La réforme constitutionnelle permet à Vladimir Poutine de prolonger son pouvoir

15 avril 2020

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Vladimir Poutine lors d’une conférence sur le développement de l’industrie spatiale à la résidence Novo-Ogaryovo, le 10 avril 2020, Auteurs : Alexei Druzhinin/TASS/Sipa USA/SIPA, Numéro de reportage : SIPAUSA30212555_000002.

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La réforme constitutionnelle permet à Vladimir Poutine de prolonger son pouvoir

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« Il faut que tout change pour que rien ne change. » Voilà comment la réforme constitutionnelle initiée en Russie pourrait être qualifiée. Si des modifications institutionnelles sont à prévoir, le rôle que détiendra Vladimir Poutine n’en sera sûrement pas changé. 

 

En s’adressant le 15 janvier dans la salle du Manège, près du Kremlin, devant un parterre de 1 300 personnes, et faisant notamment allusion à la stabilité politique recouvrée du pays, le président Poutine avait estimé que la Constitution russe, adoptée il y a un quart de siècle, ne correspondait plus à la situation actuelle du pays. D’où sa proposition d’y apporter un certain nombre de modifications. La principale mesure annoncée visait alors à renforcer le rôle du Parlement dans la formation du gouvernement, lui donnant la prérogative d’élire le Premier ministre que le président serait obligé de nommer. Le processus de réforme est allé très vite. Le Kremlin ne cachait pas son intention de la boucler au printemps, avant la célébration du 75e anniversaire de la victoire à l’issue de la Grande Guerre patriotique, le 9 mai 2020. Une série d’amendements ont donc été rendus publics dès le 20 janvier sur le site internet de la Douma. Une fois de plus, Vladimir Poutine a pris tout le monde de vitesse. Dans ses grandes lignes, la réforme proposée correspondait à ce qu’il avait indiqué dans son discours du 15 janvier : le Parlement aura un rôle plus important pour désigner le Premier ministre. Toutefois, les pouvoirs du président resteraient considérables, et même accrus dans certains domaines. En outre, le nombre de mandats effectués au Kremlin était limité à deux au total, et non deux « consécutifs » comme indiqué dans la constitution de 1993. Une subtilité qui avait permis à Vladimir Poutine de se représenter en 2012, après une interruption de quatre ans. Mais cette réforme conçue au départ comme un simple rééquilibrage institutionnel a commencé à prendre une autre forme.

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À l’initiative du président, un certain nombre d’amendements très symboliques sont apparus, lundi 2 mars, dans le texte soumis au vote des parlementaires. L’un des plus frappants fut l’apparition de la mention de « Dieu » dans le texte constitutionnel, proposé par le patriarche orthodoxe Kirill, alors que dans son article 14, la Constitution de 1993 précisait que la Fédération de Russie est « un État laïque ». La future version de la Constitution devrait mentionner, dans un article sur les « millénaires » de continuité historique de la Fédération de Russie, « la mémoire de nos ancêtres qui nous ont transmis des idéaux et la foi en Dieu ». Le même article notait que la Russie est « le successeur de l’URSS ». Le texte devait désormais être voté en deuxième lecture par l’Assemblée le 10 mars, avant un « vote populaire » fixé – est-ce un pur hasard ? – le 22 avril, date d’anniversaire de la naissance de Lénine. « Les amendements du président sont le résultat de son dialogue avec les représentants de toutes les factions et de la société civile », a indiqué dans un communiqué le président de la Douma, Viatcheslav Volodine. Les amendements présidentiels prévoyaient également d’inscrire dans la Constitution le fait que « le mariage est une union entre un homme et une femme » et affirment que « les familles, la maternité, la paternité et les enfants » doivent être défendus par l’État. S’agissant d’identité, il est également précisé que le peuple russe est le « peuple constitutif » de l’État russe. Le droit des autres peuples de la Fédération à parler leur langue restera toutefois garanti par la Loi fondamentale. D’autres thèmes chers au président russe ont fait également leur apparition, comme l’interdiction de « déprécier l’exploit du peuple dans la défense de la patrie ». Allusion directe à la Seconde Guerre mondiale, objet d’une bataille mémorielle entre Moscou et plusieurs de ses voisins, au premier chef la Pologne. L’État se voit de plus assigner l’obligation de « protéger la vérité historique ».

 

L’imprévu arriva mardi 10 mars. En fin de discussion, avant de passer au vote, une députée du Parti Russie unie, Valentina Terechkova, la première cosmonaute qui est allée dans l’espace en juin 1963, proposa de « réinitialiser » le compteur limitant actuellement à deux les mandats présidentiels en Russie. Quelques instants après, Vladimir Poutine fit son apparition à la Douma pour exprimer son soutien à cette proposition. « Si la Cour constitutionnelle russe conclut officiellement qu’un tel amendement n’est pas contraire à la loi fondamentale [et] seulement si les citoyens soutiennent un tel amendement lors du vote national du 22 avril. » Si la Cour constitutionnelle le valide, ce qui semble acquis, et que le peuple vote pour, Vladimir Poutine pourrait de nouveau se présenter à l’élection présidentielle en 2024. Comme pour contrebalancer l’effet provoqué par cette innovation, que l’opposant Alexeï Navalny a qualifiée de « coup d’État constitutionnel »,Vladimir Poutine a souligné l’importance que revêtait la possibilité d’une alternance politique : « À une époque où le pays a encore beaucoup de problèmes, mais que les domaines politique, économique et social gagnent en stabilité interne, en maturité, lorsque l’État devient, bien sûr, plus puissant et difficile à rendre vulnérable de l’extérieur, alors la possibilité d’un changement de pouvoir se pose, bien entendu. Il est nécessaire à la dynamique du développement du pays. » Il a ajouté « qu’à long terme » la société devrait avoir les garanties d’un changement régulier de pouvoir. « Nous devons penser avec vous aux générations à venir. »

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Si Vladimir Poutine dispose désormais d’une large possibilité pour prolonger son « règne » à la tête de la Russie, est-ce à dire qu’il utilisera forcement la possibilité qu’il aura de se représenter à nouveau à la magistrature suprême en 2024 ? À ce stade, il paraît encore prématuré de l’affirmer avec certitude. Ce que cherche avant tout le « leader de la nation », c’est de disposer d’un maximum d’options, de s’assurer que son œuvre de restaurateur de la Russie ne soit pas remise en cause et de ne pas être affaibli en fin de mandat par la perspective de son départ, laquelle ne manquerait pas d’être fratricide. Si gouverner c’est prévoir, c’est aussi en ces temps d’airain se ménager le bénéfice de la surprise, sans laquelle tout pouvoir perd quelque peu de son aura, surtout en Russie dont l’héritage politique et symbolique reste différent de celui des démocraties occidentales.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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