Soutien précoce de Donald Trump en 2016, le gouverneur de la Floride défie son ancien mentor. Reprendre le flambeau conservateur tout en rejetant les excès du trumpisme, tel est l’enjeu de la candidature DeSantis pour les primaires du Parti républicain en 2024.
« S’empêtrer dans un différend territorial entre l’Ukraine et la Russie ne fait pas partie de nos intérêts vitaux. » Le 13 mars dernier, Tucker Carlson, le célèbre animateur politique de Fox News, publiait sur son fil Twitter la réponse iconoclaste de Ron DeSantis au sujet de la politique américaine en Ukraine. Comme Barack Obama avant lui, prônant le retrait d’Afghanistan lors de sa campagne électorale de 2008, DeSantis sait que la victoire se jouera en 2024 sur les sujets intérieurs américains et l’arrêt de politiques extérieures coûteuses et parfois dévastatrices pour l’équilibre du monde. George W. Bush et Donald Trump ont aussi été élus sur cette promesse de freiner les pulsions bellicistes du complexe militaro-industriel de Washington. Le quasi-candidat à la primaire républicaine a, de fait, mis la pression sur son grand rival Donald Trump dont il se garde toujours de citer le nom et dont les péripéties judiciaires continuent d’alimenter la chronique politique du pays. « Le chèque en blanc de l’administration Biden dans ce conflit nous détourne des défis les plus urgents de notre pays », a poursuivi DeSantis citant la sécurisation des frontières, le fléau de la drogue, la remontée en puissance des forces armées, l’indépendance énergétique et le péril communiste chinois. Ses propos entrent en résonance avec ceux du speaker républicain de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy qui a refusé de rencontrer Zelenski à Kiev et de lui accorder un crédit illimité. Mike Pence, Mike Pompeo et Nikki Halley, les principaux candidats potentiels du GOP (Grand Old Party, Parti républicain) ne sont pas de cet avis et invoquent la doctrine Reagan, laquelle avait rallié nombre de démocrates convaincus que l’Amérique est non seulement le phare du monde, mais le glaive de la liberté. Cette rupture historique au sein du Parti républicain et l’émergence de la candidature DeSantis nécessitent de revenir sur le profil du gouverneur de Floride.
L’Italie en Floride
Issu d’une famille catholique d’origine italienne, Ronald Dion DeSantis est né le 14 septembre 1978 à Jacksonville en Floride. Son père installe des téléviseurs et sa mère est infirmière. Élève sérieux, il est passé par Yale où il a dirigé l’équipe de base-ball, puis Harvard. Après un doctorat en droit, il a brièvement enseigné l’histoire avant d’entrer dans la marine américaine en 2004. Sa jeunesse semble le prémunir contre les vieux réflexes de la guerre froide. En revanche, les nombreux échecs américains au Moyen-Orient de ces trente dernières années lui ont appris le coût d’une diplomatie de la canonnière et le danger stratégique des corps expéditionnaires. Parmi ses nombreuses missions, il faut noter un passage à Guantanamo, la prison américaine des djihadistes sur l’île de Cuba, et en Irak, où il sert comme conseiller juridique des Navy Seals. À son retour en 2012, il est recruté par le cabinet du procureur fédéral de Floride, mais il n’y reste que brièvement. Il se présente aussitôt à la primaire républicaine en vue des élections pour la Chambre des représentants, dans le 6e district de Floride. Il a 34 ans et l’emporte. Tandis que Barack Obama arrive au terme de son second mandat à la Maison-Blanche, il est réélu au Congrès en 2014. DeSantis ambitionne d’entrer au Sénat en 2016, mais se retire finalement devant Marco Rubio et reste à la Chambre basse. En 2018, Donald Trump qui a bénéficié de son soutien précoce deux ans plus tôt le pousse à se présenter comme gouverneur de Floride. Contre toute attente, il l’emporte avec 30 000 voix d’écart contre le favori démocrate, l’Afro-Américain Andrew Gillum. C’est à cette charge que Ron DeSantis va se faire connaître de l’opinion publique américaine.
