Si la Russie conserve des fragilités, le niveau de vie des Russes s’est considérablement accru depuis les années 1990. Cette mutation sociale s’accentue aujourd’hui avec la révision constitutionnelle enclenchée par Vladimir Poutine.
Quel est votre point de vue sur l’état actuel de la société russe ? Comment a-t-elle évolué depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, en 2000 ?
Premier constat : les Russes vivent nettement mieux aujourd’hui, c’est indéniable. Il faut se reporter au texte que V. Poutine a écrit le 30 décembre 1999 : La Russie au tournant du millénaire, à la veille de son arrivée au Kremlin. C’est un texte programmatique, il y décrit l’état de l’économie russe, de la société et même l’état moral du pays à la sortie des années 1990 – une décennie que les Russes appellent les « années terribles », qui ont laissé un mauvais souvenir dans la mémoire collective – et trace la voie du redressement qu’il propose. Au cours de cette décennie 1990 le PIB de la Russie a été divisé par deux. Entre 2000 et aujourd’hui, il a été multiplié par quatre.
Mais pour mesurer le niveau de vie de la population, les indicateurs les plus sensibles sont sans doute l’espérance de vie et le taux de fécondité. L’espérance de vie était tombée, en 2000, à 65 ans, avec un point bas pour l’espérance de vie des hommes à 58 ans en 1994. En 2019 elle est de 73 ans, soit un gain de 8 ans en 20 ans, ce qui est considérable ! Et l’objectif est d’atteindre le « club des 80+ » à l’horizon 2030. Le deuxième indicateur, c’est le taux de fécondité (le nombre d’enfants par femme). Il était tombé, en 2000, à 1,16 enfant, ce qui est dramatiquement peu, inférieur même à ce qu’il était en pleine guerre (1,3 en 1943), alors que le seuil de renouvellement est de 2,1. Il est monté à 1,76 en 2016, est redescendu aujourd’hui à 1,5. L’objectif est 1,7 d’ici 2024.
À quoi est dû le renouveau de la natalité ?
La démographie est la priorité numéro un de la politique intérieure, et ce, pour une raison simple : les Russes ne sont pas assez nombreux pour occuper le territoire sur lequel ils vivent. Ils sont un peu moins de 147 millions dans un pays qui fait 25 fois la France et qui a plus de 4 000 kilomètres de frontière avec la Chine. Le long de cette frontière il y a côté chinois un trop plein démographique, avec une densité de 100 hab/km2, et côté russe le vide sibérien avec 1 hab/km2. C’est d’autant plus préoccupant que cette région d’Extrême-Orient regorge de ressources naturelles qui sont stratégiques pour la Russie. Et qui intéressent fortement les Chinois. La démographie est donc la première des priorités dans les mesures présentées par V. Poutine dans les « décrets de mai », en mai 2018, après sa réélection et qui constituent son programme jusqu’en 2024.
Mais le tournant pro-natalité a été pris dès 2007-2008, lorsque les finances publiques russes se sont redressées, après les deux premiers mandats de Poutine qui ont vu une croissance économique de l’ordre de 7 à 8 % par an, dans un contexte de prix du pétrole favorable. La mesure la plus symbolique prise alors est l’introduction du « capital maternel », une somme d’argent versée aux familles pour l’arrivée du deuxième enfant.
Quelle est la réalité de ce « capital maternel » ?
C’est une somme qui correspond à 7 000 euros environ ; dans un pays où le salaire moyen est légèrement supérieur à 500 euros, c’est une somme appréciable. Elle a été récemment étendue d’ailleurs à l’arrivée du premier enfant. Cette somme est versée par l’État fédéral et les différentes régions russes ajoutent des subsides en fonction du niveau de vie local. Le niveau de vie est très différent d’une région à l’autre, Moscou et Saint-Pétersbourg ont un niveau de vie bien plus élevé que le reste de la Russie.
Dans son discours à la nation de janvier dernier, le président russe a d’ailleurs mentionné un certain nombre d’autres soutiens financiers pour les familles, notamment pour les enfants de 3 à 7 ans, qui vont dans le même sens. Le soutien à la natalité est vraiment un axe fort de sa politique intérieure. C’est logique, car, avec l’augmentation de l’espérance de vie, c’est un des leviers pour arriver à une stabilisation de la population russe qui est menacée de décroissance forte dans les années qui viennent, et ce pour une raison simple : les classes creuses nées pendant cette « terrible » décennie 1990 arrivent à l’âge adulte et le nombre de parents potentiels est moins élevé que par le passé, donc les familles nombreuses sont encouragées.
