Sanctions américaines : la Chine déploie sa stratégie de contournement

17 janvier 2023

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Photo : Chinese President Xi Jinping attends a session at the G20 Leaders' Summit in Nusa Dua, Bali, Indonesia, Wednesday, Nov. 16, 2022. (Willy Kurniawan/Pool Photo via AP, File)/BKWS301/22321326853057/NOV. 16, 2022

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Sanctions américaines : la Chine déploie sa stratégie de contournement

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Les sanctions économiques sont devenues des armes de plus en plus utilisées pour tenter de faire plier une puissance adverse. Se préparant à une future confrontation avec les États-Unis, la Chine développe une stratégie de contournement d’éventuelles sanctions afin de rendre celles-ci inutiles.

Othman El Hadj Said. Étudiant à l’École de Guerre économique, MBA Stratégie et Intelligence économique

Depuis la fin de la Guerre Froide, les États-Unis ont eu de plus en plus recours aux sanctions économiques comme un outil essentiel de politique étrangère, plutôt que comme une simple mesure de soutien. D’une part, elles sont souvent envisagées comme une alternative à l’action militaire, manifestant ainsi le refus du conflit armé. D’autre part, comme l’explique Agathe Demarais dans son ouvrage Backfire, « elles permettent de combler le vide dans l’espace diplomatique entre les déclarations inefficaces et les opérations militaires potentiellement mortelles[1] ». L’administration Trump a multiplié les sanctions unilatérales, ce qui a ainsi conduit à une accentuation de la « militarisation du dollar », afin de menacer leurs adversaires géopolitiques et concurrents économiques, faisant du dollar un véritable instrument de puissance. La stratégie de sanction des États-Unis est fondée sur cette prémisse : ils doivent bénéficier d’une position dominante au sein d’une structure de réseau hiérarchique, à l’instar du système monétaire et financier mondial.

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Les sanctions : outil privilégié de la diplomatie américaine

Les sanctions reflètent également l’incapacité à influencer le comportement d’un État par des moyens diplomatiques. L’intégration de la Chine aux organisations internationales par l’Occident n’a pas suffi à neutraliser sa volonté de puissance et à freiner son ascension rapide. La pertinence des sanctions a été mise en doute du fait de la mondialisation et de l’interdépendance qui en découlent, puisque les pays sanctionnés peuvent trouver de nouveaux partenaires et ainsi contourner les sanctions.

Étant donné son objectif de réunification avec Taïwan, la Chine a des raisons d’envisager la possibilité d’être la cible de sanctions américaines, qui se sont engagés à défendre l’autonomie de l’île. Si bien que les États-Unis envisagent déjà différents ensembles de sanctions, notamment la restriction de l’accès à certaines technologies, pour dissuader Pékin de passer à l’assaut de l’île[2]. Toutefois, les États-Unis ne devraient pas se leurrer en croyant que la dissuasion économique est un substitut à une dissuasion militaire crédible. Si les sanctions économiques visent à dissuader la Chine d’envahir Taïwan, celles-ci risquent de ne pas fonctionner. La politique zéro-Covid nous a démontré que Xi Jinping est prêt à sacrifier l’économie pour privilégier la réalisation de ses objectifs politiques. Les sanctions envisagées comme un moyen pour contraindre un État à modifier sa politique sont en réalité très peu efficaces[3]. Il est important de noter que les sanctions ne sont qu’un outil parmi d’autres pour influencer les politiques et les actions d’un pays. Elles peuvent être utilisées en complément d’autres moyens de persuasion, comme les négociations diplomatiques et les médiations internationales.

