Siméon II de Bulgarie : « Ayant été un réfugié, je sais ce que c’est…» Entretien

23 février 2016

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Siméon II de Bulgarie : « Ayant été un réfugié, je sais ce que c’est…» Entretien

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Roi de Bulgarie de 1943 à 1946, Premier ministre de son pays de 2001 à 2004, Siméon II de Bulgarie, 78 ans, nous a reçu dans sa résidence de Vrana, dans la banlieue de Sofia à l’occasion de la publication de son autobiographie (Un destin singulier, Flammarion). Propos recueillis par Jérôme Besnard.[/colored_box]

Roi de jure et ancien Premier ministre, comment définiriez vous la situation actuelle de Sa Majesté en Bulgarie ?

Avec ce qui pourrait apparaître comme une dose de cynisme, qui est en fait une dose de réalisme, je dirai qu’il faut analyser tout cela comme des étapes de la vie. Maintenant je reviens à mon rôle d’origine. Pour beaucoup ici, je suis le « Vieux roi ». J’ai de l’expérience, des relations utiles pour le pays. Je ne regrette pas d’âtre descendu dans l’arène politique. Comme me disait mon ami le romancier Maurice Druon : « Il est merveilleux pour un souverain d’être légitimé par le vote populaire. »

Vrana, résidence de Siméon II de Bulgarie

Vrana, résidence de Siméon II de Bulgarie

Avez-vous définitivement renoncé à l’action politique ?

Oui, car dans la vie il faut tenir compte de l’horloge biologique. Ayant été le chef de l’exécutif, comme Premier ministre, je ne peux espérer mieux et je n’ai pas grandi avec l’ambition de faire carrière dans la machine de l’État.

Je suis né dans une position qui m’oblige à rester autant que possible en dehors de la mêlée.

Qu’est devenu le Mouvement National Siméon II et qui incarne aujourd’hui le centre droit en Bulgarie ?

C’était un rassemblement centriste et libéral. Or les libéraux sont périodiquement minoritaires. Pour autant, une jeune et frêle démocratie comme la nôtre a besoin d’un centre, d’être gouverné au juste milieu. Il y avait déjà eu des gouvernements libéraux du temps de mon grand-père, le roi Ferdinand. Ils n’étaient ni populistes ni de grandes envergures mais ce côté libéral est très sain pour modérer la chose politique. Le Mouvement est aujourd’hui hors jeu mais les idées sont là.

Vous avez fait entrer votre pays dans l’OTAN et dans l’Union européenne. Quel bilan en tirez-vous ?

Nous avions une très bonne équipe. C’était un chemin balisé au-delà de nos propres souhaits. Après la dissolution du Pacte de Varsovie, l’entrée dans l’OTAN s’était imposée à mes prédécesseurs. Mais l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, elle, était mon ambition. C’était plus qu’essentiel que la Bulgarie en fasse partie. À cause de notre histoire, nous avions été isolés du reste de l’Europe pendant les quatre siècles d’occupation ottomane. Pendant deux générations nous avons connu le marxisme. L’entrée dans l’UE, c’était s’assurer que notre place était bien en Europe. Ajoutez y chez moi une réelle admiration pour l’œuvre de l’archiduc Otto de Habsbourg à la tête du mouvement paneuropéen. J’ai donc fait tout ce qui était possible pour intégrer l’UE, en tandem avec la Roumanie. En 2004, il y avait eu neuf entrées et j’avais peur de l’indigestion. Notre entrée n’a donc été que justice !

Notre entrée dans la zone euro est aujourd’hui l’objet de discussions. Je vois les choses tranquillement. Vouloir résoudre nos problèmes de croissance est très sain. L’isolement est chimérique. Nous ne comptons pas économiquement. L’ECU, monnaie d’échange serait-elle préférable à l’Euro ? C’est tout de même alambiqué… Regardez les pays baltes, de petite taille, ils sont un modèle d’adaptation, de réinvention. L’Estonie m’a toujours étonné ! Quant à la croissance de l’UE, je pense que la Serbie et l’Albanie compléteront dans l’avenir cet ensemble.

