Le Rwanda entend tirer profit de l’importance de ses gisements miniers. En modernisant ses infrastructures, en renforçant la sécurité juridique, il souhaite s’imposer comme un acteur de premier plan dans la production des minerais.
Sur les flancs des collines de Nyakabingo, à une heure de Kigali, des hommes et des femmes s’activent dans les entrailles de la terre. Ici, on extrait le tungstène, ce minerai dense et indispensable aux industries de pointe. Le bruit sourd des machines contraste avec l’organisation méticuleuse des équipes, majoritairement locales. Le Rwanda, bien qu’enclavé, est un pays riche en ressources minérales et a décidé de ne plus en être seulement un exportateur brut. Le gouvernement de Paul Kagamé a pris la pleine mesure du potentiel du sous-sol et s’est engagé dans une politique ambitieuse de transformation du secteur minier, à la fois pour augmenter la valeur ajoutée mais également pour réduire les effets pervers d’une exploitation anarchique. Aujourd’hui, le Rwanda mise sur une révolution industrielle portée par ses minerais.
« Nous voulons tirer profit de nos ressources non seulement en les extrayant, mais aussi en les transformant sur place, afin de capturer la valeur ajoutée que nous perdions jusqu’ici », explique un responsable du Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board (RMB), en charge de la régulation du secteur.
Une ambition nationale affirmée
Le secteur minier rwandais, longtemps dominé par des méthodes artisanales, connaît aujourd’hui une véritable transformation. Portée par une volonté gouvernementale forte, cette mutation a été formalisée dans la stratégie nationale de transformation (NST), dont la phase 2 a été présentée par le Premier ministre Édouard Ngirente en septembre 2024. L’ambition est claire : atteindre 2,2 milliards de dollars d’exportations minérales annuelles d’ici 2029, contre 1,1 milliard en 2023. Le secteur représente désormais l’une des premières sources de recettes d’exportation du pays, aux côtés du tourisme, mais loin devant les produits agricoles. En 2023, le Rwanda a enregistré une augmentation spectaculaire de 43 % de ses exportations de minéraux, qui sont passées de 772 millions de dollars en 2022 à plus de 1,1 milliard. En 2010, ces revenus n’étaient encore que de 71 millions $. Ce bond reflète les efforts du pays pour mieux exploiter ses ressources naturelles, notamment les « 3T » (étain, tantale, et tungstène), ainsi que l’or, le lithium et les pierres précieuses.
Un potentiel encore sous-exploité
Si le Rwanda est l’un des principaux producteurs mondiaux de tantale, utilisé dans les condensateurs d’appareils électroniques, et de tungstène, indispensable à la fabrication d’outils de coupe et de filaments d’ampoules, il n’exploite encore que 30 % de son potentiel minier. La richesse de son sous-sol, qui abrite également des terres rares et d’autres métaux stratégiques comme le lithium, reste à découvrir. En dépit de cela, le pays a su se hisser au rang de premier exportateur de coltan à cinq reprises au cours de la dernière décennie, devançant même la République démocratique du Congo (RDC), pourtant réputée pour son abondance en minerais.
Depuis 1999, le secteur minier rwandais affiche une croissance annuelle de 10 %, une progression qui s’est accélérée depuis sa libéralisation en 2006. L’étain, le tantale et le tungstène, qui sont à la base de l’industrie minière rwandaise, constituent l’épine dorsale des exportations du pays. L’étain, en particulier, est utilisé dans les soudures pour l’électronique et comme revêtement protecteur contre la corrosion. Quant au tantale, il joue un rôle important dans les implants médicaux et la fabrication de condensateurs miniatures.
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Un cadre attractif pour les investisseurs
Pour séduire davantage d’investisseurs, le Rwanda a créé un environnement des affaires stable et attractif, renforcé par des réformes législatives. Depuis 2018, la nouvelle loi minière et la loi sur l’investissement (2021) offrent aux sociétés minières un régime fiscal préférentiel, incluant des exemptions de droits de douane et de TVA sur les équipements miniers, ainsi que des taux d’imposition réduits. « Ces avantages fiscaux s’accompagnent d’une sécurité juridique et d’une stabilité politique qui font du Rwanda l’un des environnements les plus attractifs pour les investissements en Afrique », explique un cadre du RMB.
Grâce à son partenariat avec l’UE et la GIZ, signé en juin 2023, le RMB travaille à la numérisation de divers services miniers. En particulier, ils développent un cadastre minier en ligne, le GIMICS (Geological Information Mining Cadastre System), qui devrait bientôt être opérationnel et accessible aux investisseurs potentiels. « La mise en place du système GIMICS, un cadastre minier numérique, permet désormais aux investisseurs potentiels de consulter les licences d’exploration et d’exploitation en temps réel, ce qui garantit une meilleure traçabilité et une transparence accrue dans l’attribution des concessions », confie un acteur proche du dossier.