Ses premiers combats sont portés contre le lobby sucrier afin de protéger les Everglades, marais menacés par la pollution et la sécheresse. Son opposition aux forages pétroliers en mer le rend également populaire auprès des électeurs de Floride soucieux de la qualité de leurs plages et de la pêche. Pendant la crise du Covid, il applique des mesures libérales qui donnent à la Floride des résultats parmi les meilleurs du pays en termes de bilan sanitaire. Le taux de mortalité de la Floride, dont la population est plus âgée qu’ailleurs, est finalement plus bas que dans l’État de New York. DeSantis a multiplié les batailles judiciaires pour lever l’obligation du port du masque et rouvrir les écoles. Résultat : 210 000 nouveaux habitants en 2021 en Floride. Sur les réseaux sociaux, les images de la jeunesse de Floride festoyant sur les plages font le tour du monde.
Sur le plan judiciaire, DeSantis ne peut pas être accusé de laxisme. Il restreint la portée d’un référendum qui rendait aux anciens condamnés leur droit de vote, en exigeant qu’ils règlent leurs dettes au préalable. Enfin, déplorant l’arrivée massive de clandestins sud-américains, il fait débarquer par avion des migrants vénézuéliens sur l’île de Martha’s Vineyard, fief des Kennedy et refuge des plus grandes fortunes, près de Boston. « Il y a de nouveau un shérif en ville » se félicite le jeune gouverneur.
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Du militant au gouverneur
Il entre ensuite dans une croisade contre l’idéologie woke qui règne en maître à Disneyland et parvient à mettre fin à son statut de quasi-extraterritorialité. La multinationale bénéficiait depuis 1967 de 11 000 hectares de marais en lisière de l’aéroport d’Orlando où elle échappait au contrôle du gouverneur de Floride. Il parvient également à endiguer la promotion des théories du genre et de la victimisation de la communauté noire à l’école. Le mouvement Black Lives Matter, la question des réparations de l’esclavage et la théorie queer ont été retirés des programmes scolaires. Ces sujets pourront néanmoins figurer parmi les thèmes proposables aux élèves pour les projets de fin d’année.
Porté par les sondages et son omniprésence médiatique sur FoxNews, DeSantis commence à lever des fonds pour préparer la suite. Il se tient à l’écart de la fronde du Capitole du 6 janvier 2021 et cultive son image de chef d’État. Sa fougue et sa prudence séduisent Elon Musk, le milliardaire à la tête de Tesla, SpaceX et Twitter. En tout, il récolte 200 millions de dollars selon les chiffres d’Arnaud Leparmentier publiés dans Le Monde. Donald Trump, qui s’est imprudemment imaginé vainqueur des élections de mi-mandat de 2022, a raté l’annonce de sa candidature. Inversement, la réélection de Ron DeSantis en Floride avec près de 60 % des voix face à Charlie Crist, ancien gouverneur de l’État entre 2007 et 2011, est un triomphe. Dans cet État longtemps indécis entre démocrates et républicains, un tel écart est inédit d’autant plus qu’il obtient une majorité absolue au Sénat et à la Chambre de Floride. Ce score l’a définitivement installé comme le favori des conservateurs américains à la présidentielle de 2024 et l’ancien président doit désormais porter ses coups en dessous de la ceinture de Ron DeSantis. À rebours de l’ancien animateur télé et magnat de l’immobilier new-yorkais, Ron DeSantis revendique un style moins tapageur, mais plus efficace, fort de son bilan en Floride et de son passé dans la marine américaine. DeSantis dédaigne le marigot washingtonien, mais refuse de rompre avec le Parti républicain. Il se garde de rivaliser avec les plus radicaux de la mouvance MAGA (Make America Great Again) et garde l’oreille de Kevin McCarthy. Les sénateurs les plus faucons de Washington trouvent peu de prises contre lui car s’il affiche de la prudence sur le dossier ukrainien, c’est pour mieux défendre le leadership américain face à l’émergence de la Chine.
Dans son livre autobiographique, Le Courage d’être libre. Le plan de la Floride pour le renouveau de l’Amérique (Broadside, février 2023), DeSantis surfe sur son image de père de famille de la classe moyenne, honni par la presse new-yorkaise, mais plébiscité par ses électeurs de Floride. La campagne DeSantis a bel et bien commencé. Il lui reste un an pour convaincre et réunifier le Parti républicain derrière lui.
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