Chef d’Etat autoritaire ? Homme providentiel ? Analyser et comprendre Vladimir Poutine demeure complexe. Frédéric Pons vient nous donner son point de vue sur un personnage qui, quoi que l’on en dise, a réussi à mettre fin à la décomposition économique et sociale de la Russie et à devenir un acteur majeur du concert des nations.
Votre ouvrage intitulé Poutine a été publié chez Calmann-Lévy en 2014, année de l’annexion de la Crimée. Pourquoi l’avoir sorti cette année-là, et pourquoi Poutine ?
Avant 2014, j’avais fait dans Valeurs Actuelles de nombreux reportages en Russie et beaucoup de sujets sur Vladimir Poutine. J’avais ainsi pu rassembler une documentation importante sur ces sujets. J’avais rencontré de nombreux interlocuteurs et mis en boite des témoignages passionnants. Parallèlement, dans les articles de presse ou même dans les études dites « sérieuses », je pouvais constater la faiblesse des informations, la résurgence des mêmes caricatures sur ce pays complexe et sur son dirigeant. J’ai donc commencé à vouloir approfondir, pour nourrir mes articles, pour échapper à la vulgate diffusée par le courant dominant.
Et qu’avez-vous découvert ?
Des choses passionnantes, des informations cachées ou déformées. Plus je creusais, plus je trouvais Poutine plus intéressant que ce qu’on pouvait en dire, plus riche, plus complexe, plus inquiétant aussi parfois. Le besoin d’explications et de clarté sur sa personnalité et sa politique m’a convaincu d’aller plus loin.
En quoi la crise ukrainienne a -t-elle été un facteur déclenchant ?
Cette crise commence en 2012-2013. Elle culmine en février-mars 2014 avec la « révolution de Maïdan » suivie de l’annexion de la Crimée. J’avais déjà parlé à mon éditeur de mon projet de biographie politique totale sur Poutine, en expliquant sa longévité au pouvoir (depuis 2000), la faiblesse et le conformisme des informations sur lui. Lorsque la crise en Ukraine a tourné à la confrontation directe entre la Russie, d’une part, l’Europe et les États-Unis d’autre part, j’ai compris que c’était le bon moment, pour mettre au clair tout ce que j’avais pu récolter, pour éclairer Poutine de la façon la plus originale et la plus libre possible. Je vous rappelle aussi que la Russie organisait au même moment les Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, vitrine de la nouvelle Russie poutinienne.
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Ce livre a rencontré le succès, traduit aujourd’hui en quatre langues…
Bientôt en cinq langues ! Oui, c’est un « long seller », car il propose aux lecteurs une biographie originale, sans équivalent sur le marché, parfaitement renseigné sur la famille et l’enfance de Poutine, sur ses années de formation, ses rêves, le KGB, ses désillusions, ses choix politiques.
En quoi Vladimir Poutine est-il si différent des autres dirigeants politiques du moment ?
D’abord, par sa durée au pouvoir. Élu la première fois en mars 2000, il devra quitter le Kremlin en 2024, à la fin de son second mandat consécutif, au terme duquel il ne peut plus se représenter. Soit 24 ans au pouvoir, comme président ou Premier ministre. C’est exceptionnel. Dès son arrivée au pouvoir, il proposa aux Russes une sorte de contrat politique, un programme pour les années à venir, rédigé en décembre 1999. Dans mon livre, j’ai traduit in extenso ce document majeur, ce qui n’avait jamais été fait. J’ai rencontré de nombreux diplomates français qui en ignoraient même l’existence.
Pourquoi ce document est-il si important ?
Poutine y fait le procès en règle, implacable, du système soviétique qui a placé la Russie dans « une impasse », selon son propre mot. Il y propose surtout le programme qui permettra à la Russie de sortir de son marasme et de lui redonner sa place dans le monde. En lisant ce texte en 2020, on comprend mieux la vision stratégique de Poutine pour son pays, le sens des efforts demandés à son peuple, les promesses faites qu’il a, en grande partie, tenues. C’est pour cela qu’il est resté aussi populaire dans son pays.
La Constitution actuelle lui impose de partir en 2024. Le fera-t-il ?