Ce climat favorable encourage des acteurs de poids à s’implanter dans le pays. En janvier 2024, le géant anglo-australien Rio Tinto signe un accord stratégique pour l’exploration et l’exploitation du lithium dans l’ouest du Rwanda. Ce partenariat, qui s’inscrit dans la politique de modernisation du pays, pourrait faire du Rwanda un acteur clé sur le marché des batteries électriques, un secteur en pleine expansion dans le cadre de la transition énergétique mondiale. D’autres projets en cours portent sur l’exploitation des 3T et des métaux associés, avec l’appui d’acteurs internationaux. Aujourd’hui, près de 150 entreprises et coopératives minières opèrent dans le pays, et emploient environ 300 000 personnes, souvent dans des conditions difficiles, mais dont les perspectives s’améliorent avec la modernisation en cours. Parmi les acteurs majeurs du secteur minier rwandais, Trinity Metals exploite le tungstène à Nyakabingo, l’une des principales mines du pays, tandis que Wolfram Mining and Processing Ltd est active à Gifurwe. Piran Resources, filiale de Trinity Metals, se concentre sur l’étain et le tantale, des minerais critiques pour l’industrie électronique. LuNa Smelter, la seule fonderie d’étain en Afrique de l’Est, incarne la volonté du Rwanda de développer la transformation locale et d’ajouter de la valeur au niveau national. À leurs côtés, Vogueroc, Power Resources Group (PRG), et TINCO, qui opère dans les mines d’étain de Rutongo, complètent ce paysage industriel en plein essor.
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Pour les autorités rwandaises, la priorité est de capter plus de valeur ajoutée en développant localement des infrastructures de transformation.
La raffinerie d’or de Gasabo, les installations de traitement de tantale de Power X, et la fonderie d’étain de LuNa permettent au pays de transformer ses minerais sur place avant de les exporter. Ces infrastructures, associées aux efforts de formation des ingénieurs locaux, positionnent le pays comme un futur hub de valorisation minière en Afrique de l’Est. « Notre priorité est d’attirer des investisseurs qui apportent une véritable expertise industrielle », souligne un cadre du ministère des Mines.
Ces installations offrent également une réponse à un enjeu de taille : la traçabilité des minerais. L’exploitation illégale des ressources minières, notamment en RDC, a longtemps alimenté les conflits dans la région.
Pour Kigali, la numérisation du secteur est un signal fort envoyé à la communauté internationale, alors que les questions de traçabilité et de transparence sont au cœur des préoccupations liées aux « minerais de conflits ». Grâce à des partenariats avec des acteurs internationaux, comme Power Resources Group (PRG) et la start-up Circulor spécialisée dans la blockchain, le Rwanda a mis en place un système garantissant que ses minerais ne proviennent pas de zones de conflit, notamment en République démocratique du Congo voisine. La RDC, qui partage une frontière de 217 km avec le Rwanda, est un des pays africains les plus riches en ressources naturelles. Mais elle est aussi le théâtre d’un commerce illicite alimenté par des groupes armés qui accaparent une partie de ces ressources. Le Rwanda, souvent accusé de profiter de ce trafic, entend désormais jouer la carte de la transparence. « Le Rwanda ne souhaite plus être perçu comme un receleur de minerais congolais. L’objectif est de construire une filière propre et vertueuse, qui bénéficie à l’ensemble de la région des Grands Lacs », assure-t-on au ministère des Mines. Il est à noter que des minerais congolais sont acheminés vers le Rwanda, essentiellement à travers des groupes militaires congolais corrompus, et non par des pillages de l’armée rwandaise comme il est souvent dit.
L’accord signé avec l’Union européenne en février 2024 en est la preuve. Cet accord, qui vise à renforcer la traçabilité des minerais critiques comme le tantale, le tungstène et l’étain, prévoit la mise en place de mécanismes de contrôle plus stricts. Ce partenariat fait partie de la stratégie « Global Gateway » de l’UE, qui cherche à promouvoir des pratiques responsables et à réduire le commerce illicite de minerais. « La traçabilité est une nécessité, non seulement pour assainir la filière, mais aussi pour attirer des investisseurs de renom. Le Rwanda a enregistré des avancées sur cet aspect », confie un consultant en investissements miniers. « La mise en place de systèmes de traçabilité et l’industrialisation locale de ces ressources permettraient de réduire le commerce illégal de minerais et de garantir que les recettes issues de l’exploitation minière aillent directement dans les caisses de l’État », poursuit-il.
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La question environnementale et la féminisation des métiers
Le développement du secteur minier rwandais ne se fait pas à n’importe quel prix. Au cœur de cette industrie en pleine expansion, la durabilité et l’inclusion occupent une place centrale, une ligne qu’a tracée Paul Kagamé lui-même. Le Rwanda, engagé à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, impose des normes strictes à ses opérateurs miniers. Une vigilance environnementale qui s’exprime par des évaluations d’impact obligatoires et des plans de réhabilitation pour chaque site exploité. Et gare à ceux qui transgressent : en novembre 2023, pas moins de 13 licences minières ont été révoquées par le RMB pour non-respect des règles. Un message clair.
