Mon analyse sur la guerre française au Sahel m’a fait retrouver le Sahara et du coup m’a fait faire un grand voyage dans le temps. Le Sahara, c’est une accumulation de mythes. mais aujourd’hui c’est devenu le bonheur des trafiquants et des djihadistes.
Un Sahara légendaire et mythique : Léon l’Africain et René Caillé
Rassurez-vous, je ne vais pas remonter à l’époque où le Sahara était verdoyant et peuplé de grands animaux, comme on le voit sur les peintures rupestres.
Je me contenterai de commencer par Léon l’Africain, nom chrétien de Hassan El Wazzan, ce géographe arabe qui semble avoir été un des premiers à atteindre Tombouctou, ville mythique dont on n’était pas certain de l’existence.
Si Léon l’Africain porte un prénom chrétien, du moins quand on parle de lui au Nord, c’est parce qu’il a été adopté par la famille alors papale des Médicis et baptisé sous le nom de Jean-Léon de Médicis. Il avait été adopté après un enlèvement par les Chevaliers de Malte pour enseigner en Italie l’arabe et la géographie de l’Afrique, la chrétienté ayant pris conscience de son ignorance de ce qu’étaient réellement ses ennemis du Sud . À l’époque il valait mieux prendre la religion de son lieu de résidence, sauf mission commerciale ou diplomatique.
J’avais beau être jeune, disons de 11 à 14 ans, ces noms de Tombouctou et de Léon l’Africain m’avaient frappé, et j’appris plus tard qu’il avait été l’inspirateur de nombreux voyageurs, dont celui de René Caillé, donc j’ai fini par acheter la biographie. Le prof d’histoire avait associé ce nom de René Caillé à celui de Tombouctou, et j’avais dressé l’oreille. J’appris plus tard qu’il avait trouvé en 1828 cette ville en ruines, très loin des récits magnifiés des trafiquants d’esclaves et des missionnaires musulmans. Mais pour ces derniers la richesse de la ville était surtout spirituelle et matérialisée par ses bibliothèques de manuscrits religieux.
Mon valeureux prof d’histoire a réussi à faire passer en quelques mots une version épique de la découverte de Tombouctou par un Occidental : ville interdite aux chrétiens, donc un long apprentissage sur le terrain par René Caillé des langues et mœurs musulmanes de la région. C’était certes du « roman national », mais, à mon avis c’était du bon ! Ce n’est que plus tard que j’appris peu à peu au prix de quelles péripéties pénibles cet homme sans moyens avait réussi ce défi.
Cette aventure de René Caillé m’est revenue lors de la prise de Tombouctou par les islamistes en 2012, j’ai du coup acheté la dernière édition de sa biographie. Comme à Palmyre et ailleurs les islamistes ont beaucoup détruit : ici les tombes des saints locaux et ceux des fameux manuscrits qui n’avaient pas pu être sauvée à temps, tout cela étant trop éloigné de l’islam d’inspiration et peut-être de financement wahhabite.
La ville a été reprise par l’armée française en janvier 2013, à la demande du gouvernement malien et avec l’aval de l’ONU.
Mais n’anticipons pas, et passons à la période coloniale française.
Les Français amoureux du Sahara
A la fin du XIXe siècle, les Français prolongent l’Algérie vers le sud et le futur Mali vers le Nord, à l’appel des populations de Tombouctou demandant à l’armée française d’arrêter les razzias. Mais cette dernière doit faire face à la résistance touarègue.
La paix française permet aux récits sur le Sahara de se multiplier, avec leurs échos dans la littérature jeunesse. Les valeureux lieutenants français à la tête de leur méhara arabe ou berbère traquent la tribu opposée qui s’obstine dans les trafics. Il faudra plusieurs dizaines d’années pour pacifier la mer de sable, et les lieutenants deviennent amoureux du pays.
Ils sont rejoints par de nombreux voyageurs dans cette passion des grands espaces. Les œuvres de Frison-Roche font rêver : « La piste oubliée », « La montagne aux écritures » … Et , sur ses traces le premier film en couleur sur le Sahara par Eric Millet en 1950. Cette passion française du Sahara avait encore des échos en 1980 avec l’épopée lyrique de Fort Saganne, puis le film qui en est issu.
Et il n’y a pas que le père de Foucauld qui est tombé amoureux du désert et a y terminé sa vie. Il y a également l’exploratrice et écrivain Isabelle Eberhardt, qui s’est noyée en 1904 dans une de ces vallées sèches, brusquement en crue lorsqu’il a plu en amont.
Le pétrole et la fin du rêve saharien
A partir des années 1950, les nouvelles qui me parviennent du Sahara sont moins romantiques : les premiers essais nucléaires français, la découverte du pétrole (1956) et la guerre d’Algérie (1954–62), dont une grande partie du Sahara fait administrativement partie, mais qui n’aura pas trop d’impact dans les dunes, les populations tant arabes que berbères (les Touaregs) n’ayant rien d’algérien.