Oui, je le crois. Logiquement, à l’issue de ce second mandat consécutif, Poutine ne peut pas se représenter. Je vois trois hypothèses. Soit il modifie la Constitution pour se représenter, mais il ne l’a pas fait en 2008 ; je ne pense pas qu’il le fera, car il est plus légaliste que l’on ne le croit. Soit, il redevient Premier ministre pour six ans et, en 2030, il pourra se représenter à la présidence. Mais il aura 77 ans…
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Et la troisième hypothèse ?
C’est celle à laquelle je crois. Il se retire en 2024 après avoir consolidé les institutions et mis sur orbite politique un successeur de confiance. Des noms circulent, évidents, de vrais poutiniens dans son entourage immédiat actuel, comme Choïgou, Ivanov. Il pourrait aussi sauter une génération, choisir un quadragénaire ou un jeune quinquagénaire, n’ayant pas ou peu connu la période soviétique, formé au moule Poutine. Ses dernières décisions montrent qu’il prépare sa succession, même s’il n’a pas intérêt à désigner un successeur dès maintenant. Cela se fera, sans doute, en 2023, pas avant.
Comment Poutine a-t-il utilisé cette exceptionnelle longévité ?
Elle lui a permis de gouverner pour appliquer ce qu’il avait annoncé, dès 1999. Tout n’a pas réussi, tant s’en faut, mais le bilan est là : il a restauré la Russie à l’intérieur et à l’extérieur. Malgré tous les chantiers qui restent à mener, il a sauvé son pays de l’effondrement postsoviétique, ce qui était une menace très réelle. Il l’a stabilisé et rebâtit l’administration. Il a assaini l’économie, aidé, il est vrai, par le cours très favorable des hydrocarbures pendant des années. Il a restauré la place de la Russie dans le monde, sur les plans diplomatique et militaire, ce qu’a bien montré l’intervention en Syrie, à partir de 2015, et le rôle clé que joue aujourd’hui la Russie en Orient.
Mais des échecs, il y en a beaucoup…
Bien sûr, notamment dans le domaine économique, qui reste encore trop dépendant de la rente pétrolière et gazière et des importations de technologies de pays étrangers. On peut aussi évoquer ce que certains appellent la « face noire du poutinisme » : un certain manque de respect des Droits de l’Homme, phénomène largement exagéré par les anti-Poutine, ou la corruption, diminuée, certes, sans pour autant avoir été éradiquée. Il n’en reste pas moins que le bilan majeur de ces deux décennies est bien le sauvetage de la Russie. En 2000, le pays s’effondrait sur tous les plans. Poutine a stoppé net ce processus mortifère et redonné à la population russe sa fierté et des perspectives. Cela se vérifie dans le domaine démographique : la natalité et la fécondité se sont redressées ces dernières années.
Qui est réellement Vladimir Poutine ?
Il est difficile de faire une synthèse sur cette personnalité très riche, très complexe, qui a traversé tous les soubresauts de l’histoire de la Russie de ces trente dernières années. En premier lieu, Poutine est d’abord un patriote russe, après avoir été un authentique patriote soviétique. Naguère officier du KGB, la structure politico-policière de l’Union soviétique, il crut sincèrement au mythe de l’Union soviétique. Lors du processus de démembrement de l’URSS, dans les années 1986-1991, il comprit les erreurs et l’inanité du régime qu’il servait depuis sa jeunesse. Le patriote russe réapparut, avec une idée-force : servir et relever son pays. Il le fit d’abord à Saint-Pétersbourg, ensuite à Moscou.
Pourquoi insistez-vous autant sur le rôle de sa ville, Saint-Pétersbourg (l’ancienne Leningrad), dans sa trajectoire personnelle et politique ?
C’est la ville de sa famille, de son enfance, de sa jeunesse. Une cité chargée d’histoire et de fierté russes, de son fondateur, le tsar Pierre le Grand, à l’épopée patriotique du siège de Leningrad, 872 jours (septembre 1941-janvier 1944) d’horreur face aux Allemands (1,8 million de victimes). À Leningrad, Poutine observa la grandeur du passé russe et la décrépitude soviétique. Il y fit ses études de droit, ses premiers pas d’officier du KGB. Il vécut sa première expérience d’administrateur civil et de responsable politique, aux côtés du maire réformateur, Anatoli Sobtchak.
