Taïwan et Corée, une gestion exemplaire du coronavirus

16 mai 2020

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Le 28 février, à Séoul (Corée du Sud), des agents en train de désinfecter une station de métro (c) Sipa SIPAUSA30204972_000002

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Taïwan et Corée, une gestion exemplaire du coronavirus

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Taïwan et la Corée du Sud ont eu une politique sanitaire complètement différente des pays d’Europe : pas de confinement, des tests massifs, des masques, un suivi des patients. En trois mots : anticipation, réactivité et transparence. Résultat : ils ont eu beaucoup moins de morts et ils n’ont pas bloqué leur économie. Leur gestion exemplaire leur permet de s’en tirer sans trop de dommage.

Note de la rédaction : les chiffres des cas et des décès ont été arrêtés au 31 mars. Si ceux-ci ont augmenté depuis, cela ne modifie pas la gestion de la crise par ces deux États.

« Notre secret ? Tester. Tout le monde. » Kim S.J. est épuisée mais sourit, fière de raconter le succès de son équipe. Depuis plus de deux mois, cette infirmière sud-coréenne de 34 ans se bat dans un hôpital de Daegu contre le Covid-19. C’est dans cette ville, la quatrième du pays, que l’épidémie de coronavirus a explosé mi-février en Corée du Sud, après qu’un culte chrétien avec des liens étroits avec Wuhan eut favorisé la propagation du virus en organisant des services religieux. « Nous venions de recevoir l’un des tout premiers groupes d’adeptes de ce culte, le Shincheonji. Certains présentaient des symptômes. D’autres non. On les a tous testés. Parmi ceux qui présentaient des symptômes, près de 87,5% ont testé positif au virus. L’un de nos médecins a alors décidé de tester aussi les autres, les asymptomatiques : 74,4% étaient porteurs. Ce jour-là, nous avons compris que face à ce danger invisible, tester et identifier devaient être au cœur de notre combat ». Pour le Dr Min Bok-gi, l’un des médecins coordinateurs de l’équipe de Daegu, « sans cette décision rapide, nous serions aujourd’hui dans la même situation que les États-Unis ou l’Italie » Les États Unis ? Le nombre de morts s’y compte par milliers alors que début avril l’épidémie ne fait qu’y commencer. En France, la barre des 5000 morts a été dépassée, l’Italie comme l’Espagne avec plus de 10000 morts espèrent avoir atteint le pic de l’épidémie. Deux mois et demi après le premier cas recensé le 20 janvier, la Corée du Sud, elle, ne fait état que de 174 morts et 10 000 cas de contamination. Et Taiwan intrigue avec ses 348 cas et … 5 décès seulement

Et pourtant, alors que plus de la moitié de la planète est confinée, ni les 23 millions de Taiwanais, ni les 51 millions de Sud-Coréens ne sont confinés. À Séoul comme à Taipei, la vie continue, au ralenti, mais les magasins sont ouverts, les transports en commun fonctionnent et l’économie ne s’est pas arrêtée. La clé de cette réussite tient avant tout à une extrême rapidité de réaction face au virus, grâce à une prise de conscience remontant aux épidémies qui ont frappé l’Asie : Taiwan a tiré les leçons de la traumatisante crise du SRAS en 2003 qui avait fait 73 morts sur place et la Corée n’a pas oublié que sa gestion chaotique du MERS (Middle East Respiratory Syndrom) en 2015 avait fait 38 morts.

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À trop attendre pour révéler à sa population l’existence dès novembre de cas de pneumonie virale inconnue dans la province du Hubei, la Chine murée dans un coupable déni, a permis au virus de se propager dans tout le pays ne lui laissant d’autre alternative que le confinement.

En revanche, Taiwan que sa proximité économique et géographique avec le continent rend particulièrement vulnérable n’a pas tardé à évaluer la gravité du danger. Plus d’un million et demi de Taiwanais travaillent en Chine, notamment à Wuhan, et dès le mois de décembre, les autorités ont eu vent d’une pneumonie infectieuse étrange et meurtrière. Nul doute que Chen Chien-jen, actuel vice-président de Taiwan a joué un rôle décisif dans la prise de conscience de l’urgence. En effet cet épidémiologiste formé à l’université John Hopkins aux États-Unis était directeur général de la santé pendant la crise du SRAS. Face à ces signes annonciateurs d’un tsunami sanitaire ravageur, les autorités ont donc immédiatement réagi, avertissant même -en vain- l’OMS d’une possibilité de transmission humaine du virus.

