L’Afrique occupe une place singulière sur l’échiquier mondial d’abord par l’importance de ses ressources minérales, ensuite par son intercontinentalité qui l’expose aux visées des autres continents. En témoigne la place de son or depuis l’Antiquité, entre Orient et Occident et, aujourd’hui, les immenses gisements de minerais convoités par toutes les puissances industrielles et leurs multinationales.
Les ressources de l’Afrique sont particulièrement convoitées depuis la révolution industrielle du xixe siècle amplifiée aux siècles suivants par le besoin de matériaux stratégiques de première génération (manganèse, chrome, cobalt, uranium…) et de seconde génération, destinés aux hautes technologies (tantale, niobium, germanium, platine, lithium…). À cet égard, la découverte et l’exploitation d’une mine d’hydrogène, au Mali, par la société pétrolière canadienne PETROMA Inc., sans doute une première mondiale, n’est pas sans lien avec l’émergence de la technologie des moteurs et véhicule à hydrogène, prémices d’une révolution énergétique décarbonée. En tant que briques de base de tout développement économique, ces ressources peuvent aussi être le pilier de la sécurité et du confort en Afrique comme ailleurs[simple_tooltip content=’Kofi Annan et al., Équité et industries extractives en Afrique. Pour une gestion au service de tous, Africa Progress Panel, Rapport 2013, Genève mai 2013′](1)[/simple_tooltip]. La trajectoire du Botswana, malgré sa position asymétrique face aux grandes puissances et à leurs multinationales, en fournit la démonstration grâce à ses diamants.
L’Afrique sur l’échiquier minier mondial : monopoles et semi-monopoles
Le monopole de l’Afrique concerne une série de matériaux et s’observe d’abord sur les phosphates, l’un des minerais les plus essentiels à la sécurité alimentaire mondiale, à hauteur de 80 % des réserves connues[simple_tooltip content=’Kauwenbergh J. Van, Stewart Mike, Mikkelsen Robert, « World Reserves of Phosphate Rock – A Dynamic and Unfolding Story », Better Crops, Norcross, Georgia, Vol. 97 n° 3, 2013, p. 18-20′](2)[/simple_tooltip]. Plus significatif encore, environ 75 % des superphosphates sont concentrés au Sahara occidental et au Maroc, premier producteur et exportateur mondial. En ce qui concerne les réserves comme les exportations, ce monopole se constate ensuite sur les pierres et métaux précieux, l’or, les diamants et les platinoïdes. En atteste la position séculaire de leurs leaders mondiaux, De Beers et Anglo-American, nés et enracinés en Afrique. De même, l’Afrique du Sud a dominé la production et l’exportation du métal jaune de 1905 à 2007, date à laquelle la Chine devient le premier producteur. Avec le Zimbabwe elle règne sans partage sur le marché des platinoïdes depuis l’après-guerre. Le monopole africain s’observe également sur le marché des diamants depuis les années 1870.
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Même domination africaine sur les composants parmi les plus essentiels de la sidérurgie : le manganèse, matériau aux origines de la révolution de l’acier et dont l’Afrique du Sud et le Gabon monopolisent les réserves de haute teneur[simple_tooltip content=’Le Gabon, avec la COMILOG, est le deuxième producteur mondial et détient 25 % des réserves. In Rapport annuel COMILOG 2013, Groupe Eramet, Moanda, 2013, p. 2′](3)[/simple_tooltip]. Le chrome, métal à la base des aciers spéciaux, concentré en Afrique à hauteur d’environ 84 %[simple_tooltip content=’Afrique du Sud 72 %, Zimbabwe 12 % in Alain Faujas, « Le ferrochrome et le watt », Le Monde, 15 mars 2010, suppl. p. 14′](4)[/simple_tooltip]. Enfin, dans la copperbelt entre la RDC et la Zambie, le monopole africain se confirme sur les réserves et la production du cobalt (70 %), substance de la métallurgie des superalliages de l’aéronautique[simple_tooltip content=’Afrique du Sud 72 %, Zimbabwe 12 % in Alain Faujas, « Le ferrochrome et le watt », Le Monde, 15 mars 2010, suppl. p. 14′](5)[/simple_tooltip]. Enfin, on doit parler d’un semi-monopole de l’Afrique, souvent d’ordre qualitatif, ce pour certains matériaux de haute technologie indispensables à l’électronique, aux systèmes de défense téléguidée ainsi qu’à la production d’énergie « verte » : tantale, niobium, germanium, lithium, terres rares, béryllium dont l’un des plus importants gisements mondiaux se trouve au Rwanda, mais aussi cobalt et platinoïdes déjà considérés.
