<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Robotique terrestre. Déjà une réalité sur les champs de bataille, encore un défi collectif

7 janvier 2022

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Char Leclerc. Crédits : JM Tanguy

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Robotique terrestre. Déjà une réalité sur les champs de bataille, encore un défi collectif

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De la Syrie au Haut-Karabagh, les drones, mules et autres chars légers téléopérés ont fait leur apparition dans les conflits actuels, avec un impact décisif sur leur cours. L’armée de terre française, qui l’a bien compris, lance son projet Vulcain de robotisation de ses unités à l’horizon 2040.

 

En 2018, l’armée russe teste son prototype de char léger robotisé Uran-9 dans les combats en Syrie. Ce véhicule blindé de 12 tonnes est surmonté d’un canon de 30 mm commandé à distance. Trois ans plus tard, Sergueï Choïgou, le ministre russe de la Défense, annonce la création d’une première unité de chars robots (20 exemplaires). L’automne dernier, pour bousculer les Arméniens retranchés dans leurs montagnes du Haut-Karabagh, les Azerbaïdjanais ont employé à une échelle inédite des drones kamikazes ou drones rôdeurs. Plus proches de l’obus volant intelligent, porteurs d’un capteur et d’une munition, ces petits appareils ont vocation à se détruire au contact de leur cible. Les vainqueurs ont mis en ligne des modèles d’origine israélienne Harop et Orbiter, et leurs copies turques, les Alpagu et les Kargu. Ankara est en pointe dans l’utilisation des drones tactiques de combat dans la manœuvre aéroterrestre. « La conflictualité actuelle le démontre presque systématiquement, les robots, à des degrés d’autonomie et de fonctionnalité différents, sont déjà largement présents sur le terrain », a souligné le général Hervé Gomart, major général de l’armée de terre, en introduction de la journée qui a rassemblé, à la fin du printemps 2021, les experts militaires et les industriels de la robotique terrestre au camp de Satory, sur les hauteurs de Versailles. À cette occasion, le fantassin parachutiste a lancé officiellement le projet Vulcain de « robotisation » de l’armée de Terre à l’horizon 2030-2040. Son ambition : «Identifier les futures ruptures opérationnelles que va permettre la tactique robotique tout en mettant en œuvre la démarche pour les maîtriser. » 

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Émergence de la robotique

Comparable à l’arrivée de la poudre à canon ou de l’armée nucléaire, de l’avis des spécialistes, l’émergence de la robotique militaire constitue une « véritable rupture, la troisième révolution des techniques de guerre ». Du système SCAF, qui devrait remplacer le chasseur Rafale après 2040, au MGCS, qui prendra la suite du char Leclerc, tous les grands systèmes d’armes du futur en gestation dans les bureaux d’études occidentaux intègrent une plateforme principale habitée et un certain nombre de vecteurs autonomes. Pour explorer tout l’intérêt de leur emploi au niveau des unités terrestres élémentaires, une section robotique a été créée cet été au Centre d’entraînement au combat en zone urbaine (le Cenzub), au camp de Sissonnes dans l’Aisne. Et, en parallèle, l’état-major lance « une dynamique collective » avec la Direction générale de l’armement (DGA), responsable de l’équipement des forces, et les industriels. Un processus qui doit favoriser « un travail en coordination, en appui mutuel, en synergie » pour éviter les écueils du passé. Les premières tentatives remontent au début des années 1990. À l’époque, les technologies sont balbutiantes, l’expression des besoins opérationnels inexistante, les industriels pionniers font un flop. Le sujet revient sur la table à la fin des années 2000. Les armées savent alors mieux ce qu’elles veulent, mais les industriels mettent cette fois la barre trop haut. Ils ne tiennent pas leur promesses. En 2021, « toutes les conditions sont remplies pour le succès », juge Marc Darmon, directeur général adjoint du groupe Thalès et président du Groupement des industries de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (Gicat) : « L’expression des besoins militaires a été clarifiée, les technologies ont muri et progressé, et les sociétés françaises sont parmi les meilleures du monde. » La prudence doit néanmoins demeurer de mise, car il « n’y pas de solution miracle ». Même les robots civils équipant La Poste, EDF ou encore la RATP, souligne-t-il, ne sont pas capables d’éviter un fossé et ne sont pas totalement autonomes. Or l’environnement des opérations est autrement plus complexe et exigeant pour les machines.