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Pour ce qui est de la mortalité, il nous est possible d’évoquer le problème de la médecine. Son amélioration fait-il partie des priorités du président ?
Absolument, pour les mêmes raisons démographiques. Les gens vivent, aujourd’hui, plus longtemps en bonne santé. À l’époque de l’Union soviétique, la médecine était officiellement gratuite, mais en réalité, il fallait payer (en pots de vin) pour avoir accès à des soins vraiment performants.
Aujourd’hui, tout est fait pour que la médecine soit de qualité, que les salaires des médecins soient meilleurs, et qu’il y ait des centres médicaux accessibles sur tout le territoire. Le mandat qui a débuté en 2018 a une connotation sociale forte. L’accent est mis sur l’éducation et la santé, maintenant que l’armée a été reconstruite. Dans la lutte contre le coronavirus, qui touche peu la Russie pour le moment s’il l’on en juge par le nombre de malades (une petite centaine actuellement), V. Poutine a demandé le 17 mars que les membres du corps médical impliqués dans cette lutte touchent une rémunération supplémentaire, signe de cette préoccupation particulière pour le secteur médical. Dans un contexte économique qui sera impacté d’une manière ou d’une autre par la crise sanitaire mondiale, il ne faut pas oublier que la Russie a constitué des fonds de réserve, le fonds souverain russe créé dès 2004, qui a été scindé en deux en 2008, avec la création du fonds de réserve du « bien-être national ». Ces fonds ont permis de faire face aux crises de 2008 et de 2014.
Concernant l’administration fédérale, comment la Russie est-elle organisée et quel est le poids du président par rapport à celui de ses représentants en province ?
On peut relever un détail amusant concernant l’administration présidentielle : les conseillers les plus proches du président ne sont pas appelés « conseillers » comme en France, mais « collaborateurs », en russe « assistants ». L’administration présidentielle est clairement structurée autour du président, d’une manière certainement plus forte que chez nous, selon la fameuse « verticale du pouvoir » qui caractérise le mode de gouvernance russe.
Dès son arrivée au pouvoir en 2000, Poutine a créé l’échelon des « polpred », représentants plénipotentiaires du président, qu’il nomme lui-même, en divisant la Russie en 7 districts fédéraux. À l’échelon inférieur, les gouverneurs, qui étaient élus jusqu’en 2004, ont été nommés à partir de cette année-là, la décision a été prise après le terrible attentat de Beslan. Pour comprendre cette reprise en main, qui peut sembler peu démocratique, il faut se remémorer le contexte particulier de ces années 2000, avec la guerre de Tchétchénie et de forts troubles intérieurs liés pour une large part au terrorisme islamiste. À présent les gouverneurs sont de nouveau élus, et il arrive que des gouverneurs issus du parti Russie Unie, le plus fort soutien politique de Poutine, largement majoritaire au Parlement, soient battus. Les seconds tours dans les élections régionales ne sont plus une exception. Et il est intéressant d’observer que parmi les gouverneurs, de nouveaux visages apparaissent. Derrière le tandem Poutine-Medvedev qui avait l’air immuable jusqu’à récemment, il y a en réalité, un fort renouvellement – et un fort rajeunissement – des cadres et des responsables politiques. Cela dit, le mode de gouvernance reste concentré autour de la personne du président et très régulièrement V. Poutine rencontre en tête à tête les différents gouverneurs, que ce soit au Kremlin ou lors de ses très nombreux déplacements en région.
Est-ce que les élections, qu’elles soient fédérales ou régionales, sont truquées, ou bien se déroulent-elles dans le respect des règles démocratiques ?
C’est une question importante, car la confiance dans le système électoral est à la base de tout. Le taux de confiance que les Russes ont dans leur système électoral est régulièrement mesuré. Depuis 2016, la commission électorale est dirigée par une femme, Ella Pamfilova, et entre 2016 et 2018, ce taux est passé de 60% à plus de 80 %. Qu’il y ait eu des fraudes, les Russes le savent, mais la Russie n’a pas le monopole de ce genre de méfaits. Regardons les États-Unis ou la France ; il faut se garder de donner des leçons ! Surtout que les Russes votent de manière libre depuis 1991 seulement. Il faut toujours avoir à l’esprit la jeunesse de cette démocratie qui n’a pas la même histoire que la nôtre. Et on sait très bien aujourd’hui que l’élection présidentielle de 1996, qui a permis à Boris Eltsine de se maintenir au pouvoir, a été trafiquée pour empêcher les communistes de revenir au Kremlin. Aux dernières élections présidentielles, 80 % des bureaux de vote étaient équipés de caméras, ce qui diminue grandement le risque de fraude. En revanche ce qui est certain, c’est que la possibilité de concourir aux élections est contrôlée selon un mode qui peut nous sembler peu transparent. Cela a d’ailleurs donné lieu à de grandes manifestations à Moscou l’été dernier pour des élections locales moscovites.