Pour cette raison, Georges Pompidou, premier ministre pratique et sérieux, veut garder le Sahara, son pétrole, et le contrôle géopolitique de la région. Le conflit avec De Gaulle devient aigu, car ce dernier veut se débarrasser des problèmes arabes et musulmans qui paralysent la diplomatie française en la faisant taxer de coloniale. Pompidou s’incline, et, en 1962, l’Algérie vogue vers son destin dans ses frontières dessinées et très largement étendues par les Français. Bizarrement, depuis, ce pays défend « le respect des frontières coloniales ».
Cette souveraineté algérienne sur le milieu du Sahara a des conséquences géopolitiques multiples de la Libye au Maroc en passant par le Sahel comme nous verrons ci-après. Mais restons pour l’instant au XXe siècle.
Les promesses algériennes de respecter les compagnies françaises qui ont découvert et exploité pétrole ne tiennent pas, et pour « compléter sa souveraineté » le pays en prend le contrôle par la société nationale Sonatrach. Personnellement, je ne vois pas ce que la souveraineté algérienne y a gagné, mais c’était alors la mode des sociétés pétrolières nationales qui se sont révélées des désastres comme au Mexique ou au Venezuela … l’Algérie a multiplié ces Sociétés nationales dans d’autres domaines avec d’aussi mauvais résultats.
En effet une part importante des recettes pétrolières a été détourné par la nomenklatura, une autre est allée à la consommation courante du pays, et il n’en est pas resté assez pour faire le travail normal de l’entreprise, c’est-à-dire les investissement de maintien de la production. Il a fallu finalement s’associer avec des compagnies étrangères, notamment américaines. Les Américains ne concevant pas que l’on s’adresse à eux autrement qu’en anglais, on constate une certaine anglophonie saharienne, qui contraste avec la relative francophonie du reste de l’Algérie et de ses voisins du Sud.
Finalement cette gestion directe se traduit par une baisse de la production faute d’investissements, au moment où la consommation augmente, diminuant les quantités exportables donc les ressources du pays. Et les Algériens ont fini par se révolter contre un régime organisé pour le détournement de ces recettes..
Un retour à l’anarchie précoloniale ?
Les frontières du sud algérien s’enfoncent profondément dans le Sahara (cliquez ici pour voir la carte), et c’est donc dans le désert que l’Algérie a ses plus longues frontières. Cette donnée géographique s’ajoute à la puissance politique de l’armée algérienne qui est à l’abri du contrôle par la société civile et garde donc de certaines de ses « habitudes » comme la corruption et les trafics.
Les liens des tribus du Sahara algérien avec leurs sœurs maliennes par-dessus la frontière, par exemple avec les berbères de Kidal (Mali), favorisent les trafics de drogue, de migrants et parfois d’or (il y a une multitude de petites mines artisanales au Mali). Et le déferlement du fanatisme musulman appuyée par l’Arabie donne à certains une légitimité religieuse. Les trafics et particularismes sahariens sont devenus des prétextes à djihad.
Or l’armée algérienne ne coopère pas avec ses voisins, et empêche toute opération de poursuite sur son territoire, ce qui permet aux djihadistes du Sahel de se réfugier en Algérie. C’est un gros handicap pour les armées nationales du Sahel et leurs alliés français qui font le gros du travail.
Une autre frontière saharienne de l’Algérie est celle de l’Ouest, avec le Maroc prolongé par l’ancien « Rio de Oro » espagnol. Le Maroc s’appuie sur sa longue histoire saharienne (il a notamment contrôlé un temps Tombouctou) pour annexer les anciennes colonies espagnoles. L’Algérie n’a pas de mêmes arguments puisqu’elle n’existait pas, mais soutient (ou « invente ») certaines tribus qui refusent cette annexion et se battent contre l’armée marocaine qui, jusqu’à présent, les contient.
A cette « guerre des sables » s’ajoute à l’est de l’Algérie le désordre libyen, où l’on retrouve les tribus berbères à cheval sur les deux pays, avec les trafics d’armes à destination du Sahel, et ceux des migrants vers la Méditerranée.
Bref on retrouve, en bien pire, l’anarchie pré coloniale du Sahara.
La résurrection du tifinagh
Terminons sur une note culturelle : les Touaregs ont écrit sur quelques rochers des indications étranges. Elles se sont révélées être des indications topographiques (« le puits est dans telle direction ») dans un alphabet disparu, sauf justement ces inscriptions : le tifinagh.
Or jusqu’à présent les textes berbères étaient transcrits en caractères latins suite à l’action des pères blancs en Kabylie, ou en caractères arabes pour quelques textes plus anciens comme des traités locaux au Maroc. Bref, pour les Arabes, cette absence d’écriture était une illustration du retard des Berbères.
Les autorités arabophones du Maroc et de l’Algérie étant enfin en phase d’accepter le « fait berbère » ont proposé cet alphabet, le tifinagh, à leur population, ce qui, à mon avis, revient à enterrer les langues berbères « sous les fleurs », comme je l’explique à la fin de mon article sur ce sujet.
Bref, mon rêve saharien partagé par tant d’aventuriers et de voyageurs en chambre s’est transformé en une catastrophe cauchemardesque sanglante.