À Satory, justement, lors d’une démonstration dynamique, les experts civils et militaires ont présenté l’échantillon des machines dont ils ont commencé à se doter, ainsi que les modèles plus sophistiqués à venir, des robots de différentes tailles, tous téléopérés. La famille des Nerva, produits par Nexter, tient le haut de l’affiche. L’armée de terre en a acquis une cinquantaine d’exemplaires pour les tester dans les unités. Le Nerva S est un micro-robot de 3 kg pouvant évoluer aussi bien sur le dos que sur le ventre, emportant un kit de capteurs (micros, caméras…). Son grand frère, le Nerva LG, 5 kg, monté sur roues ou chenilles, est capable de gravir un escalier. Quant au Nerva XX-LG, 12 kg, il est surmonté d’un bras articulé sophistiqué fabriqué par la société ECA Group. Il y a aussi le Robopex, ce robot mule dont cinq exemplaires ont été expérimentés pendant quelques mois par les soldats déployés dans la bande saharo-sahélienne (BSS). Fabriqué par la société française Gaci en collaboration avec l’israélien Roboteam, cette plateforme peut emporter une charge de 750 kg pendant huit heures à la vitesse moyenne de 8 km/h. Le robot est téléopéré à partir d’une commande. Un soldat le suit donc pas à pas. La démonstration réalisée dans les bois de Satory est bluffante. Avec précaution et dextérité, l’opérateur guide sa machine qui se joue des ornières et des bosses, des feuilles glissantes et des petits troncs d’arbres lui barrant le chemin.

Nombreuses gammes d’appareils

Derrière ces machines vouées à des usages basiques se profile toute une gamme d’appareils effectuant des missions plus complexes ou spécifiques. La société Enova Robotics présente le P-Guard, le « premier robot patrouilleur autonome », qui calcule seul sa trajectoire avec une précision centimétrique, détecte et signale toute intrusion ou anomalie dans la zone qui lui a été assignée. Le Robox, de la société Sera, conçu pour emporter différentes briques, dont des mini-drones terrestres ou aériens. Ces appareils décupleraient la capacité de ce « robot rondier » à reconnaître des itinéraires. Le robot phare de la société Shark Robotics est le Colossus. Lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, la BSPP a utilisé sa version équipée d’une lance à incendie pour pénétrer à l’intérieur du monument sans exposer ses hommes. Nexter, maître d’œuvre majeur de l’industrie de défense terrestre, présente l’Optio-X20, la déclinaison armée de sa nouvelle gamme de robots polyvalents Optio. Surmonté d’une tourelle avec un canon de 20 mm et une mitrailleuse de 7,62 mm, ce char robot chenillé pèse 1,7 tonne. Sa propulsion hybride l’autorise à évoluer à la vitesse de 22 km/h pendant trente minutes en mode électrique ou durant huit heures en sollicitant son moteur diesel.

Les spécifications des militaires sont de plus en plus précises : soulager le combattant de ses tâches logistiques, réduire sa charge cognitive par une automatisation poussée, moins l’exposer en effectuant les missions risquées à sa place (reconnaître, déminer…) et, au passage, décupler ses capacités tactiques, au moyen d’une gamme de censeurs (ou capteurs) et d’effecteurs (ou armes) embarqués. En France, le stade atteint est celui du « robot outil », mais l’armée de terre imagine déjà la phase d’une « robotique beaucoup plus intégrée pour aboutir à une forme d’hybridité des actions aéroterrestres ». Elle ne s’interdit rien. Sauf d’envisager un jour que le robot remplace le soldat ; ou que l’homme soit évincé des décisions essentielles – pas de « SALA » ou de robots tueurs, donc, comme dans l’armée chinoise. Missions de logistique, de reconnaissance, d’intervention, d’appui feu : l’armée de terre envisage d’acquérir dans un premier temps de véritables « robots équipiers » du combattant, et dans un second temps, de concevoir des « groupes mixtes hommes-robots, avenir du combat collaboratif », ce concept qui commence à devenir réalité avec l’arrivée des premières briques du programme Scorpion de renouvellement des gros véhicules et des systèmes d’information et de communication des unités.

Pour l’heure, les ingénieurs s’efforcent de résoudre les freins techniques les plus décisifs. Pour ne pas que les machines deviennent des boulets pour les combattants, ils cherchent à les équiper de moteurs plus autonomes, silencieux, et qui puissent accélérer fort. Ils réduisent leur taille et leur poids, réfléchissent aux moyens de les rendre furtifs. Pour le compte de l’armée, l’Onera, le centre français de recherche aérospatiale, a acquis un exemplaire du célèbre Spot, ce robot chien produit par l’américain Boston Dynamics qui peut franchir des obstacles ou grimper des escaliers tout en restant stable, bardé de capteurs, doté d’un bras articulé, utilisé aux États-Unis par de nombreuses forces de police. Testé sur le terrain, dans des conditions proches d’un engagement réel, Spot a détecté des menaces dissimulées, il aurait pu éviter des pertes. Revers de la médaille, il a ralenti le rythme des opérations et aurait pu se retrouver en rade en plein assaut, les batteries à plat. La question de la mobilité autonome des robots est au cœur des recherches. Aujourd’hui, quasiment tous sont téléopérés à distance. Non seulement l’homme demeure exposé, mais le risque est que la liaison soit coupée ou brouillée. L’alternative prometteuse est « le système d’intelligence embarquée de navigation par image », auquel travaillent en particulier les équipes de l’Institut Saint-Louis, ce centre de recherche en défense et en sécurité publique franco-allemand. La robotisation du champ de bataille est déjà une réalité, mais elle demeure encore un grand défi collectif.

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Mériadec Raffray

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