Née dans les officines des pharmacies, l’alcool de menthe poivrée a conquis les palais et le monde. De marque Ricqlès ou Giffard, ce sont des produits tout à la fois locaux et internationaux qui ont su s’adapter aux modes et aux goûts pour poursuivre l’aventure des terroirs.
C’est une histoire internationale, de plante, de médecine et de pharmacopée. Une histoire qui débute en Hollande, se poursuit en Provence et à Lyon et s’envole dans les tranchées du Nord. Originaire d’une famille juive des Pays-Bas, devenu Français et anobli, Samuel Heymann de Ricqlès (1788-1853) travaille sur la botanique des plantes de Provence où il s’intéresse à la menthe poivrée et à ses vertus médicinales. Par la distillation il en isole les principes actifs et crée un alcool de menthe aux vertus digestives et curatives. Le procédé est finalisé en 1838, année retenue comme le début de la création de la marque. Lors des inondations de 1840 qui touchent la Provence, il distribue cet alcool aux populations meurtries, ce qui la fait connaitre en dehors des cercles familiaux. Louis-Philippe félicite le producteur et l’encourage à poursuivre ses travaux, donnant à la boisson une renommée plus grande. Ses fils reprennent l’affaire en 1853, déposent le brevet de la fabrication de l’alcool ainsi que celui de la bouteille, dont la forme devient iconique et qui est peu ou prou la même que celle d’aujourd’hui.
Alors exclusivement vendu en pharmacie, l’alcool de Ricqlès est réputé pour lutter contre les indigestions, les nausées et les maux de tête. Il se vend également dans les colonies, comme fébrifuges et désinfectant des eaux contaminées. Le Ricqlès suit la renommée des autres boissons pharmaceutiques créées dans les mêmes années, comme le Picon, le Byrrh ou le Coca-Cola outre-Atlantique.
Durant la Grande Guerre, l’alcool de Ricqlès accompagne le paquetage des soldats, au même titre que le camembert et le litre de rouge.
Les décennies qui suivent la Seconde Guerre mondiale sont celles des diversifications et des rachats. La marque Ricqlès se lance dans les confiseries et les sodas, notamment un soda sans alcool à la menthe produit par les brasseries de la Meuse. Puis c’est le rachat de l’entreprise Car, qui fabrique les célèbres Car en sac à base de réglisse. En 1987, l’entreprise est rachetée par le groupe allemand Haribo, qui devient ainsi propriétaire des Car en sac, des réglisses, des dragées et des bonbons à base de menthe poivrée. Ricqlès est ainsi éclaté. Le nom devient générique et est exploitée par différentes entreprises, qui produisent sodas, confiseries ou alcool de menthe. L’alcool de menthe est aujourd’hui la propriété du groupe Urgo, célèbre pour ses pansements et ses produits médicaux, qui poursuit donc l’aventure de la pharmacie et des soins médicaux. Les sodas sont rattachés au groupe Orangina, propriété du japonais Suntory. Trois groupes internationaux se partagent donc le nom Ricqlès, en fonction du type de produit fabriqué. La menthe poivrée de Provence a voyagé loin, s’ouvrant les chemins du Japon et de l’Allemagne.
Reste un imaginaire, fortifié par la publicité, dont les belles affiches des années 1930-1950 demeurent, contribuant à faire de cet alcool de menthe un produit particulier, qui a réussi à traverser les goûts et les modes.
Menthe-pastille
À Angers, c’est le pharmacien Émile Giffard qui met au point sa propre recette d’alcool de menthe poivrée. Fabriquée dans sa pharmacie, testée au Grand-Hôtel d’Angers, la menthe-pastille a conquis les palais devenant l’une des spécialités de la ville. La réclame publicitaire des années 1920-1930 est elle aussi très riche et diversifiée, rappelant les grands événements du début du siècle, comme le congrès de La Haye et l’épopée coloniale. Si l’entreprise Giffard existe toujours, elle s’est diversifiée dans la production des liqueurs et des crèmes de fruit.
L’affiche de couverture évoque le tribunal de La Haye où l’on voit les représentants des différentes nations converser entre eux autour d’un verre de menthe pastille. On la doit au publiciste Eugène Ogé qui l’a conçue en 1904. De gauche à droite on reconnait les autorités suivantes :
Un soldat allemand en aigle impérial remplissant le verre d’un Japonais, un coq, probablement français, perché sur son casque à pointe. Devant eux, le président de la République française discute avec le tsar de Russie. La menthe pastille est la boisson des diplomates puisque c’est avec elle que se scelle les alliances et les réconciliations. Affiche curieuse au pied du président : la tête de Marianne et cette inscription « la menthe pastille me fait t’aimer davantage [mot illisible] de la République française. » Buvez de la menthe et vous deviendrez républicain. Voilà une boisson bien politique. Toujours au sujet de la réconciliation, voici le pape Pie X trinquant avec le roi d’Italie. En 1904 les deux États sont loin d’être unis, il fallut attendre 1929 et les accords de Latran pour que la réconciliation puisse se faire.
Les personnages à la droite de la table sont plus énigmatiques. Qui est cet amiral avec son couvre-chef en papier journal surmonté du Moulin rouge ? En face de lui un roi qui semble très intéressé par le Sahara. Et derrière eux un homme inconnu qui lit son journal cigare au bec, face à un enfant couronné qui joue avec une vache rouge sur sa chaise à manger. Enfin on voit l’Oncle Sam nourrissant un bébé africain. On peut supposer qu’il s’agit d’un Afro-Américain, les Américains n’ayant jamais été en Afrique, chose que semble confirmer l’étiquette « grâce à la menthe pastille mes états sont Unis ».