Jeffery Frankel, économiste à l’Université de Harvard, a résumé les risques d’une utilisation effrénée des sanctions par Washington : « Les sanctions sont un instrument très puissant pour les États-Unis, mais comme tout outil, vous courez le risque que d’autres commencent à chercher des alternatives si vous en faites trop […]. Je pense qu’il serait insensé de supposer qu’il est écrit dans la pierre que le dollar sera à jamais incontesté en tant que monnaie internationale numéro une[4] ». En ce sens, la multiplication des sanctions américaines au cours des dernières décennies a conduit la Chine, ainsi que d’autres pays qui envisagent de se retrouver dans la même situation que la Russie, à explorer des alternatives. Lorsque les États-Unis étaient la seule superpuissance, la politique de sanctions était un instrument redoutable. L’ascension de la Chine est venue remettre en cause l’efficacité de ces sanctions. À mesure que la Chine poursuit son développement économique, les menaces de sanctions seront reléguées à de la rhétorique diplomatique. Dans une économie mondialisée, une Chine visée par des sanctions américaines pourrait trouver des sources d’approvisionnement et de financement de substitution. De plus, la mondialisation lui permettrait aisément de trouver des voies de contournement.

Face aux menaces de sanctions, la Chine met en place un cadre législatif pour protéger ses intérêts économiques

Depuis 2018, la Chine a adopté toute une série de textes législatifs majeurs visant à atténuer l’impact des sanctions américaines : la loi sur l’assistance judiciaire pénale internationale, les dispositions de la liste des entités non fiables, les règles extraterritoriales, la loi sur le contrôle des exportations (ECL), la première loi chinoise établissant un régime réglementaire de contrôle des exportations complet et intégré, ainsi que le livre blanc du Conseil d’État sur le contrôle des exportations de la Chine. En juin 2021, le gouvernement communiste a adopté la loi contre les sanctions étrangères (Anti-Foreign Sanctions Law), l’arsenal juridique le plus conséquent en matière de rétorsions économiques, permettant aux autorités chinoises de prendre des contre-mesures envers des entités qui, selon elles, ont nui à la Chine. Son adoption est un signal clair envoyé, de la détermination de la Chine à riposter en cas de sanction économique, à protéger ses intérêts et à préserver la stabilité de son système politique. L’élaboration d’un tel cadre juridique a été la priorité de Pékin en 2021, afin d’être en mesure de limiter les effets de l’extraterritorialité du droit, principalement celui des États-Unis. De plus, la loi contre les sanctions étrangères s’inscrit pleinement dans les efforts réalisés par la Chine pour développer l’extraterritorialité de son propre droit. En effet, celle-ci et les autres initiatives juridiques font suite à l’appel de Xi Jinping selon lequel « dans la lutte contre les puissances étrangères, nous devons utiliser la loi comme une arme et occuper la supériorité morale de l’État de droit, pour dire non aux saboteurs et aux fauteurs de troubles[5] ».

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En réalité, la loi sur les sanctions anti-étrangères transpose l’équivalent de l’arsenal américain en la matière dans ses propres dispositifs législatifs. Ces lois sont largement inspirées de celles que les États-Unis ont utilisées contre la Chine au cours des cinq dernières années. Par ces dispositifs, la Chine indique sa volonté de sanctionner des entités considérées comme travaillant contre les intérêts de l’État chinois. Il pourrait ainsi à tout moment imposer une restriction au commerce ou aux échanges culturels destinés à pénaliser une entreprise ou un pays. La Chine a déjà par le passé pris des sanctions économiques pour afficher son mécontentement à l’égard d’un pays. Le Japon a fait les frais de sanctions économiques coercitives. En effet, la Chine a réduit à plusieurs reprises les flux commerciaux de terres rares vers le Japon, à la suite de différents en 2010, entraînant ainsi un début de pénurie et une explosion des prix.

Le CIPS, système de paiement alternatif de la Chine pour contourner les sanctions américaines