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Eu égard au corps électoral de V. Poutine, bien qu’il puisse y avoir des truquages, cela remet-il en cause sa légitimité de président ?
Non. Il faut se reporter aux analyses du Centre Levada, qui est un organisme très sérieux de sondage et d’analyse sociologique basé à Moscou. Il est indépendant du gouvernement. Il avait analysé que le taux de popularité de Poutine était de l’ordre de 60 % avant les tensions liées à la Crimée en 2014 et qu’il était monté à 80 % après « le rattachement » ou « l’annexion », comme chacun voudra, de la Crimée en mars 2014, sans vraiment redescendre depuis. Dans ce cadre, le score de 76,6 % de Poutine le 18 mars 2018 à l’élection présidentielle, 4 ans jour pour jour après cet événement, est parfaitement logique.
À l’aune de ces différentes réponses, comment qualifieriez-vous le régime politique russe ? Est-ce un régime présidentiel ou parlementaire ?
Un régime parlementaire ? Certainement pas. V. Poutine le revendique clairement : un État fort, avec une autorité forte au sommet de l’État, n’est pas une anomalie pour la Russie au regard de son histoire et de ses traditions. C’est au contraire le garant de l’ordre et le vecteur principal de tous les changements. Avant la révolution de 1917, la première Assemblée législative russe, la Douma, n’a été instaurée qu’en 1906. Après la chute de l’URSS, et l’adoption d’une Constitution en 1993, c’est un régime présidentiel fort. Il faut se souvenir dans quelles conditions cette Constitution a vu le jour, sur fond de conflit, et même de conflit armé, entre le Parlement et le Kremlin. Mais la conscience politique russe a mûri depuis 1993 et l’environnement n’est plus le même. Des partis politiques assez stables se sont constitués peu à peu. D’où la justification par Poutine en janvier dernier des changements qu’il souhaite introduire dans la Constitution, en donnant davantage de pouvoir au Parlement.
Si l’on se reporte à ce texte de 1999 mentionné plus haut, V. Poutine disait clairement que la Russie ne serait pas bientôt, et sans doute jamais, une réplique des États-Unis ou de l’Angleterre, car il n’y avait pas de tradition libérale profondément ancrée en Russie.
Qu’entendez-vous par « régime présidentiel » ?
Dans le système russe actuel, on a certes la division en trois pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire) comme dans nos démocraties occidentales. Mais le président est, en quelque sorte, un quatrième pouvoir. En effet, V. Poutine n’est pas un homme de parti, mais se tient au-dessus des partis. Certes, lorsqu’il a été élu la première fois, un parti politique, qui deviendra Russie unie, a été créé pour le soutenir. Mais depuis il s’est détaché de ce parti et plusieurs éléments récents illustrent ce positionnement « au-dessus de la mêlée ». Pendant la campagne présidentielle de 2018 par exemple, à laquelle il s’est présenté sans étiquette politique, il y a eu des débats télévisés entre les différents candidats. Certains ont d’ailleurs été marqués par des violences verbales, et même physiques lorsqu’un des candidats – Vladimir Jirinovski, un homme politique connu pour ses sorties tonitruantes – a lancé un verre d’eau sur la seule femme candidate, la jeune Kseniya Sobtchak. V. Poutine n’a pas souhaité participer à ces débats. Au lendemain de l’élection en revanche, il a réuni au Kremlin l’ensemble des candidats à la présidentielle et leur a dit en substance, « maintenant que le temps du débat est terminé, nous devons tous travailler vers le même objectif, le succès de la Russie ». Voilà deux faits qui illustrent le rôle qu’il souhaite tenir : celui d’un arbitre au-dessus de la mêlée. Le terme de président est d’ailleurs celui que porte le Premier ministre, appelé en russe « président du gouvernement ».