Une chance pour l’Afrique… de demain
La trajectoire de l’Europe et des États-Unis au xxe siècle et celle de la Chine aujourd’hui démontrent que la transformation et la consommation de minéraux constituent le socle du développement et de la prospérité : ne les mesure-t-on pas souvent par la consommation de fer et d’acier ? À cet égard, la création d’une filière sidérurgique en Afrique permettrait la mise en place des infrastructures de base ainsi que la fabrication de matériels agricoles, deux facteurs qui manquent cruellement à l’Afrique. En ce domaine, une coopération industrielle stratégique pourrait opérer entre l’Europe et l’Afrique sous la forme d’une communauté euro-africaine de l’acier. Elle pourrait impulser la dynamique nécessaire au « développement du continent africain », ainsi que le prévoyait la Déclaration Schuman du 9 mai 1950, ouvrant à terme un débouché considérable à l’Europe.
Parallèlement à cette nécessité d’infrastructures et de mécanisation, l’Afrique devrait développer la filière des engrais pour garantir véritablement sa sécurité alimentaire. Elle résorberait ainsi le paradoxe actuel : continent des phosphates, elle est celui qui manque d’engrais et où les rendements sont les plus faibles : 80 quintaux de blé sont récoltés par hectare dans la Beauce, 30 dans le tchernoziom ukrainien et seulement 13 en Afrique subsaharienne.
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Enfin, l’Afrique dispose d’une marge de manœuvre tout aussi considérable dans le secteur des pierres et métaux précieux dont elle est le premier pourvoyeur mondial. Amplifiant le modèle botswanais sur une base régionale ou sous-régionale, elle pourrait mieux maîtriser leur production et leur commerce voire leur transformation et en tirer suffisamment de devises nécessaires au financement de son développement économique et social, tant les enjeux y sont considérables. Le marché de l’or se situe entre 18 000 et 20 000 milliards de dollars[simple_tooltip content=’Florentin Collomp, « Soupçons de manipulations du marché de l’or », Le Figaro Économie, 19 mars 2014, p. 17′](6)[/simple_tooltip]; celui des diamants de joaillerie (20 % de la production mondiale) entre 60 et 70 milliards de dollars. Quant au platine, il est utilisé dans 20 % des produits manufacturés dans le monde.
Pouvoir de la rente et rente du pouvoir
L’une des singularités de l’industrie extractive africaine est le caractère prédateur de sa naissance et, surtout, son antériorité par rapport à l’État moderne. Elle a été créée par des interventions armées dans le cadre de la révolution industrielle du xixe siècle. Ainsi, après la découverte des plus importants gisements de diamants au monde, le Transvaal fut l’objet une véritable première guerre mondiale avant la lettre ; il s’agissait aussi de contrôler les premiers filons d’or de la planète en vue de battre monnaie, comme l’imposait alors le système de l’étalon-or. Les affrontements vont se poursuivre au Congo pour la recherche du cuivre qui y abonde et dont l’intérêt a décuplé, à la suite de l’invention du télégraphe et du téléphone particulièrement consommateurs du métal rouge.
D’autre part, la dynamique prédatrice de l’industrie extractive africaine se poursuit jusqu’aux indépendances lorsqu’elle se mue en une sorte de « cens minéral ». Elle prend alors la forme d’alliances entre des acteurs extra-continentaux et les représentants des nouveaux États : en vertu de celles-ci certaines grandes puissances bénéficiaient d’un accès privilégié voire exclusif aux ressources stratégiques africaines (manganèse, uranium, platine, chrome, cobalt). En échange, les régimes locaux reçoivent le monopole de la rente ainsi que l’assurance d’être protégés, notamment sous forme d’accord de défense. Les régimes sud-africain et zaïrois de Mobutu sont les plus représentatifs de cette dialectique de la rente du pouvoir et du pouvoir de la rente du cens minéral. Les réticences des grandes puissances à l’égard des sanctions économiques contre le premier et l’intervention de l’OTAN via la France à Kolwezi en 1978 en faveur du second en donnent la démonstration.