L’exclusion de l’Iran du système SWIFT et les sanctions infligées à la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014 ont incité la Chine à envisager la mise en place de canaux financiers alternatifs, afin de se prémunir d’un scénario similaire la concernant. Ainsi en 2015, la Banque populaire de Chine (PBOC) a lancé le système de paiements interbancaires transfrontaliers appelé China International Payments System (CIPS), qui est constitué en entités indépendantes et supervisées par la banque centrale. La création de ce système de paiement vise deux objectifs : le premier, encourager l’internationalisation du renminbi et le deuxième, à réduire l’exposition des entreprises chinoises aux sanctions américaines. Certains observateurs font le parallèle entre CIPS et SWIFT, néanmoins cette comparaison n’est pas fondée. En effet, le CIPS se rapproche davantage du Clearing House Interbank Payments System (CHIPS) des États-Unis, qui compense et règle les transactions en dollars américains. Quant à SWIFT, il s’agit d’une messagerie mondiale qui permet aux institutions financières de communiquer entre elles sans pour autant déplacer de fonds. En revanche, le CIPS est un mécanisme de compensation et de règlement RMB qui déplace le renminbi. De plus, contrairement à SWIFT, le CIPS ne traite que les transactions en renminbi. Si le système CIPS peut faciliter les transactions en RMB entre les institutions chinoises, il a besoin d’être connecté à SWIFT afin de réaliser les transactions internationales et de communiquer avec des banques étrangères. Pour l’instant, le CIPS s’appuie encore largement sur le système SWIFT pour la messagerie financière transfrontalière, il dispose de sa propre ligne de communication directe entre les organisations financières, ainsi que du potentiel pour fonctionner de manière indépendante. En revanche, l’existence d’un tel système financier alternatif et opérationnel est déjà une réussite pour la Chine, dans la mesure où elle ne cherche pas à remplacer SWIFT mais à disposer d’un canal de secours. Si celle-ci devait être déconnectée de SWIFT, elle aurait un canal opérationnel pour éviter l’isolement total. De surcroit, la Chine aurait la possibilité de conditionner l’accès à son marché intérieur à l’utilisation du renminbi tout comme les États-Unis, dont les paiements en dollars conditionnent l’accès à l’économie américaine. L’essor des canaux financiers qui échappent aux sanctions signifie que les États-Unis auront de plus en plus de difficultés à détecter les activités illégales à l’échelle mondiale et à suivre l’application des sanctions imposées.

En 2021, le CIPS a traité environ 80 billions de yuans (12,68 billions de dollars), ce qui revient à une augmentation de 75% par rapport à l’année précédente. Fin janvier 2022, le CIPS a déclaré qu’environ 1 280 institutions financières dans 103 pays étaient connectées au système. Parmi celles-ci se trouvent 30 banques japonaises et 23 banques russes, qui reçoivent des fonds en yuans pour financer des projets d’infrastructures dans le cadre de la BRI[6]. Le 14 février 2022, la Standard Chartered Bank a déclaré qu’elle était devenue la première banque étrangère qualifiée en tant que participante directe au CIPS en dehors de la Chine continentale[7]. Les volumes traités par CIPS sont encore dérisoires par rapport aux 140 000 milliards de dollars traités chaque année par SWIFT. Au cours des prochaines années, SWIFT occupera toujours la place centrale du système financier mondial et le dollar restera prépondérant puisqu’ils représentent 59 % des réserves de change et plus de 80 % des transactions de change sont libellés dans la monnaie américaine. Néanmoins, les États-Unis devraient garder un œil attentif sur la participation des banques étrangères au CIPS. En effet, une augmentation de la participation de banques étrangères pourrait témoigner d’une acceptation croissante par les pays du système financier alternatif de la Chine et d’une augmentation de la part du marché mondial couvert par le CIPS. De plus, si le CIPS s’appuie encore très largement sur le SWIFT pour faciliter les échanges financiers, il semble exister des mécanismes au sein du CIPS qui permettent la compensation et le règlement en RMB sans l’aide de SWIFT. Le CIPS illustre les ambitions de Pékin, dont le gouvernement a affiché son objectif de devenir le leader de la finance mondiale dans le plan quinquennal de normalisation financière (2021-2025) publié en février 2022[8]. Elle aspire ainsi à créer et à façonner les normes dans le domaine de la finance mondiale. Le succès des canaux financiers est corrélé à l’internationalisation du renminbi, un autre objectif de Pékin, qui n’a pas vocation à remplacer le dollar en tant que « devise clé », mais vise à sécuriser ses échanges commerciaux avec ses partenaires et ainsi éviter son exposition aux sanctions. L’efficacité des sanctions américaines reposait autant sur la prééminence et l’attrait pour l’économie américaine que sur l’absence de canaux financiers alternatifs. Avec la mise en place de CIPS, les États-Unis n’ont plus le monopole dans ce domaine.