Le 31 décembre, soit 21 jours avant le premier cas taiwanais, alors que la Chine dévoilait tout juste la situation catastrophique de Wuhan à l’OMS, le Centre taiwanais de Commandement Central des Épidémies mettait déjà en place des mesures drastiques. Contrôle et quarantaine des passagers à l’aéroport, annulation des avions en provenance de Chine, puis une semaine plus tard, création d’une base de données intégrée et fonctionnelle regroupant divers services : immigration et douanes (afin de retracer l’historique des voyages de chaque individu) et organismes de santé (afin de repérer les malades ayant consulté pour des problèmes respiratoires). Dès la fin janvier, une quarantaine rigoureuse accompagnée d’une surveillance intrusive était mise en place pour les cas suspects.

En Corée, même réaction rapide : avant même que le virus ne s’installe, la Corée du Sud ferme ses églises, ses lieux de spectacle, désinfecte les rues et place son système de santé en alerte. Et si la réponse coréenne est si vigoureuse, c’est aussi que par un extraordinaire hasard des calendriers, le 17 décembre, les autorités sanitaires avaient procédé à une répétition grandeur nature de la réponse à une pandémie sur le territoire. Le synopsis élaboré alors par le centre de Contrôle Coréen des Maladies et de Prévention (KCDC) qui aujourd’hui gère la crise, a des allures de déjà vu : « une famille revient de Chine avec une pneumonie grave d’origine inconnue. Il faut développer un algorithme global de lutte contre une épidémie permettant d’identifier le pathogène et de mettre au point des tests ».

Quand le virus frappe à Daegu en février, les autorités sanitaires du pays sont donc prêtes. Toutefois alors que le silence de la quarantaine a déjà englouti Wuhan, les deux millions et demi d’habitants de Daegu ne seront pas confinés. Pas question en effet pour cette jeune démocratie sud-coréenne de risquer de raviver les cicatrices douloureuses des dictatures du passé. Accompagnée d’une communication simple, transparente et systématique, la stratégie coréenne s’appuie sur un dépistage massif suivi par le traçage scrupuleux des personnes infectées grâce aux possibilités offertes par les technologies numériques et le big data.

Dès le 16 janvier, quatre jours avant même le premier cas confirmé sur le sol coréen, un laboratoire d’innovation moléculaire, Seegene, mettait au point un premier test homologué dans la foulée sans attendre les dix-huit mois réglementaires. S’appuyant sur l’extrême réactivité de son industrie bio-technologique, un réseau étendu de laboratoires et l’installation de plus de 600 points relais de dépistage à travers le pays, la Corée s’est donné la capacité de tester une moyenne de 20 000 patients quotidiennement. Deux mois après le début de la pandémie, 400 000 personnes ont été dépistées. Et aujourd’hui, la société SDBiosensor annonce viser une production d’1 million de tests dès le mois de mai.

La procédure est rapide et pratique : des stands aux allures de cabines téléphoniques ont été installés dans tout le pays. Là, chacun peut être testé sans le moindre contact avec le personnel soignant qui depuis l’intérieur de la cabine effectue les prélèvements en passant les bras à travers des ouvertures. On peut aussi se rendre dans l’un des multiples drive-thru du pays et être testé sans même descendre de sa voiture. Dans tous les cas, il n’y a pas d’attente, de regroupement de malades ni d’énervement créateur d’angoisses grâce à des applications gérant le flux des patients. Le résultat est envoyé par texto dans la journée.

Après le dépistage vient le tri, une étape capitale permettant de gérer les lits dans les hôpitaux. Les patients sont classés en quatre catégories : seuls les plus âgés et les plus malades sont hospitalisés. Les plus jeunes sont placés sous surveillance dans des dortoirs ou des immeubles mis à disposition par les puissants conglomérats économiques du pays, comme Samsung ou Hyundai. Les autres, malades bénins et porteurs asymptomatiques, restent à la maison en isolement. Pas d’attestation pour sortir, juste un appel à l’auto-confinement, au port du masque et à une hygiène scrupuleuse.

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Contrairement aux sociétés occidentales, le port du masque n’a rien d’exceptionnel : on porte un masque pour éviter d’infecter son voisin quand on est malade, on le porte aussi pour se protéger de la pollution ou des pollens au printemps. Dans le cas du Covid-19, le principe est simple : même imparfaits, les masques permettent de réduire la contamination par les porteurs asymptomatiques.

Taiwan comme la Corée ont sur ce plan une même optique parfaitement résumée dans cette lettre que Florence de Changy, correspondante à Hong Kong pour le quotidien Le Monde, adresse fin mars à Martin Hirsch, Directeur de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en évoquant l’exemple de l’ancienne colonie britannique – 845 cas, 4 morts et une gestion de crise similaire à celle de Taiwan et de la Corée : « Lorsqu’une population dans son entière totalité adopte le port du masque (…) la propagation du virus peut être quasiment arrêtée ».

À Taiwan, craignant des achats de panique, le gouvernement a nationalisé la distribution, interdit les exportations. En Corée, afin d’éviter une rupture d’approvisionnement, un outil digital national permettant de trouver les magasins suffisamment approvisionnés a été mis au point. Comme à Taiwan, les masques y sont rationnés et depuis le 1 avril, des masques en tissu, lavables, avec des filtres interchangeables, sont distribués dans chaque foyer.