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La fin de la guerre froide et la contestation du monopole européen en Afrique par les groupes nord-américains, asiatiques et proche-orientaux ont transformé l’Afrique en champ de mines mondial où arcs de conflits et ceintures minières se superposent très largement. Les « diamants de sang » sont au cœur des conflits en Sierra Leone, au Liberia, en Côte d’Ivoire, en RCA, en Angola, au Zimbabwe ainsi qu’en RDC. Celle-ci est également le théâtre de la « guerre des 3 T » : (Tantalum, Tin, Tungsten : tantale, étain et tungstène) ; pour se procurer ces métaux précieux le Rwanda a envahi l’est du pays, le Kivu, tandis que des bandes armées participaient à la curée. Il est enfin frappant de constater que la « révolution du Jasmin » en Tunisie est fondamentalement partie des mines de phosphate de Gafsa avant de se propager dans le reste du monde arabe[simple_tooltip content=’Kameni A. Bertrand, Minerais stratégiques. Enjeux africains, op. cit, p. 7 et 156′](7)[/simple_tooltip].
Toutefois, ces minéroconflits ne traduisent pas une quelconque « malédiction des ressources naturelles » de l’Afrique comme les représentations subjectives les interprètent. Ils résultent plutôt d’une triple singularité géologique et géopolitique : des provinces minières aux minéralisations exceptionnelles mondialement convoitées en raison de leur relative rareté hors du continent (Sahara, Guinée, Katanga, Grand Dyke, Bushveld, Witwatesrand, Namibie…). Ils résultent ensuite de l’intercontinentalité de l’Afrique, placée depuis la première révolution industrielle dans la ligne de mire d’autres continents. Ils résultent enfin de l’ « État prédateur » et de sa « politique du ventre » (J. F. Bayart) : certains des dirigeants des États confisquent à leur profit la rente afin d’entretenir leur clientèle et de consolider leur pouvoir.
Ce que les matières premières peuvent pour l’Afrique
Le Botswana donne la démonstration qu’en Afrique comme sur d’autres continents (Norvège, Australie, Suède, Chili, Israël…) les ressources naturelles peuvent être transformées en prospérité, au moyen d’un État de droit et d’institutions démocratiques, au service de l’intérêt général. Seul pays d’Afrique australe démuni de ressources minières avant 1960, le Botswana emprunte le boulevard de l’indépendance en 1966, sans l’avoir d’ailleurs réellement sollicitée et, a fortiori, sans interférences extérieures. Ne disposant que d’1 % de terres arables sur un territoire un peu plus vaste que la France, il suscite moins de visées prédatrices. Il ne peut compter que sur ses 40 000 nationaux employés dans les mines sud-africaines. Mais il réussit à bâtir des institutions étatiques légitimes et démocratiques. Aussi, lorsque s’opère la découverte de gisements de diamants parmi les plus importants au monde, les conditions de l’État prédateur ne sont-elles plus tout à fait réunies, les premières élections pluralistes ayant eu lieu en 1961. De même, le cens minéral ne peut plus opérer pleinement en raison de l’antériorité de la légitimité du contrôle de l’État sur les mines, contrairement aux autres États miniers africains.
Devenu le premier producteur mondial de diamants en valeur, le Botswana est resté hors des minéroconflits et des conflits ethniques – il est vrai que les tswanas constituent les trois quarts de la population. Au contraire, il a accompli l’un des progrès économiques les plus remarquables de l’après-guerre : une croissance qui n’est dépassée que par celle de la Chine entre 1970 et 2010, passant des PMA aux pays à revenus intermédiaires (Rapport PNUD 2010, p. 35). Enfin, tout aussi spectaculaire, David fait plier Goliath : après avoir réussi à faire intégrer des Africains dans le cercle de décision de De Beers en 1985, le Botswana, actionnaire de cet empire (15 %) l’a convaincu, en 2011, de délocaliser son siège, installé à Londres depuis 1888, à Gaborone.
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Les minéroconflits observés en Afrique reflètent très largement le prélèvement manu militari de ressources souvent monopolisées par des États aux légitimités fortement contestées (RCA, Zimbabwe, RDC, Nigeria…) ou par des États dans l’État (multinationales) comme en Afrique du sud, Zambie, Mozambique…. Ces conflits ont été en outre amplifiés au cours des dernières décennies par de fortes tensions mondiales entre les demandes exponentielles et les offres réduites. Pour autant, les ressources minérales africaines restent assurément une « bénédiction » si un cadre et des stratégies sont élaborés et mis en œuvre, de préférence à l’échelle sous-régionale ou régionale, pour leur valorisation au profit de tous. L’enjeu des ressources est d’autant plus crucial en Afrique que toute réelle dynamique de modernisation économique y sera particulièrement exigeante en ressources primaires à cause de la rapidité de la croissance démographique.