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La Chine se prépare au découplage économique avec les États-Unis : un accent mis sur la haute technologie

Le Parti communiste chinois a fait de « l’indépendance et de l’autonomie » l’objectif premier de sa résolution historique de 2021[9]. Les récentes sanctions massives imposées par l’Occident à la Russie ont rappelé aux dirigeants chinois la nécessité de renforcer l’autonomie économique du pays. La construction d’un « marché national unifié », promis par le gouvernement, doit permettre à l’économie chinoise de résister à un éventuel découplage forcé avec les États-Unis. En effet, une grande partie de la planification économique chinoise – notamment le 14e plan quinquennal (2021-2025) – est centrée sur l’atteinte de l’autosuffisance technologique et matérielle du pays. Ce plan s’inscrit plus largement dans la China Standards 2035 Strategy adopté en 2018, qui considère que la montée en gamme industrielle doit s’effectuer dans trois domaines : la production, les technologies et les normes[10].

À la différence des États-Unis, la Chine ne possède pas le « privilège exorbitant du dollar », en revanche l’accès à son marché intérieur et sa capacité d’influencer les voies d’approvisionnement mondiales constituent des leviers d’influence puissants. La puissance et la taille d’une économie déterminent l’efficacité ou l’inefficacité de sanctions. Compte de tenue de la place centrale de la Chine dans les chaines de valeurs mondiales, Washington est conscient que le déclenchement d’une crise financière provoquée par des sanctions lui nuirait au moins autant qu’à Pékin. Face à la puissance économique chinoise, les États-Unis ont usé des droits de douane pour la contrer, et des mesures financières sont pour l’instant improbables. Devant ce risque, les États-Unis ont réorienté leurs sanctions vers le secteur des technologies. Le Bureau de l’Industrie et de la Sécurité (BIS) américain a annoncé, le 7 octobre 2022, la mise en place d’une série de restrictions concernant l’exportation de matériels, de technologies et de connaissances à destination de la Chine dans le domaine des semi-conducteurs.

Les semi-conducteurs sont le talon d’Achille de l’économie chinoise. La Chine est la première importatrice de semi-conducteurs au monde, avec plus de 300 milliards de dollars dépensés ; plus que ce qu’elle dépense pour tout autre produit, y compris le pétrole. Compte tenu de la domination américaine dans ce secteur, Washington a conscience que les mesures limitant l’accès de la Chine aux semi-conducteurs peuvent porter atteinte aux ambitions technologiques de Pékin. Toutefois, la perte de l’accès au marché chinois pourrait également entrainer pour les entreprises américaines une baisse des profits et des parts de marchés dans d’autres pays. Les États-Unis ne dominent pas l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des semi-conducteurs, son rôle ne peut être comparé à la primauté de leur monnaie dans la finance mondiale. Si les États-Unis ont le monopole des logiciels d’automatisation de la conception électronique, ils ne fabriquent que 11% des puces fabriquées dans le monde (dépendance à l’égard de Taiwan et de la Corée du Sud). Les réseaux de production, qui sont souvent imbriqués, créent de nombreuses dépendances complexes entre différents pays – notamment la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, les États-Unis et les États européens – à différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement. Certains pays peuvent maitriser des parties spécifiques de la chaîne d’approvisionnement, mais aucun pays ne domine l’ensemble du réseau. Ainsi, les chaînes de valeur technologiques peuvent être adaptées et réorganisées plus facilement que le système financier reposant sur la prédominance du dollar. Par conséquent, la Chine tente de diversifier ses voies d’approvisionnement en semi-conducteurs en se rapprochant notamment du Vietnam, un des futurs fabricants mondiaux[11]. La multiplication des sanctions américaines dans le secteur des semi-conducteurs pourrait conduire certains pays ou entreprises à éviter les fournisseurs américains pour protéger leur autonomie et préserver leur capacité à vendre à l’échelle mondiale, y compris en Chine. Au début des années 2000, une dynamique s’est instaurée lorsque les États-Unis ont durci leur contrôle unilatéral sur les exportations de satellites vers la Chine, affectant ainsi le secteur spatial. Les entreprises européennes ont retiré les composants américains de leurs produits, entrainant une perte de part de marché et de capacité pour les entreprises américaines. De là, il est difficile pour les États-Unis de militariser l’interdépendance dans le secteur des semi-conducteurs, en particulier lorsque les chaînes d’approvisionnement sont complexes et se chevauchent, comme c’est le cas actuellement. Seuls, les États-Unis n’empêcheront pas les progrès technologiques de la Chine à long terme.