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Le début de son ascension…
Oui. À Saint-Pétersbourg, puis à Moscou, il bénéficia de la pénurie de cadres de bon niveau dans la Russie postsoviétique, ce qui lui permit de monter très vite les échelons, en s’appuyant sur son réseau d’amis fidèles : les anciens du KGB et les amis pétersbourgeois.
Voulait-il absolument le pouvoir ?
Il est difficile de répondre avec certitude, car Poutine ne s’est jamais vraiment exprimé à ce sujet. Je crois qu’il a découvert la possibilité du pouvoir en arrivant à Moscou, à partir de 1996. C’est là où sa vision devint très politique et où son ambition personnelle prit forme. Il fut aidé par son énorme capacité de travail, par sa loyauté et son sens du secret, par son manque apparent d’ambition personnelle. Il a bénéficié des circonstances : la déliquescence de la présidence Eltsine (1996-1999). Il s’est appuyé aussi sur ses réseaux propres.
Lesquels ?
Ceux des services de sécurité et de renseignement, forgés au KGB, et ceux des amis de Saint-Pétersbourg. La deuxième ville de la Russie fut réellement le laboratoire de la réforme politique de la Russie, à la fin de l’URSS, une pépinière de futurs cadres et responsables de la période Poutine. Observateur actif, Poutine constata en 1998-1999 que le pouvoir était à portée de main. Il accepta les responsabilités successives que lui confia le clan Eltsine : directeur de l’administration présidentielle, patron du KGB, Premier ministre, président par intérim. À la fin de la présidence de Eltsine, le président et ses amis oligarques souhaitaient pérenniser leur système crypto-mafieux. Réputé travailleur, bien formé, honnête et sans envergure, Poutine leur sembla le meilleur candidat pour servir leurs intérêts…
Que s’est-il passé ?
Poutine avait le goût du secret, une certaine duplicité. Très manœuvrier et pragmatique, il sut s’adapter au clan Eltsine. Il accepta le pouvoir pour, ensuite, n’en faire qu’à sa tête. Il sera d’une efficacité étonnante. En quelques mois, il reprit en main l’ensemble de l’appareil d’État, met au pas les oligarques qui lui étaient hostiles, en ralliant à sa cause ceux qui ne voulaient pas faire de politique. Il catalysa leur énergie et leur savoir-faire pour les mettre au service du son œuvre de restauration nationale. Les Russes lui en surent gré, dès cette époque, comme d’avoir su mettre fin à la guerre en Tchétchénie.
Poutine peut-il s’enorgueillir de cette guerre atroce ?
Mais oui, bien sûr. Et les Russes l’en remercient encore d’avoir su mener et gagner cette guerre. Pour eux, elle a transformé Poutine en héros.
Ce n’est pas le cas pour les Occidentaux…
En effet. C’est là, dans ces années 2000-2005, que naît l’image du « Poutine boucher », du « dirigeant sans pitié ». Mais les Russes ont une toute autre image de leur président. En 2000, l’armée rouge avait perdu la première guerre de Tchétchénie, humiliée par les islamistes tchétchènes. Des centaines de jeunes Russes mouraient chaque année dans le Caucase. Dès son arrivée au Kremlin, Poutine annonce aux Russes et à son armée : « Je vais faire la guerre. Ce sera dur. Mais nous allons gagner. Nos fils n’iront plus mourir en Tchétchénie. » Il a tenu parole. Il a gagné cette guerre et redonné sa fierté à l’armée russe.
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Mais à quel prix ?
Cette guerre s’est faite « à la russe » ou « à la caucasienne », dans des conditions terribles, sans rapport évidemment avec les règles éthiques en vigueur dans la plupart des armées occidentales. Les reportages de l’époque ont décrit la Tchétchénie comme une boucherie innommable, mais en noircissant systématiquement les actions de l’armée russe et donc de leur chef, Vladimir Poutine. En face, les islamistes étaient de fieffés barbares, à l’image de ceux que nous affrontons au Sahel. Cette image négative, en grande partie caricaturale, s’est imposée, dès cette époque, dans l’esprit des dirigeants et de la classe médiatico-politique en Europe. Elle contribue, encore aujourd’hui, à dégrader la perception que nous avons de Poutine.