Quel rapport V. Poutine entretient-il avec la religion ? Est-elle un moyen « démagogique » et purement politique ou entend-il lui donner une place de premier plan dans la société russe tant il identifie son pays à elle ?
Il ne renie pas l’héritage de son pays et rappelle sans cesse que la Russie n’est pas née en 1917 ni en 1991, mais qu’elle a une histoire millénaire. Dans son esprit il s’agit, pour ce jeune État qu’est la Fédération de Russie depuis 1991, de s’inscrire dans cet héritage et de trouver un corpus d’idées, des références et des valeurs qui soient le socle de ce nouvel État. D’où le rappel fréquent du temps long. V. Poutine répète volontiers que pour savoir où nous voulons aller, il faut savoir qui nous sommes et d’où nous venons. La composante religieuse fait indéniablement partie intégrante de l’histoire et de la culture russe.
Bien que l’État russe soit laïc, V. Poutine ne veut pas d’une guerre idéologique entre l’État et l’Église, qui a marqué les sept décennies de l’URSS. De plus, il faut avoir à l’esprit que la Russie est un pays multiconfessionnel, avec un rôle prépondérant de l’Église orthodoxe bien sûr, mais une présence importante d’autres confessions, en particulier de l’islam, avec 25 millions de Russes de confession musulmane, soit 15 % de la population. Dans toutes les manifestations officielles, par exemple cette adresse à la nation du 15 janvier dernier, le chef de l’Église orthodoxe, le patriarche Kirill, est au premier rang à côté du président de la Douma et de la présidente du Sénat. Un peu plus loin, il y a les représentants des autres religions « traditionnelles » de la Russie, au premier rang desquels les représentants de l’islam.
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Le religieux fait donc partie intégrante de vie politique russe ?
Disons que le religieux fait partie de la société russe. Il est clair qu’il y a un renouveau spirituel en Russie qui est encouragé par l’État. Des églises se construisent un peu partout, après une époque où elles étaient dynamitées ou transformées en dépôts de toutes sortes. Des mosquées sortent de terre aussi.
À titre personnel, V. Poutine assume son appartenance à l’orthodoxie. Lors des fêtes de Noël ou de Pâques, on le voit, dans un cadre semi-privé, participer aux offices. En tant que président, il envoie un message à la population pour les fêtes orthodoxes bien sûr, mais aussi juives, musulmanes ou bouddhistes. Encore une fois, il faut voir cela sous le double regard de l’héritage historique et culturel d’une part, des repères moraux d’autre part. Un pays qui compte entre 160 et 190 ethnies est une grande mosaïque, un attelage disparate ; pour qu’il fonctionne, il faut un ciment très fort, et c’est le patriotisme, et en même temps que chacun se sente partie prenante de l’ensemble, avec ses traditions et sa confession, d’où la place faite aux cultures et aux langues régionales ainsi qu’à la religion. Une référence à Dieu est d’ailleurs présente dans l’hymne russe réécrit en 2000. Et il est question maintenant d’introduire cette référence dans la Constitution.
Quel est l’état de l’opinion publique à propos de V. Poutine ? Est-ce qu’aujourd’hui, avec cette nouvelle génération qui monte, des voix dissonantes se font entendre ?
Des voix dissonantes, il y en a bien sûr. Certains disent clairement que 20 ans au pouvoir cela suffit, même s’ils approuvent l’action de Poutine. Le taux de popularité que mesure le Centre Levada pour V. Poutine est aujourd’hui encore autour de 70 %. Mais c’était avant la proposition de changement de la Constitution concernant la possibilité pour lui de se représenter encore à l’élection présidentielle après 2024. Il y a eu un effritement de sa popularité au moment de la réforme des retraites à l’été 2018, même si 70 % cela reste évidemment élevé. Il sera intéressant d’analyser les résultats du référendum du 22 avril prochain, qui porte officiellement sur les changements proposés dans la Constitution, mais qui risque de se transformer en referendum pour ou contre le maintien de Poutine au pouvoir. Celui qui avait en revanche un taux de popularité faible, avec moins de 40% d’opinions favorables, c’est D. Medvedev, ce qui explique en partie son départ du gouvernement.
Comment expliquez-vous cela ? Pourquoi Medvedev était-il moins apprécié que V. Poutine alors que les deux personnages sont fortement liés ?
