<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le spectre de l’inflation

4 septembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : A "sale pending" sign is posted outside a single family home in a residential neighborhood, Wednesday, July 14, 2021, in Derry, N.H. Mortgage rates were mixed this week. The benchmark 30-year loan fell for the third straight week amid lingering concerns over the recent surge in inflation. (AP Photo/Charles Krupa)/NYBZ510/21196608729891//2107151939

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Le spectre de l’inflation

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Chronique économie – L’inflation est une menace réelle pour les pays d’Europe. L’instabilité monétaire fragilise la reprise économique.

L’ouverture de la séquence post-Covid-19, matérialisée par l’accélération de la campagne de vaccination et l’amélioration de la situation sanitaire, est aussi marquée par les interrogations des économistes autour d’un éventuel retour de l’inflation. Deux camps s’opposent : d’après les keynésiens emmenés par Joseph E. Stiglitz, l’inflation ne serait qu’un chiffon rouge agité par les libéraux pour contrecarrer les plans de relance gouvernementaux et le soutien à la demande[1]. À leur crédit, force est de reconnaître que, depuis 2008 et la crise des subprimes, ni les épisodes de création monétaire (ou quantitative easing) engagés par les banques centrales, ni les plans de relance budgétaire déployés par les États ne se sont traduits par une résurgence de l’inflation au-delà des objectifs. Encore en 2020, les prix à la consommation sont ainsi restés à l’étiage : + 0,3 % dans la zone euro et + 1,2 % aux États-Unis. Voilà trente ans qu’il en est ainsi.

Le camp libéral et les économistes « de l’offre » ont-ils tort, pour autant, de tirer la sonnette d’alarme[2]? Un faisceau d’indices concordants laisse à penser que ce qui était jusqu’à présent impossible devient redoutable aujourd’hui. Un peu partout dans le monde développé, la montée des salaires semble s’accélérer de nouveau. Les prix des matières premières flambent (jusqu’à + 91 % en un an pour ce qui est, par exemple, des métaux ferreux), de même que celui du baril de pétrole (jamais atteinte depuis 2014, la barre des 100 dollars est d’ores et déjà dans le viseur). Les masses financières publiques gargantuesques (1 900 milliards de dollars côté américain, 750 milliards d’euros côté européen) outrepassent les pertes de production privée induites par la mise à l’arrêt de l’économie. Dans le même temps, l’épargne accumulée pendant les confinements – elle aussi considérable (plus de 140 milliards d’euros ont ainsi été thésaurisés par les Français) – se met d’elle-même à irriguer les circuits de l’économie, où elle vient alors s’ajouter au revenu courant des consommateurs. Or, il est à craindre qu’un tel surplus de demandes ne trouve face à elle une offre correspondante équivalente – s’esquisse là le scénario de la surchauffe, autrement dit le terreau de l’inflation, que semble d’ailleurs déjà anticiper les marchés financiers aux États-Unis dans le sillage du plan Biden.

Si l’hypothèse d’un retour de l’inflation est à prendre au sérieux, c’est aussi et surtout parce qu’elle pourrait être envisagée – au moins temporairement – par les banquiers centraux et les gouvernements comme une alternative à l’impôt pour diminuer facialement et artificiellement la valeur des dettes publiques. L’inflation a ceci de profitable pour les États laxistes comme l’est celui de la France qu’elle augmente les prix et les recettes fiscales en même temps qu’elle permet de rembourser la dette dans une monnaie partiellement érodée de son pouvoir d’achat, au détriment des épargnants comme des consommateurs. L’accroissement incontrôlé des dettes publiques généré par la gestion du Covid-19 pourrait donc bien céder la place, en sortie de crise, à une monétisation inédite de celles-ci. Préconisée par les disciples de John Maynard Keynes, cette stratégie n’est pas sans coûts pour les agents économiques (augmentation des coûts de transactions et des ajustements, effets redistributifs des prêteurs vers les emprunteurs, effets nuisibles in fine sur le financement des entreprises et la croissance économique, etc.). Pour financer la dette publique, mieux vaudrait engager une réforme de la fiscalité favorable à la production et dégager des excédents budgétaires à travers une refonte du périmètre d’intervention de l’État que de miser sur un pilotage de l’inflation de plus en plus hasardeux…

A lire aussi : Facture Covid : l’économie… et le reste

[1] J. E. Stiglitz, « Arrêtons de paniquer au sujet de l’inflation ! », Les Échos, 17 juin 2021.

[2] Voy., par exemple, V. Levy-Garboua et G. Maarek, « Le retour de l’inflation », Commentaire, no 174, p. 313-317.

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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