La Tchétchénie marque-t-elle le début du redressement de la Russie ?
Oui, en partie, les prémices de ce retour de la Russie. La date importante, dans ce domaine, est 2008, lorsque la Russie s’opposa à l’absorption de la Géorgie par l’OTAN, au terme d’une « guerre » de huit jours, habilement menée. Le monde put alors constater que la Russie n’était déjà plus ce paillasson sur lequel l’Amérique croyait pouvoir s’essuyer les pieds, ce pays déclassé, tiers-mondisé, sorti de l’histoire comme l’analysaient de nombreux rapports de la CIA. Quelques années plus tard, il y eut l’Ukraine et l’annexion de la Crimée, un coup stratégique magistral pour les Russes, mais un dossier qui empoisonne encore aujourd’hui les relations entre la Russie et le reste du monde.
Cette image négative de Vladimir Poutine est-elle de nature à lui nuire ?
Pas vraiment. Sa brutalité, son regard froid, son réalisme glacial ont en effet nourri sa légende noire, mais il n’en a cure et il en joue. Il travaille d’abord pour les Russes, comme Donald Trump travaille d’abord pour les Américains. Poutine sait que cette image de chef d’État dur, intransigeant, viril, sain, parle à la majorité des Russes. C’est ce qu’elle attend : un chef d’État respecté, craint, qui fait respecter et craindre son pays. En Occident, nous avons mis du temps à le comprendre. Et d’ailleurs, notre classe médiatico-politique dominante, largement soumise au déferlement de la propagande des néo-conservateurs américains, ne l’a pas encore compris.
Peut-on alors parler du « poutinisme » comme d’une doctrine d’État en Russie ?
Il est difficile de parler de « poutinisme », car Poutine n’a pas de doctrine et il est tout sauf un doctrinaire. Ce « poutinisme » pourrait toutefois se résumer en quelques mots : patriotisme fort, russisme intransigeant, pragmatisme absolu. Poutine s’adapte aux circonstances, à la force ou aux faiblesses de ses adversaires, qu’il sait parfaitement exploiter. Méthodique par sa formation au KGB, réaliste froid, il évalue, s’entoure d’avis contradictoires et se place toujours en position d’arbitre entre les options proposées par ses conseillers. Il le fait chez lui et à l’étranger, quand il joue les facilitateurs de paix en gardant le contact avec tous les camps, notamment au Moyen-Orient. Il est le seul à le faire. À ce titre, il mériterait le prochain prix Nobel de la Paix…
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Quelle est cependant son idée directrice ?
Sa constante a été et reste la restauration de la grandeur de la Russie, par la réforme intérieure et la politique extérieure. Son patriotisme a évolué vers une sorte de « russisme », mélange de nationalisme et de foi religieuse, ce qui le situe exactement dans la tradition de la grande histoire russe, associant un Kremlin fort à une Église orthodoxe prééminente. Au fil des ans, Vladimir Poutine s’est appuyé de plus en plus sur l’Église, autant qu’elle s’est appuyée sur lui. Un binôme solide associe Poutine et le patriarche Kirill depuis 2008. Ils se soutiennent l’un l’autre, pour le plus grand profit de la Russie. Ce mélange de vision politique et religieuse au service de la grandeur russe définit aussi le « poutinisme ».
Vladimir Poutine s’intéresse-t-il à l’histoire ?
Beaucoup, depuis toujours. Il a puisé dans l’histoire de la Russie tout ce qui lui a permis de structurer son action politique. Il veut en être la synthèse, engerbant les heures sombres et lumineuses, sans rejeter aucune période.
D’où ce reproche qui lui est souvent fait d’exonérer le communisme soviétique de ses crimes…
Oui, mais il faut comprendre son choix, que semble approuver une majorité de ses compatriotes. Par prudence ou par foi profonde, il prend l’histoire de la Russie comme un tout, du baptême du prince Vladimir, à la fin du Xe siècle, jusqu’à aujourd’hui, en passant par les tsars, Lénine et Staline, Gorbatchev et Eltsine. Il a une admiration particulière pour Pierre le Grand, le tsar réformateur, ouvert à l’Ouest. Poutine cite aussi souvent un homme d’État étranger, Napoléon. Il voit en lui le dirigeant qui restaura la France, après les troubles de la Révolution, comme lui, Poutine, rebâtit son pays après dix années d’anarchie.
