<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La République centrafricaine, à la croisée des chemins ?

9 septembre 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Faustin-Archange Touadéra, Président de la République centrafricaine, à l'ONU le 25 septembre 2019 (c) AP Photo/Richard Drew)/UNRD130/19268594500001//1909251840

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La République centrafricaine, à la croisée des chemins ?

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La République centrafricaine devrait prochainement connaître des élections présidentielles et législatives. Mais dans ce pays dont il est parfois dit qu’il n’« existe pas », les choses ne sont politiquement jamais simples.

 

Les élites de ce pays sont souvent diplômées des universités françaises, comme l’actuel président de la République. Un pays qui a longtemps été un pion important de la géostratégie française, durant et après la colonisation (1910 à 1960). Une importance en passe de s’estomper pour la France, la Centrafrique aiguisant d’autres appétits, du côté russe et chinois.

 

La République centrafricaine, un pays en grande partie incontrôlé

Majoritairement tropicale, située en Afrique centrale et peuplée d’environ 4,5 millions d’habitants, la République centrafricaine a, avec ses 623 000 km2, une superficie supérieure à celle de la France. Ayant des frontières avec le Tchad, le Soudan, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo et la République du Congo, le pays est actuellement dirigé par Faustin-Archange Touadéra, élu président de la République en 2016 après avoir été Premier ministre de 2008 à 2013. « Dirigé », ce n’est en réalité pas évident puisque 80 % du territoire, essentiellement le nord, échappe au contrôle des autorités, selon Vidal de Bon Cœur Siopathis, candidat aux législatives qui doivent théoriquement se tenir fin 2020, en même temps que les présidentielles.

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La situation est encore plus compliquée aux yeux du membre du comité directeur du Rassemblement démocratique centrafricain, parti dont la préoccupation affichée est de trouver une solution mesurée pour une Centrafrique où, concrètement, même les 20 % officiellement sous contrôle républicain ne le sont que difficilement. Si le président Touadéra gouverne depuis la capitale Bangui à la suite d’un processus électoral reconnu, le pays connaissant un type d’élections plus ou moins satisfaisant selon les périodes, et si le multipartisme existe depuis 1993, il n’empêche que la République centrafricaine est un État fragile, jamais à l’abri d’un soubresaut violent, comme en 2003 lorsque le général Bozizé prit le pouvoir par un coup d’État, avec le soutien de la France et de milices tchadiennes. Une pratique courante qui fait dire au chercheur de l’Institut national de recherche en archéologie préventive (INRAP) en France, Félix Yandia, que la Centrafrique voit régulièrement arriver au pouvoir les victimes de ses « futurs coups d’État ».

Bozizé fut ainsi élu en 2005 et 2010 avant d’être à son tour renversé en 2013 par la Seleka, alliance de milices armées de sinistre mémoire, surtout après leur entrée dans Bangui. Des milices d’autant plus dangereuses qu’elles sont divisées et ne défendent pas les mêmes idéologies, même si l’expansion de l’islamisme radical domine. Elles s’affrontent parfois entre elles, chacune essayant d’accroître son territoire depuis l’époque de la guerre civile : une guerre qui dura dans les faits de 2003 à 2013. Le 24 mars de cette année-là, les rebelles, que Félix Yandia appelle plutôt « les tueurs », surtout musulmans, congolais ou nigérians, pénètrent dans Bangui et multiplient les horreurs au point que la situation est qualifiée de pré-génocidaire à l’échelle internationale. D’où la résolution de l’ONU de décembre 2013 : la France lance l’opération Sangaris sur le sol centrafricain. Depuis, la situation n’a guère évolué, Bangui ayant connu de nouveaux affrontements violents en 2019. La République centrafricaine est donc maintenant ce « pays qui n’existe pas » ou cet État « fantôme ».

 

Élections ou pas élections ? La question est brûlante en Centrafrique

Le président actuel, Faustin-Archange Touadéra, élu en 2016, a hérité d’un pays divisé en préfectures, souvent devenues le siège des milices, et de la responsabilité d’un programme de réconciliation nationale peu applicable dans un pays qui aurait 200 partis politiques. Bien sûr, il y a eu un accord de paix en février 2019, laissant augurer la possibilité d’élections légitimes, mais dans les faits, comment les organiser dans un pays dont 80 % du territoire échappe toujours aux autorités républicaines et où, ainsi que le souligne Vidal de Bon Cœur Siopathis, nombre de miliciens, qui continuent à massacrer et à violer, tout en enrôlant des enfants soldats, « ne parlent aucune langue du pays » ?