Dans les mines de Rutongo, cette rigueur est palpable. « Le respect des normes environnementales n’est pas une option, c’est une obligation, confie l’un des superviseurs du site. Nous avons déployé des technologies pour réduire les rejets polluants et mis en place des zones tampons pour protéger la biodiversité autour de nos sites. »
« Nous voulons nous forger une réputation d’exemplarité, avec des standards environnementaux qui dépassent la simple conformité légale pour s’inscrire dans une éthique durable », insiste un cadre du gendarme minier rwandais.
Mais l’ambition du pays des mille collines va bien au-delà de la protection de ses paysages. L’inclusion des femmes dans ce secteur historiquement masculin est aujourd’hui au centre des préoccupations. Si seulement 11,4 % des travailleurs du secteur minier sont des femmes, des entreprises comme Trinity Metals veulent changer la donne. L’entreprise s’est fixé un objectif ambitieux : faire passer la part de femmes dans ses effectifs à 30 % d’ici 2030, en ligne avec les priorités du gouvernement.
À Rutongo, dans les collines où la terre rouge trahit les veines minérales du sous-sol, les femmes prennent de plus en plus de place. « Avant, je n’avais accès qu’aux tâches les plus physiques, raconte une opératrice de la mine. Aujourd’hui, après plusieurs formations, je pilote des machines et je dirige une équipe. » Une progression que l’on doit en partie à l’essor des formations techniques destinées aux femmes dans le secteur. Depuis 2008, Rwanda Polytechnic (IPRC Kigali) propose des programmes spécialisés en géologie et en ingénierie minière, ouverts à tous, avec un accent particulier sur l’inclusion des femmes. « Aujourd’hui, on nous donne vraiment les moyens d’évoluer dans ce métier », poursuit l’opératrice.
Cet effort d’inclusion va de pair avec une réelle amélioration des conditions de vie des communautés locales. « Mon revenu a presque doublé ces dernières années. Avant, je gagnais juste de quoi survivre » confie un ouvrier de la mine de Rutongo. Grâce aux revenus du secteur minier, de nombreux projets communautaires ont vu le jour. Entre 2019 et 2023, ce sont plus de 2 milliards de francs rwandais qui ont été investis dans des infrastructures locales, dont un poste de santé dans le district de Burera. Un développement qui ne se limite plus seulement à l’extraction des richesses du sous-sol, mais à la construction d’un avenir meilleur pour les habitants des régions minières.
Les défis à surmonter pour un hub minier régional
Si les perspectives sont prometteuses, le Rwanda devra surmonter plusieurs défis pour réaliser ses ambitions. Le premier est d’ordre technologique. Bien que le pays ait fait des progrès significatifs en matière de mécanisation, une grande partie de l’exploitation reste artisanale, notamment dans les zones rurales. Pour passer à l’échelle industrielle, des investissements massifs sont nécessaires, tant en infrastructures qu’en formation du personnel. « Nous avons encore besoin d’importer beaucoup de technologies et d’équipements, mais nous progressons. Les partenariats avec des entreprises comme Rio Tinto vont nous permettre de monter en compétences », indique un ingénieur local rencontré sur le site de Rutongo, une mine d’étain située à 26 km au nord de Kigali.
Le deuxième défi est lié à l’accès aux marchés internationaux. Le Rwanda, enclavé, dépend de ses voisins pour ses exportations. Les projets de corridors ferroviaires reliant Kigali à Mombasa au Kenya, ou à Dar es-Salaam en Tanzanie, sont encore à l’étude, et leur réalisation prend du retard. En attendant, le coût du transport reste un frein majeur à la compétitivité des minerais rwandais, bien que ces dernières décennies, Kigali ait considérablement accru la capacité de son réseau routier domestique. Désormais, le pays s’apprête à améliorer sa connectivité régionale et internationale. Premièrement, en prolongeant deux corridors ferroviaires existants : le corridor nord, reliant Kigali à Mombasa via Kampala (Ouganda) et Nairobi (Kenya), et le corridor central, reliant Kigali à Dar es-Salaam. Deuxièmement, avec la construction du nouvel aéroport international de Bugesera, situé à 40 km au sud de Kigali, un vaste projet de 2 milliards de dollars.
Mais au-delà des infrastructures, l’accès au financement constitue un obstacle pour les acteurs locaux. « Les banques locales sont souvent réticentes à prêter pour des projets miniers à cause des risques perçus. Il est difficile pour nous d’obtenir des financements à des taux abordables, ce qui freine notre développement », explique un propriétaire d’une carrière dans l’ouest du pays. En dépit des efforts de modernisation, la majorité des petites entreprises minières locales peinent à obtenir les ressources nécessaires pour investir dans les technologies et les machines indispensables à l’amélioration de leur productivité.