De plus, si les restrictions à l’accès aux semi-conducteurs peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’économie chinoise, la Chine a un atout dans sa manche avec son monopole sur la production des terres rares. En effet, elle contrôle 80% de la production mondiale des 17 métaux sur lesquels la fabrication des semi-conducteurs repose. En d’autres termes, si les États-Unis sont présumés détenir le monopole de la technologie des semi-conducteurs, la Chine contrôle effectivement l’accès aux terres rares nécessaires à la construction de tous les équipements électroniques modernes. Par exemple, les terres rares sont nécessaires à la fabrication des F-35 américains. Comme le faisait remarquer Deng Xiaoping en 1992, « les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient ». La Chine pourrait potentiellement limiter, à son tour, l’accès aux terres rares aux États-Unis en cas de confrontation directe. En 2020, la Chine a adopté une nouvelle législation visant à contrôler l’exportation de produits sensibles, notamment les terres rares. Même si les États-Unis ont pris des mesures pour ne plus dépendre de ces derniers, en développant des usines en Australie par exemple, il faudra au moins une décennie pour la reconstruction des voies d’approvisionnement.

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Il n’est pas certain que sur le long terme, les États-Unis soient les grands gagnants d’un découplage économique avec la Chine. Elle pourrait notamment perdre la course à l’élaboration des normes technologiques. À travers son projet des « routes de la soie numériques », la Chine tente d’imposer ses standards normatifs et technologiques dans les différents pays partenaires. Une fois que les connexions numériques et économiques seront établies, elles seront beaucoup plus difficiles à rompre malgré le changement des intérêts. La Chine se prépare un découplage économique avec les États-Unis, par l’intermédiaire des nouvelles routes de la soie et de sa participation au traité de libre-échange RCEP, elle sécurise ses voies d’approvisionnement et l’accès aux marchés des pays participants. Les plans de découplage des États-Unis ont convaincu la Chine de développer son marché intérieur ainsi que son autosuffisance et la recherche de nouveaux débouchés commerciaux.

Vers la fin de la politique des sanctions ?

Les États-Unis ou l’Occident de manière générale auront du mal à dissuader Pékin de poursuivre ses objectifs diplomatiques et militaires par le biais de sanctions économiques. Les pays ciblés sont moins enclins à se conformer aux exigences des États-Unis, à l’image de la Russie, qui poursuit sa guerre en Ukraine. Même si les principaux alliés partagent l’analyse américaine selon laquelle la Chine constitue une menace stratégique, il subsiste des désaccords fondamentaux quant à l’efficacité de l’approche américaine et aux compromis nécessaires pour renforcer les contrôles à l’exportation. C’est notamment le cas de l’Allemagne, premier partenaire commercial de la Chine, sceptique à un découplage économique avec la Chine. Les grandes entreprises allemandes qui dépendent fortement du marché chinois souhaitent étendre leurs activités au lieu de réduire leurs dépenses[12].