La République s’est préparée aux élections, sauf durant la crise du Covid qui l’a durement touchée d’après Vidal de Bon Cœur Siopathis, même s’il est impossible de connaître réellement le nombre de malades ou de décès (3, officiellement), Bangui ne disposant, avec sa douzaine de lits, à l’écart du centre hospitalier universitaire pédiatrique, accompagné d’un simple lavabo, ni des moyens de s’opposer au virus ni de ceux de compter les personnes concernées. D’autant plus que, comme partout en Afrique, « la préoccupation principale de chaque Centrafricain est de survivre, en travaillant pour se nourrir. Et souvent, en essayant d’échapper aux milices ».

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La crise sanitaire est cependant venue interférer dans le processus électoral puisque le président Touadéra, au prétexte du coronavirus, a proposé que son mandat soit prorogé, ce que la Cour constitutionnelle a refusé le 5 juin 2020. La modification de la constitution permettrait de prolonger tout mandat présidentiel et un statu quo législatif « en cas de force majeure ». Or, les différents candidats aux possibles élections présidentielles et législatives, si elles se tiennent bien prochainement, les partis politiques et les alliances ont commencé à se mettre en ordre de bataille. Une coalition s’est organisée face au président en place : la COD 2020 (Coalition opposition démocratique) constituée de plusieurs partis politiques dont les plus importants sont l’URCA d’Anicet-Georges Dologuélé, président de la coalition et candidat potentiel à l’élection à la présidence de la République, Chemin de l’Espérance de Karim Meckassoua, président déchu de l’Assemblée nationale, le CRPR de Nicolas Tiangaye, KELEMBA de Simplice Zingas et KNK, le parti de l’ancien général, président de l’époque des guerres civiles, François Bozizé. Le président Touadéra serait ainsi d’emblée face à une plateforme importante, ce qui explique son action devant la Cour constitutionnelle. Pour Vidal de Bon Cœur Siopathis, représentant du RDC, à l’écart de la coalition comme de la majorité présidentielle, le problème est que « nous ne savons pas exactement ce que veut le président ».

Il est exact que le jeu de Touadéra n’est pas clair. Veut-il se maintenir au pouvoir ? Cela demandera alors de convaincre la population que la crise sanitaire et l’insécurité légitiment de stopper le processus démocratique. Organiser des élections ? Rien ne dit qu’elles pourraient se tenir ni qu’elles seraient reconnues, vu la situation concrète sur le terrain : comment comptabiliser les votes d’un nord hors de contrôle ? En revenir à la sempiternelle « solution » si fréquente sur le continent africain, et malheureusement si inefficace, en particulier en Centrafrique, d’une concertation nationale en vue d’un gouvernement d’union nationale ? Touadéra demeurerait président, mais n’exercerait dans les faits qu’un pouvoir partagé. Pour Vidal de Bon Coeur Siopathis, le risque que les élections ne soient pas organisées est fort. À ses yeux, la question est donc celle-ci : « Le président va-t-il faire passer en premier l’intérêt supérieur de la nation ou son intérêt personnel ? »

 

La France, même de façon modérée, sans doute moins qu’une Russie qui fournit des experts militaires et de l’armement au gouvernement par le biais de sociétés privées, ou qu’une Chine qui soutient économiquement Touadéra, jouera un rôle dans les évolutions politiques. Elle a toujours eu un rapport spécifique avec la Centrafrique, le pays est une ancienne colonie de l’Afrique équatoriale française (AEF) sous le nom d’Oubangui-Chari. Les relations sont aussi difficiles à oublier si l’on se réfère à « l’empire centrafricain » de Bokassa 1er (1965 à 1979). D’ailleurs, l’ambassade de France soutient la tenue des élections, la question étant celle du risque clair et très dangereux de vide constitutionnel, et a versé 90 000 euros à la Cour constitutionnelle pour contribuer à ce que les élections se déroulent, si elles ont lieu, dans le respect du droit.

 

 

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À propos de l’auteur
Matthieu Baumier

Matthieu Baumier

Historien de formation, Matthieu Baumier est l'auteur d'essais et de romans. Il contribue à divers médias. Dernier livre paru : Voyage au bout des ruines libérales libertaires, Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 2019.

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