En premier lieu, Medvedev a toujours été numéro 2. Même lorsqu’entre 2008 et 2012 il était officiellement président de la Fédération de Russie, Poutine avait gardé le lien direct avec la population. L’illustration la plus notoire en est une émission très prisée par les Russes, « Ligne directe », qui est un dialogue télévisé de plusieurs heures en direct entre le président et ses concitoyens. Elle a été instituée dès le premier mandat de Poutine et entre 2008 et 2012 l’émission a continué … avec Poutine, alors Premier ministre, et non son successeur au Kremlin !
Ensuite, une campagne de communication a été menée pour faire connaître Poutine à ses compatriotes au moment de sa première élection en 2000, à travers notamment le livre « Première personne », qui est une sorte d’autobiographie. Rien de tel n’a été fait pour Medvedev.
Enfin, il y a l’équation personnelle de chacun. Poutine a une « épaisseur » humaine, du fait peut-être de son passé professionnel d’espion. Du fait aussi de certains gestes spectaculaires, comme ce qu’il a fait par loyauté envers son premier patron, le maire de Saint-Pétersbourg Anatoly Sobtchak lorsque celui-ci s’est trouvé en difficulté une fois battu aux élections, en l’exfiltrant de Russie et en mettant en péril sa propre carrière…
Quelle est votre analyse sur les modifications constitutionnelles en cours ?
Ces modifications peuvent s’expliquer de différentes façons. Lorsqu’elles ont été annoncées fin janvier par Poutine il s’agissait apparemment d’aller vers une libéralisation du régime politique, en donnant au Parlement certaines prérogatives qui étaient jusqu’à présent celles du président. Il s’agissait également de consolider le caractère social de l’État russe. D’autres mesures allaient dans un sens plus restrictif, lié aux conditions de nationalité des élus et des hauts fonctionnaires et au renforcement de la souveraineté de l’État en renforçant la prévalence du droit russe sur le droit international. Il s’agissait en somme de prendre acte du fait que le contexte de 2020 n’était pas celui de 1993 et qu’il fallait adapter la Constitution au changement de l’environnement politique et social du pays. Et donner aux Russes une Constitution adaptée aux décennies à venir.
Toutefois, avec l’amendement introduit par la Douma sur la possibilité d’annuler le décompte des mandats successifs de Poutine et remettre les compteurs à zéro, et donc en clair lui permettre de se représenter en 2024, c’est bien sûr l’élément essentiel qui va être retenu de ces changements.
Nous verrons le 22 avril – si les conditions sanitaires permettent la tenue du référendum – comment les Russes réagissent à cette proposition.
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Quels sont les changements précis auxquels devront s’attendre les Russes ?
Parmi les changements précis : l’impossibilité de se présenter à l’élection présidentielle si l’on ne réside pas depuis 25 ans en Russie, ce qui barre la route à Mikhail Khodorkovsky par exemple. Pour ce qui est de l’État social, l’indexation une fois par an du salaire minimum et des retraites. Pour ce qui est du fonctionnement des institutions, le passage au Parlement des prérogatives qui étaient celles du président en termes de nomination du Premier ministre et du gouvernement ; également le renforcement du Conseil d’État, le Gossovet.
Mais surtout la possibilité ou non pour Poutine de se représenter en 2024.
Certains disent que V. Poutine rejoindrait, en 2024, le Conseil d’État, dans le but de ne pas s’éloigner de la politique.
Concernant le Conseil d’État russe, il faut savoir qu’il ne ressemble pas au Conseil d’État français, car il ne joue par le rôle de conseil juridique de l’État. Le « Gossovet » est une institution qui avait été créée en 1810 par Alexandre Ier dans le cadre des réformes libérales du début du XIXe siècle. Institution importante de l’Empire, elle a été supprimée en 1917, puis restaurée par V. Poutine dès 2000, sans pour autant être inscrite dans la Constitution. C’est aujourd’hui un organe consultatif qui permet au président de rassembler les gouverneurs, les élus fédéraux de la Douma et du Sénat et les « polpred ». Même si certains groupes de travail ont été organisés au sein du Gossovet fin 2018 pour suivre les chantiers prioritaires du mandat présidentiel actuel, c’est une institution qui se réunit bien moins souvent que le conseil de sécurité ou le conseil gouvernemental. Le renforcement des pouvoirs et du positionnement du Gossovet dans l’appareil d’État a en effet était interprété comme un possible « point de chute » pour Poutine après 2024… s’il ne se représente pas à l’élection présidentielle.