Quelles sont les autres figures qui l’ont inspiré ?
On peut citer le philosophe Ivan lline (1883-1954), aristocrate russe traqué par les bolcheviks, réfugié en Suisse, nationaliste, anticommuniste, très critique sur le modèle démocratique occidental qu’il jugeait incompatible avec la Russie. Je pourrais aussi citer Soljenitsyne. Poutine lui a rendu souvent hommage et Soljenitsyne admirait Poutine, comme le sauveur du pays, le restaurateur du conservatisme russe sur les plans politiques, moral, sociétal et religieux. Autres références évidentes : le panslaviste Nikolai Danilevski (1822-1885), chantre de la « voie russe », différente par essence des autres modèles, notamment occidentaux ; le conservateur anti-libéral Konstantin Leontiev (1831-1891), contempteur de la décadence matérialiste de l’Occident ; le scientiste Lev Goumilev (1912-1992), promoteur de l’eurasisme, rassemblant les Slaves orthodoxes et les populations d’Asie centrale.
D’où ce rapprochement actuel de la Russie avec la Chine ?
Peut-être, mais je crois plutôt qu’il s’agit d’un rapprochement circonstanciel depuis que l’UE a choisi de tourner le dos à Vladimir Poutine. Si les Européens lui tendaient de nouveau la main, il reviendrait à sa grande idée de 2008 : bâtir une Europe de Lisbonne à Vladivostok.
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Si vous deviez retenir un événement caractéristique du règne de Poutine, quel serait-il ?
Je vois un moment symbolique, d’une grande force politique : l’annexion de la Crimée, arrachée à l’Ukraine en mars 2014. Cette « récupération » d’une terre naguère russe a libéré la Russie d’un chantage ukrainien permanent sur la presqu’île de Crimée et son port stratégique de Sébastopol. Même chez les opposants russes, rares sont ceux qui ont condamné cette décision, même si la Russie le paie chèrement avec les sanctions internationales. Sur le plan intérieur, ce « coup » a ressoudé les Russes. À l’extérieur, il a manifesté le retour de la Russie dans le concert des nations.
Un autre événement majeur est l’intervention russe en Orient depuis 2015. Il lui a donné toutes les cartes stratégiques pour parler à tout le monde : Israël et l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite. C’est assez fort, quand même !
Pour ce qui est des relations franco-russes, Emmanuel Macron s’efforce-t-il d’être plus réaliste à propos de Vladimir Poutine ?
Oui, et c’est tant mieux. Souvenez-vous du Général de Gaulle qui parlait toujours de la Russie et non de l’Union soviétique. Pour lui, sous l’acier du système soviétique, la Russie éternelle, amie de l’Europe et de la France, continuait de vivre. C’était une carte à ne pas abandonner. Emmanuel Macron tente peut-être de renouer avec cette tradition du réalisme diplomatique. La réalité est que la Russie est un grand pays européen, un partenaire obligé de l’Europe. Si M. Macron relance une passerelle sur le gouffre actuel, tant mieux. Il en va de l’intérêt stratégique et économique de la France et de l’Europe. Renouer le dialogue avec Poutine permettrait sans doute de mieux défendre nos intérêts et de se désengager de la tutelle américaine. En recevant Poutine à Versailles puis à Brégançon, M. Macron a amorcé un tournant. Mais les mots et les gestes ne suffisent pas. Il faut des résultats.
Faudra-t-il modifier le système des sanctions appliquées depuis 2014 ?
Sans aucun doute. En tout cas, les alléger, à la mesure de la reprise du dialogue, ce qui, pour l’instant, n’est pas à l’ordre du jour, notamment à cause de la soumission au diktat américain.
Frédéric Pons, Poutine, Calmann-Lévy, octobre 2014, 364 pages.
Propos recueillis par la Revue Conflits