Votre pays est, avec la Roumanie, l’État le plus à l’Est de l’Union européenne. Par sa situation, il est au contact de la Turquie et de la Russie. Est-ce un avant poste occidental ou un trait d’union ?

J’ai tendance à être un peu provincial : je me demande toujours qu’est ce qui est dans l’intérêt de la Bulgarie. Je crois qu’un bon partenariat avec la Russie et la Turquie est essentiel. Nous avons la chance d’avoir des raisons pour nous entendre. Les Turcs nous ont occupés. La Russie est géographiquement un peu éloignée mais la religion orthodoxe et l’alphabet cyrillique communs sont des atouts importants. J’ai une sympathie toute particulière pour l’Organisation de coopération économique de la mer Noire, qui est une mini-Méditerranée. Cette mer nous unit, c’est un dénominateur commun. La Banque de la mer Noire siège à Salonique et il y a le souvenir des comptoirs helléniques. Nous, Bulgares, sommes sur le chemin physique entre la Turquie et l’Europe. L’autre jour, à l’entrée de Belgrade, j’observais des colonnes de poids lourds à plaques turques. La Turquie est un pays dynamique, il faut savoir dépasser les pesanteurs de l’Histoire et être pragmatique. Nous avons une minorité musulmane importante. Cela fait beaucoup d’atouts. Encore faut-il savoir les optimiser.

Au XXème siècle, l’Allemagne et la Russie ont successivement influencé la Bulgarie. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Ces pays resteront influents tant que la terre tournera ! Il faut savoir composer avec eux et voir nos propres intérêts. Il faut éviter les positions extrêmes, les partis-pris, la philo ou la phobie, cela ne rapporte rien. L’Allemagne est un authentique moteur de l’Europe actuelle. J’ai déjà évoqué l’importance de la Russie, Je prendrais également l’exemple de l’Autriche. Jusqu’en 1989, Vienne était un cul-de-sac. Le Mur est tombé, Vienne s’est retrouvé du jour au lendemain au centre d’une zone de changements et de développement. L’Autriche est devenue un partenaire valable et intéressant. L’Autriche est consciente d’être le siège d’un ancien empire, elle a des vues larges et à long terme ! Il faut profiter de tels facteurs. On a tendance à s’emballer, à passer d’un extrême à l’autre. Il faut plutôt avoir une vision à long terme !

Comment interprétez vous la crise ukrainienne ?

En me référant à des livres d’Histoire, sans se focaliser sur les personnalités de Petro Porochenko ou de Vladimir Poutine. Il existe des constantes géopolitiques : la démographie, la géographie et la religion. L’Histoire est essentielle à tout homme politique, du plus jeune au plus âgé. C’est essentiel et cela rapporte plus. Cette crise ukrainienne, je la considère comme artificielle : c’est un mélange de passions, de jeux et d’influences. Référons nous à l’Histoire et observons ce scénario de façon différente. J’ai été en Ukraine comme Premier ministre, notamment à Odessa où le maire m’a félicité pour le fait que pas un soldat bulgare n’a foulé le sol de l’Ukraine durant la Seconde guerre mondiale alors que nous étions membres de l’Axe. Nous avons 200.000 ukrainiens d’origine bulgare car, en 1820-1821, le tsar Alexandre 1er avait demandé que l’on colonise de chrétiens orthodoxes les territoires abandonnés par les musulmans. Il y a donc des villages serbes, bulgares et russes voire albanais en Ukraine. Cela n’est pas un facteur de division. Quant à la Crimée, c’est autre chose, elle faisait partie de l’Empire russe de Catherine II. Et les origines historiques de la Russie sont en Ukraine ! Il faut en tenir compte avant de s’exciter et de condamner les uns ou louer les autres. La modération est une nécessité.

Que pensez-vous de l’interruption du gazoduc Southstream ?

Mon opinion est très personnelle. Venant du secteur privé, je pense que plus il y a des tubes, mieux c’est pour un pays. Je serai toujours enclin à promouvoir ces conduits. Cela rend un pays indépendant en termes d’approvisionnement énergétique. J’ai donc été personnellement très déçu par cette interruption. Elle a été politisée. Le projet Nabuco, qui passe par la Turquie est valable mais plus complexe à réaliser alors qu’il s’agissait avec Southtream d’une liaison directe Russie-Bulgarie. On est reparti à zéro.