En cas de test positif, une implacable mécanique de prise en charge et de surveillance se déclenche. Il ne s’écoule pas deux heures avant que le téléphone du patient infecté ne sonne. Ce premier appel a pour but de remonter le fil de l’enquête et de reconstituer avec précision l’emploi du temps, les trajets et les rencontres du malade au cours des deux semaines ayant précédé l’infection. Cette étape cruciale aussi importante que les tests est réalisée grâce aux techniques de traçage numérique. Les 860 000 émetteurs récepteurs 4G et 5G du pays autorisent une traçabilité parfaite et pointue.

Ces moyens exceptionnels sont strictement encadrés par la loi : les informations des patients sont transmises par les opérateurs téléphoniques au KCDC puis analysées par une plate-forme gouvernementale regroupant une trentaine d’organisations publiques et privées (pharmacies, compagnies bancaires, opérateurs téléphoniques). Une fois les données réunies, triées et rendues anonymes, elles sont transmises en temps réel à des applications. Les systèmes d’alerte par notification instantanée sur les téléphones portables permettent de suivre en direct les personnes à risque et de s’en éloigner pour se protéger.

Quand une personne est atteinte du coronavirus, ses trajets et ses informations personnelles sont donc rendues publiques. Dans les premiers temps, l’anonymat n’étant pas suffisamment garanti, les plaintes ont afflué. Aujourd’hui, seules les informations strictement nécessaires sont fournies, sexe, âge et géolocalisation, sans qu’il soit possible d’identifier les malades. Pas de réticence en Corée à l’utilisation de ces outils technologiques pour lutter contre l’épidémie : les Coréens bien que fortement attachés aux idéaux de démocratie et de liberté voient avec pragmatisme ces méthodes intrusives certes, mais efficaces et temporaires. Une fois la crise terminée, les données aujourd’hui stockées sur un serveur extérieur à l’État devraient être détruites.

Dans la foulée de ce premier contact, le bureau de santé du district livre un colis : des masques, un thermomètre, du gel hydro alcoolique et un sac rouge pour jeter les masques contaminés. Un deuxième coup de fil offre les premières courses d’urgence (alimentation, hygiène) pour une valeur d’environ 60 euros, sur un catalogue en ligne. Pour la suite de la quarantaine, les applications (Coupang, SSG) permettent de tout acheter en ligne et d’être livré à domicile. Dès lors l’auto-confinement peut commencer, sous contrôle permanent grâce à la géolocalisation et deux appels quotidiens qui permettent de vérifier son observation.

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Dernier point enfin : tout ce maillage sanitaire serré est gratuit. Comme les soins d’ailleurs. Les modalités de cette « aide aux coûts du traitement du syndrome de la maladie infectieuse due au Covid-19 » ont été mis en place dès le 29 janvier par le ministère de la Santé. Aux yeux des autorités, cette prise en charge intégrale reviendra en effet in fine moins cher qu’une paralysie totale de l’économie.

Alors que les beaux jours approchent et que l’épicentre de la pandémie semble s’être déplacé vers l’Europe et les États Unis, la Corée et Taiwan ne baissent pas la garde, redoutant une nouvelle vague de contamination. Les cas importés se sont récemment multipliés à Taiwan et en Corée, de nouveaux clusters ont été découverts. Pour Om Jung-sik, membre du Comité scientifique de conseil sanitaire auprès du gouvernement coréen, « La pandémie, malgré des phases de répit, pourrait durer au moins jusqu’à novembre, voire plus longtemps encore. Il faut prévoir en parallèle une stratégie de survie économique, sociale et éducative sur le long terme.  Nous devons tous nous préparer dès maintenant à cohabiter avec le Covid-19. » Une stratégie d’anticipation, basée sur la responsabilisation de chacun. La discipline et le sens civique, alliés à une conscience aiguë de l’intérêt du groupe, sont un trait caractéristique de la société coréenne imprégnée de confucianisme. Mais se limiter à cette explication culturelle, si éclairante soit-elle, serait occulter ce qui fait la vraie force de la Corée et de Taiwan. Car si aujourd’hui ces deux démocraties parviennent à limiter sur leur sol la propagation du virus, c’est grâce à une gestion gouvernementale exemplaire de la crise qui tient en trois mots : anticipation, réactivité et transparence.

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À propos de l’auteur
Juliette Morillot

Juliette Morillot

Juliette Morillot est rédactrice en chef adjointe d’Asialyst, Juliette Morillot travaille et voyage en Asie depuis plusieurs décennies. Elle a publié de nombreux ouvrages dont, avec Dorian Malovic, La Corée du Nord en 100 questions (Tallandier, 2016), prix du meilleur livre géopolitique Axyntis/Conflits 2018.
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