Comme l’explique Agathe Demarais, la politique de sanction des États-Unis, devenue si imprévisible, sera de moins en moins efficace : « Les mesures multilatérales, soutenues par le Japon, les États-Unis, les pays de l’Union européenne et d’autres puissances partageant les mêmes idées, deviendront probablement la seule option [pour les États-Unis] ». En effet, les sanctions sont plus efficaces lorsqu’elles sont coordonnées avec des alliés et des partenaires, puisque les sanctions multilatérales sont plus difficiles à contourner pour le pays ciblé. Même la Chine ne pourrait pas se permettre de perdre l’accès aux marchés européen, américain et japonais en même temps. Néanmoins, Agathe Demarais prévient que les sanctions multilatérales sont plus difficiles à mettre en place compte tenu de la nécessité de trouver un consensus entre plusieurs puissances. Autrement dit, les États-Unis devraient perdre leur instrument diplomatique favori et devraient être contraints d’apprendre à collaborer avec leurs partenaires et à négocier avec leurs adversaires sans user de la menace de sanctions. Les États-Unis seraient contraints de repenser leurs outils diplomatiques s’ils souhaitent freiner la montée en puissance de la Chine. Ainsi, dans la rivalité face à la Chine, les États-Unis auront besoin de bien plus que des sanctions s’ils souhaitent sortir vainqueurs.

[1] Agathe Demarais, backfire : How Sanctions Reshape the World Against U.S., Columbia University Press, 2022

[2] Ben Blanchard,Yimou Lee, John O’Donnell, Alexandra Alper et Trevor Hunnicutt, “Exclusive: U.S. weighs China sanctions to deter Taiwan action, Taiwan presses EU”, Reuters, 14 septembre 2022. URL : https://www.reuters.com/world/asia-pacific/exclusive-us-considers-china-sanctions-deter-taiwan-action-taiwan-presses-eu-2022-09-13/

[3] Fanny Coulomb, et Sylvie Matelly, Bien-fondé et opportunité des sanctions économiques à l’heure de la mondialisation, Revue internationale et stratégique, vol. 97, no. 1, 2015, pp. 101-110.

[4] Dimitri Simes, “China and Russia ditch dollar in move toward financial alliance”, NikkeiAsia, le 6 août

  1. URL : https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/China-and-Russia-ditch-dollar-in-move-toward-financial-alliance

[6] Kida Kazuhiro, Kubota Masayuki et Cho Yusho, Rise of the yuan: China-based payment settlements jump 80%, Nikkei Asia, 20 mai 2019. URL : https://asia.nikkei.com/Business/Markets/Rise-of-the-yuan-China-based-payment-settlements-jump-80

[7] ANONYME, « Standard Chartered HK says it has qualified as direct CIPS offshore participant», Reuters, 14 février 2022. URL : https://www.reuters.com/business/finance/standard-chartered-hk-says-it-has-qualified-direct-cips-offshore-participant-2022-02-14/

[8] Emily Jin, “Why China’s CIPS Matters (and Not for the Reasons You Think)”, Lawfare, 5 avril 2022. URL : https://www.lawfareblog.com/why-chinas-cips-matters-and-not-reasons-you-think

[9] 19ème Comité central du Parti communiste chinois, « Resolution of the CPC Central Committee on the Major Achievements and Historical Experience of the Party over the Past Century», The State Council the people’s Republic of China, 16 novembre 2021. URL : https://english.www.gov.cn/policies/latestreleases/202111/16/content_WS6193a935c6d0df57f98e50b0.html

[10]Antoine Bondaz, « Defense chinoise : quelle puissance militaire pour quelle stratégie ? », Diplomatie n°101, novembre 2019.

[11] Ralph Jennings, “China, Vietnam sign 13 deals, and 1 stands to reshape economic relations”, South China morning post,  le 4 novembre 2022https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3198283/china-vietnam-sign-13-deals-and-1-stands-reshape-economic-relations

[12] Anne Rovan, Olaf Scholz en Chine: l’Allemagne s’attire les critiques de ses alliés européens, Le Figaro, le 3 novembre 2022. URL :https://www.lefigaro.fr/international/olaf-scholz-en-chine-l-allemagne-s-attire-les-critiques-de-ses-allies-europeens-20221103

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L'École de guerre économique est un établissement d'enseignement supérieur français, fondé en 1997, spécialisé dans l'intelligence économique qui s'intéresse au renseignement économique, défensif ou offensif
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