La question de sa minorité turque est-elle encore un problème pour la Bulgarie ?

Il faudrait le demander aux personnes concernées ! Ces turcophones sont là depuis les XVème et XVIème siècles, autant dire depuis toujours. Cela représente 8 % de la population bulgare concentrée dans certaines zones du pays, sans irrédentisme turc. Ils doivent faire avec la paranoïa qui s’exerce envers tout ce qui est musulman. Nous avons aussi des Bulgares ethniques convertis de vieille date à l’islam, de même que des Roms. L’islam n’est pas ethnique. Je pense donc qu’il est dangereux de jouer avec cette peur qui peut exclure une partie de notre population. Où en étaient les chrétiens au XVIème siècle ? Ils se déchiraient entre catholiques et protestants plutôt que d’aider les orthodoxes. Aujourd’hui, en Bulgarie, nous sommes tranquilles même si les musulmans ont 622 ans de moins dans leur histoire religieuse, ce qui est un facteur extrêmement important. C’est une religion jeune et dynamique.

Quelles conséquences entraîne l’actuelle crise grecque en Bulgarie ?

Je reviens d’Athènes. Ce type de situation est toujours inquiétant pour les pays voisins, c’est une source de préoccupations. Notre politique fiscale rend les investissements étrangers plus intéressant en Bulgarie qu’en Grèce. De nombreuses entreprises grecques émigrant en Bulgarie. Mais il y a un revers de la médaille, car beaucoup de Bulgares travaillent encore en Grèce et souffrent de la crise. On note un flux important aux points de passage : à Pâques, 80.000 voitures sont passées de Bulgarie en Grèce. 23% de nos banques sont contrôlées par des banques grecques. Heureusement, la banque centrale de Bulgarie a pris des mesures pour limiter les conséquences sur notre économie.

La Bulgarie fait-elle l’objet d’un afflux de migrants ?

Comme en Hongrie, nous construisons une sorte de muraille avec la Turquie. Sur un plan libéral ou de charité chrétienne c’est effectivement très triste. Mais cela se comprend en terme politique et de défense. La Roumanie, la Grèce et la Bulgarie sont aux frontières de l’UE. Parmi les milliers de réfugiés de Syrie et d’Irak qui arrivent en Bulgarie, une bonne partie sont des gens qui veulent aller plus à l’ouest. Ce ne sont pas des indigents mais des gens qui fuient les combats. Ils n’ont pas l’ambition de rester en Bulgarie. Nous ouvrons des casernes, des écoles et enseignons le bulgare. Les images de Calais sont dramatiques. Ayant été un réfugié, je sais ce que c’est.

Que lire, que voir pour comprendre l’âme bulgare ?

L’archéologie est une discipline qui enseigne énormément sur notre pays. Notre littérature est très spécifique : nous n’avons pas connu la Renaissance. Du XVème à la fin du XIXème siècle, enfermés dans l’empire Ottoman, nous avons eu très peu de contactes avec l’extérieur. Malgré cela, le pays s’en est très bien sorti sur le plan culturel après la libération de 1878. Il existe un vrai culte du savoir et de la lecture en Bulgarie. Si j’ai un livre à conseiller, c’est Sous le joug, d’Ivan Vazov. Nous sommes peu connus en France à cause des deux dernières guerres, de la barrière de la langue et de celle de la religion.

Quelle est la situation de la francophonie en Bulgarie ?

Elle n’est pas très dynamique. Cela me chagrine beaucoup. Je tiens beaucoup à la francophonie. C’est un moyen de se singulariser à l’heure de la globalisation. J’ai parlé en français à la tribune des Nations-Unis à New-York et à la fin du discours, les ambassadeurs des pays francophones sont venus me féliciter. Le Président Jelev, qui vient de décéder, avait eut l’idée, avec le Président Mitterrand, de mettre le Français en valeur en faisant entrer la Bulgarie dans l’Organisation internationale de la Francophonie en 1993. Il n’y avait aucune raison de ne pas être membre de ce club.

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