defense.gov).

[17] « KM ».

[18] Livre Blanc de la défense de la Chine, juillet 2019, rapport disponible en ligne (version anglaise) : Full Text: China’s National Defense in the New Era (www.gov.cn).

[19] Sur cette notion de légitimité du nationalisme en Chine, voir le livre de Zheng Wang, Never Forget national Humiliation : Historical Memory in Chinese Politics and Foreign Relations, New York : Columbia University Press, 2012.

[20] Toshi Yoshihara, « Dragon against the Sun », CSBA, 2020, p.38 et p.47 sur la perception japonaise de la marine chinoise. Rapport disponible en ligne: CSBA8211_(Dragon_against_the_Sun_Report)_FINAL.pdf (csbaonline.org).

[21] Le terme correct est l’anneau de feu et pour une visualisation de la zone du Pacifique, voir le lien en ligne : Cercle de feu du Pacifique: qu’est-ce que c’est et quelle est son importance | Météorologie de réseau (meteorologiaenred.com).

[22]Daniel Ellsberg, The Pentagon Papers, The Defense Department History of the United States decisionmaking on Vietnam, The Senator Gravel edition, Volume 1, July 1971, autres sources disponibles en ligne : https://www.ellsberg.net/.

[23] Voir le site de la fondation du musée des archives de JFK, texte « China (CPR) : Nuclear Explosion, 1961-1963 », disponible en ligne : A Rising China Needs a New National Story – WSJ.

 

[24] Voir pages 26 et 27 du rapport de mars 2021 et disponible en ligne : 10891_英文版0325.pdf (ustaiwandefense.com). 2021 Quadrennial Defense Review, Ministry of National Defense, First edition, Taipei city, March 2021.

[25] Audition parlementaire d’Anthony Blinken, le 7 juin 2021.

[26] « America won’t abandon Taiwan », termes employés par la sénatrice Tammy Duckworth lors de sa visite bipartisane avec la présidente, Tsai Ing-wen, le 6 juin 2021 à Taipei. Taiwan Presidential Office : President Tsai meets US Senate delegation.

[27] Communiqué conjoint du G7 de Carbis Bay du 13 juin 2021, disponible en ligne : CARBIS BAY G7 SUMMIT COMMUNIQUÉ | The White House.

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Photo : Taïwan : une équation à plusieurs inconnues 1/2. Crédit photo : Unsplash

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À propos de l’auteur
Hervé Couraye

Hervé Couraye

Hervé Couraye est docteur en science politique. Il vit et travaille au Japon depuis de nombreuses années.
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